Si vous aimez ce site ne bloquez pas l'affichage des publicités... Merci !

Le 23 juin 1940

Hitler à Paris

Hitler désirait ardemment voir cette ville depuis l'époque où, étudiant les beaux-arts, il s'était penché sur des gravures représentant les sites historiques de la capitale. Et voici qu'il tenait Paris dans sa main victorieuse, que Paris était à lui, qu'il pouvait le savourer comme bien peu d'hommes en avaient eu le privilège!

Une journée de Juin 1940

hitler à paris le 23 juin 1940
C'était, entre six et sept heures du matin, par une journée de juin, le premier dimanche d'été de 1940. Paris dormait encore. Depuis dix jours, l'une des plus grandes métropoles de l'Occident et du monde était devenue un désert, martelé par les bottes de ses vainqueurs. Les étendards à croix gammée flottaient sur les bords de la Seine.
Une brise fraîche passait sur la capitale conquise, animant les lourdes grappes rouges et noires des oriflammes et des bannières à svastika, cette ténébreuse araignée gorgée de sang suspendue au-dessus de la ville, couvrant ses boulevards et ses places, flanquant les édifices et paraissant obstruer le ciel lui-même.
Le marchand de journaux de la place de l'Opéra, qui installait son éventaire, n'en crut pas ses yeux. Il restait planté là, la bouche ouverte, frappé comme d'une hallucination : sur l'esplanade vide, Adolf Hitler se trouvait devant lui.

Un cortège de cinq Mercédès

Hitler à l'entrée des champs-Elysées
Dans la capitale qui symbolisait le plus étonnant de tous les triomphes allemands depuis le matin du 10 mai précédent, l'entrée du maître du IIIe Reich s'était effectuée presque secrètement, dans le plus absolu, le plus complet incognito. Et lui-même, sanglé dans son ample manteau de cuir boutonné jusqu'au col, rien ne le distinguait des dizaines de généraux et d'officiers de son escorte. Rien, hormis sa casquette enfoncée jusqu'aux yeux, et ce port, ce faciès caractéristique barré du trait noir de son étrange moustache, identifiable au premier regard.
Aucune mesure de sécurité spéciale n'avait été prise qui ne fût déjà en place pour la protection des autres états-majors de la Wehrmacht dans Paris occupé.
Dans le petit matin de ce 23 juin 1940, Hitler a atterri au Bourget, venant de son quartier général de Brûly-le-Pêche, au nord-ouest de Mézières, à bord de son avion personnel piloté par le capitaine Hans Baur.
Et rapidement la colonne de lourdes Mercedes découvertes avait pris la direction du centre de la ville, entre deux parois d'immeubles aveugles, roulant sur des chaussées désertes, comme à travers un décor irréel et fantomatique, nota un officier de la suite.
Botté et ganté, calé au fond de son siège, Hitler a d'abord observé un maintien maussade et renfrogné. Puis, peu à peu, ses traits se sont détendus et il s'est arraché à son mutisme inquiétant. Depuis minuit, l'armistice avec la France se trouvait en vigueur et, en ce moment, lui, le chef de l'armée conquérante, foulait le sol de Paris.
Il venait de sortir de l'Opéra, où deux gardiens avaient été réveillés sans ménagement par les hommes du colonel Hans Speidel, responsable de la sécurité des forces allemandes dans Paris, pour illuminer l'immense salle dorée, le riche foyer et la scène, l'escalier monumental, les fresques, les statues.
— Le plus beau théâtre du monde! s'était écrié Hitler comme fasciné, pétrifié d'admiration.
Et maintenant, de son pas vif, il descendait les marches du grand théâtre édifié par Garnier, se hâtant vers sa voiture.
Le cortège des cinq voitures d'état-major contourna la place de l'Opéra pour s'engager, sur la droite, dans l'enfilade du oulevard des Capucines bordé de théâtres et d'arbres touffus, aux trottoirs dépeuplés.
Adolf Hitler se tenait à l'avant de sa grosse Mercedes décapotable, tandis que derrière lui s'étaient tassés, outre des aides de camp, l'architecte Albert Speer, colosse d'environ 1,90 mètre, inspecteur (avec rang de général) des Bâtiments de l'État allemand dont il deviendrait un jour le ministre de l'Armement, et Arno Breker, sculpteur officiel du IIIe Reich, rappelé spécialement d'Allemagne pour servir de mentor, de cicerone au Führer, pour ce matinal rendez-vous, qui serait d'ailleurs unique, du conquérant avec sa conquête.

