Une armada de 280 appareils fonce sur Verdun
Cest seulementà la veille de l'offensive,
le 21 février 1916, que le passage
d'un avion alerte l'état-major français
de l'imminence d'une attaque.
Une offensive à laquelle participe
une arrnada de 280appareils allemands
rassemblés dans la région
de la Woivre, sur la rive droite de
la Meuse. Du jamais vu. Trente six
escadrilles de Fokker prennent part à la bataille, formant un infranchissable
mur aérien, les
pilotes ayant pour mission d'éliminer
tout intrus. Opérationnels
depuis l'été précédent, ces chasseurs
sont équipés d'un dispositif
de synchronisation permettant de
tirer à la mitrailleuse à travers l'hélice
sans que les balles ne heurtent
les pales. Face au fléau Fokker,
les avions de reconnaissance alliés
se retrouvent vulnérables. L'état major
français ne dispose sur cette
zone que de trois escadrilles d' observation,
une de chasse et une de
photographie aérienne. Soixante dix
appareils au total.
Ecrasés numériquement, les
aviateurs français doivent se replier
sur des terrains hors de portée
des canons allemands. Privée
de moyens aériens chargés de la
guider, l'artillerie française, sans
visibilité, est incapable de riposter
et d'empêcher la progression
des troupes allemandes. Les 24 et
25 février, quatre divisions françaises
de renfort sont massacrées par les canons ennemis renseignés
par l'aviation et les drachens
(ces ballons captifs qui, derrière
les lignes allemandes, assurent
la surveillance permanente de
larges secteurs).
Balayez-moi ce ciel ! Je suis aveugle !
Tandis qu'au sol, sous un déluge d'obus, les infanteries allemande et française se livrent au fusil, à la grenade, à l'arme blanche, de furieux assauts, le général Pétain convoque à la mairie de Souilly le commandant de Rose, chef de l'aviation de la Ve armée. Le ciel, gris, lourd de pluie, est vide d'avions à cocardes.
Sur le plan aérien, on a vu monter, de part et d'autre de la Meuse, les ballons d'observation, les Drachen, que les poilus appellent des saucisses. Et la chasse allemande était là. En tout vingt escadrilles. En face, rien, sinon quelques appareils de reconnaissance qui, à peine apparus au-dessus des lignes, avaient été attaqués, bousculés ou abattus par les Fokker.
L'oeil bleu de Pétain se pose sur le visage de de Rose. Deux Gaulois aux regards clairs et aux moustaches blondes, sur qui pèse l'assaut de toutes les forces de la Germanie.
Rose, balayez-moi le ciel ! Je suis aveugle ! L'heure de la chasse a enfin sonné. De Rose réclame carte blanche. Pétain acquiesce.
Faites vite. Si nous sommes chassés du ciel, alors, c'est simple, Verdun sera perdue...
« Trois jours plus tard, le 2 mars, écrit le général Chambe, plus de soixante-dix avions de chasse français, arrivés de tous les coins du front, se sont posés sur les terrains, très médiocres, de Verdun, d'Issoncourt, de Vadelaincourt, de Souilly, qu'une nuée de territoriaux s'affairent à niveler, à agrandir. »
Verdun devient le rendez-vous de l'élite aérienne.
« Tout ce qui s'est distingué en combat, a déjà abattu un avion allemand, a été impitoyablement arraché aux protestataires, expédié sur l'heure à Verdun, les échelons, avec les mécaniciens, rejoignant par la route, roulant jour et nuit. Pas une heure ne doit être perdue. »
Le 3 mars, Chaput écrit à sa famille :
« C'est un honneur pour moi que d'être ici, car on y a réuni des pilotes choisis dans toutes les escadrilles à l'occasion des attaques de Verdun. Dans l'escadrille où je suis, il y a Pelletier d'Oisy, un tombeur de Boches fameux ; je suis le seul sous-officier et le seul à ne pas avoir la croix. Navarre est là aussi, mais dans une autre escadrille. Non content de ses deux Boches de l'autre jour, il en a encore abattu un hier ; c'est un type
extraordinaire...»
