Antagonisme en citadins et campagnards en 1789
Les cultivateurs s'insurgent surtout contre les impôts trop lourds, les redevances qu'ils jugent injustes.
Tel est cependant le sort du plus grand nombre des suppliants. Ils cultivent journellement les vignes qui couvrent une partie du territoire de Soulangis. Les uns travaillent à prix d'argent et n'ont sur la terre pour tout bien que le faible prix de leur journée ; sur cette somme médiocre ils doivent d'abord prélever leurs impositions, le loyer de leur maison.
Que leur reste-t-il pour subvenir à leur entretien, pour se procurer à haut prix leur chauffage qu'ils tirent de près de deux lieues, pour payer le sel, cet autre genre d'imposition si cruelle, le sel si nécessaire surtout à la campagne, qu'ils sont obligés d'aller chercher à jour fixe à trois lieues de leur résidence, le sel qu'ils achètent si exorbitamment cher tandis que la nature semble l'offrir presque gratuitement...
On l'a cependant dit souvent, l'impôt ne doit saisir que le superflu ; il ne peut saisir au-delà sans nuire aux intérêts du prince au nom duquel il saisit ; l'avantage précipité qui peut en résulter (si c'en est un) n'est qu'un avantage momentané, qui dure d'autant moins qu'il épuise la source qui le produit.
La lecture des « cahiers » montre souvent l'antagonisme entre les citadins et les campagnards. Ainsi ces derniers, natifs de Saint-Martin d'Auxigny, non loin de Bourges, expliquent que « les habitants des villes ne savent point assez que nous leur fournissons la nourriture, le vêtement et toutes les commodités de la vie ; ils dégarnissent nos charrues pour faire traîner leurs carrosses et leurs cabriolets dans les promenades publiques et aux environs des villes ; ils nous enlèvent nos plus robustes ouvriers pour en faire d'inutiles domestiques ou des courtisans de luxe ; ils font jouer toutes sortes de ressort pour remorquer notre argent et font servir à leurs plaisirs des sommes qui seraient si bien employées aux productions annuelles, à l'entretien et à l'accroissement des avances primitives et foncières ».
Beaucoup d'électeurs s'élèvent contre l'arbitraire administration. Les habitants d'un village du bailliage de Bailleul, à sept lieues de Lille, s'insurgent contre l'autorité de l'intendant, chef administrateur de la province.
« Il faut que tout se passe au gré de cette autorité ; personne n'oserait manifester un avis différent du sien, on craint de l'indisposer, d'encourir sa disgrâce et de perdre la faveur et la protection de Monsieur l'intendant. C'est donc l'arbitraire, la volonté d'un seul, qui est le principe de l'administration actuelle...»
La plupart des cahiers réclament l'abolition de la féodalité
La plupart des cahiers réclament l'abolition de la féodalité et l'égalité civile. Le tiers état supporte le poids de la nation puisque les nobles, hors le privilège de verser leur sang en cas de guerre, ne payent pas l'impôt :
« Plus il se trouve de roturiers anoblis, plus il arrive à ceux qui restent dans la roture de ces sortes d'héritages qu'on leur laisse avec plaisir, mais qu'ils ne reçoivent pas sans peine. »
Le remède ? Il faut « qu'aucune charge ne confère de droit à la noblesse... Que la noblesse ne pourra plus d'aucune manière être achetée. Elle pourra toujours être conférée, comme la juste récompense de services importants, d'actions héroïques, de la valeur militaire, de talents distingués et d'un mérite soutenu. Mais qu'elle ne soit plus avilie et dégradée en la mettant à l'encan, et en faisant la joie du plus offrant.
Tout retombe sur nous », soupirent les « pauvres habitants » des Essarts-le-Vicomte, non loin de Cézanne :
« C'est nous qui complétons les armées, qui payons la nourriture et l'entretien de nos enfants, qui, de gré ou par la presse, servent le roi et la patrie ; c'est nous qui payons les canons, les mortiers, les bombes, les fusils et tout l'attirail militaire ; c'est nous qui payons les constructions et réparations des fortifications, des casernes, des ponts, des vaisseaux et des grandes routes ; c'est nous encore qui supportons la charge du logement des gens de guerre lors du mouvement des troupes, sans avoir l'espoir de voir nos enfants parvenir aux grandes charges militaires.»