Témoignage du guide Breker

Le silence matinal, raconte Breker, fut brusquement déchiré par le cri enroué d'un vendeur de journaux.
« Le Matin!... Le Matin!... »
Il apparut bientôt sortant d'une rue latérale, aperçut la colonne de voitures, se précipita dans sa direction : « Le Matin ! » À peine était-il à quelques mètres de la première voiture agitant son journal, lorsqu'il reconnut soudain Hitler... Son cri s'étouffa dans sa bouche grande ouverte. Son regard se figea, épouvanté. Je craignis presque qu'il ne tombât à la renverse d'effroi, me retournai et le vis jetant ses journaux, et se précipitant dans une maison pour s'y mettre à l'abri.
Une centaine de mètres plus loin, au coin de la rue des Halles, se tenait un petit groupe de ces pittoresques poissardes rondelettes, sûres d'elles-mêmes et tempétueuses. Nous nous en approchions, lorsque la plus corpulente d'entre elles leva la main, montra Hitler et se mit à crier :
« C'est lui!... Oh ! C'est lui!... »
Effrayé, le groupe se dispersa, se croyant sans doute en proie à des hallucinations. Ce furent nos seuls contacts avec la population lors de ce circuit à travers Paris : le gardien de l'Opéra, les poissardes et le vendeur de journaux.

De l'Arc de Triomphe à la Tour Eiffel

hitler arrivant à l'Arc de Triomphe
Au passage, Breker précisait les caractéristiques du quartier qu'ils traversaient, désignait les artères qu'ils dépassaient. La Mercedes noire de Hitler fit halte devant la Madeleine.
Du haut des marches, Hitler écouta distraitement les explications fournies par Speer, l'index pointé en direction du dôme de l'église Saint-Augustin émergeant de la brume matinale, puis le cortège roula dans la rue Royale, ralentit au milieu de la place de la Concorde et, entre le moutonnement des hauts marronniers sombres, sous le regard indifférent d'un gardien de la paix posté sur le trottoir de gauche, obliqua vers les Champs-Élysées.
Sous les roues des voitures allemandes se déroula la plus belle avenue du monde.
Tout en haut, devant Adolf Hitler, fermant l'horizon dans l'air ouaté du matin d'été, se dressait l'Arc triomphal élevé sur l'ordre de Napoléon ler. Et sous la voûte prestigieuse reposait le corps d'un combattant inconnu de la Grande Guerre, veillé par les larges murailles recouvertes de noms de victoires dont beaucoup avaient été des défaites germaniques.
Mais, aujourd'hui, l'homme qui en déchiffrait les inscriptions était le vainqueur de Paris et de la France.
Alors la méditation de Hitler prit une orientation révélatrice des pensées qui l'obsédaient depuis les derniers jours.
— J'aurais pu, dit-il, marcher à la tête de mes troupes sous l'Arc de Triomphe. Le coup classique des grandes parades! Mais je ne l'ai pas voulu. Le peuple français devra s'en souvenir...
(En réalité, une revue militaire monstre des troupes allemandes victorieuses de la France avait été prévue à Paris, en présence de Hitler entouré de ses généraux. Elle avait été annulée après que Goering eut refusé d'assurer la sécurité du Führer du Reich contre une éventuelle attaque aérienne ennemie au cours du défilé.)
Dans sa marche triomphale et semi-clandestine à travers la ville, l'itinéraire du Führer de l'Allemagne s'était fixé deux buts principaux.
Le premier fut atteint, à partir de la place de l'Étoile, au milieu des lourdes frondaisons de l'avenue du Bois, par l'avenue Raymond-Poincaré et la place Victor-Hugo, pour gagner les hauteurs de la colline et du palais de Chaillot.
Là, au bord de la terrasse célèbre, une perspective de rêve s'offrit aux regards d'Adolf Hitler.
Pour la première fois, Hitler se trouvait en face de la réalité inaltérable de sa conquête, déployée en une perspective majestueuse, dans toute sa grandeur.
A ce moment, s'il faut en croire Sacha Guitry qui a rapporté cet épisode peut-être apocryphe, un pêcheur à la Ligne montant des quais de la Seine se mit à gravir, sans que nul l'eût arrêté, les escaliers du palais de Chaillot. A la perspective de la surprise du Français quand à quelques pas de lui il découvrirait le Führer de la Grande Allemagne, l'attention de Hitler se fit avidité ardente. Mais l'homme, ayant posé sur son vainqueur un regard à peine étonné, passa simplement en proférant d'un ton léger : « Tiens! » et il poursuivit sa route en sifflotant. Décontenancé, Hitler n'ajouta aucun commentaire. Mais, l'instant d'après, il entraîna sa suite vers les voitures qui attendaient sur la place.
bas