Au déclenchement de la bataille de Verdun correspondait une nouvelle conception de l'emploi des forces en présence. Verdun a inauguré la concentration de tous les moyens de destruction : infanterie, artillerie, aviation, dans un périmètre géographiquement limité.
Théoriquement, écrit le commandant Féquant, le rôle général imparti à l'aviation de chasse était simple : il fallait, dans le secteur d'attaque, empêcher toute incursion d'avions ennemis sur nos lignes et assaillir par contre tous les avions ennemis qui, en arrière des leurs, participaient à la bataille. »
Jeu épuisant qui exigeait une organisation hors de pair. Au début, on attendait que l'alerte fût donnée, mais le temps de prendre l'air, d'atteindre l'altitude nécessaire et de gagner le point désigné, l'adversaire avait fui. On se décida à organiser des rondes. Les pilotes français décollaient et battaient la part de ciel qui leur était dévolue. Avant qu'ils n'aient brûlé complètement leur réserve d'essence, d'autres chasseurs montaient les relayer. "C'est ce qu'on appelle le système de la permanence, fait encore observer le commandant Féquant, qui ne fut aboli qu'en 1918."
Dans ces randonnées. les aviateurs ont instauré des habitudes, des modes de vol en commun, pour tout dire, ils ont créé des patrouilles de chasse.
Très vite, les pilotes allemands apprirent à redouter les nôtres et ne risquèrent plus guère le combat avec nos patrouilles. Pour abattre « du Boche >›, il fallait avant tout le surprendre, ce qui était difficile à des meutes régulières, qui passaient à heures fixes, telles des rondes de vigiles.
Les meilleurs chasseurs demandèrent à leurs chefs l'autorisation de se livrer, en plus de leurs tours de rôle, à des incursions libres, par groupes de deux ou trois appareils, voire à des opérations de chasse solitaires. Ils restaient à l'affût à haute altitude, dissimulés dans la lumière du soleil qui éblouit, ou tapis dans les flancs des nuages. Avec brusquerie et prestesse, ils fondaient sur l'ennemi imprudent qui s'aventurait sans soupçonner leur présence.
Certains de ces chasseurs devinrent vite si habiles à cette escrime aérienne et obtinrent de tels résultats que le haut commandement les exempta des patrouilles régulières afin de les réserver à la chasse libre. Les as n'allaient pas tarder à naître.
Les exploits des as fascinent le public
L'espérance de vie des nouveaux
pilotes reste très faible. L'entraînement,
déjà, fait des hécatombes.
Au combat, l'erreur est fatale. Du
21 février au 1er juillet, plus de cent
aviateurs français (pilotes et
observateurs) perdent la vie dans
le ciel de Verdun. Face à la proximité
de la mort, la camaraderie est
la règle. Les pilotes partagent leurs expériences.
Ils Inventent et perfectionnent
le tir en piqué, utilisent
les nuages et le contre-jour pour
surprendre l'adversaire. Leurs exploits,
relayés par la presse, fascinent
l'opinion publique des deux
camps. Les as sont des stars. Les
duels entre cocardes tricolores et
croix noires forgent la légende des
Allemands von Richthofen, le fameux
Baron rouge, d'Oswald
Boelcke et de Max Immelmann.
Dans l'autre camp, à Verdun, on
trouve René Fonck, l'as des as
aux 142 appareils ennemis abattus,
Raoul Lufbery, un Franco-Américain
qui sert dans l'escadrille
La Fayette. constituée de volontaires,
Georges Guynemer, jeune
homme chétif dont l'engagement
a été refusé plusieurs fols, mais
qui compte déjà huit Victoires en
arrivant à Bar-Je-Duc, ou encore
Adolphe Pégoud, l'inventeur du looping. Ce dernier a six Victoires
au compteur lorsque, le 31 aoiît,
une balle le frappe en plein coeur.
Le pilote allemand qui l'a tué vient
lancer sur les lieux de sa chute une
couronne dont le ruban porte ce
message: De la part de son adversaire
à l'aviateur Pégoud, tué au
combat pour sa patrie. Entre pilotes
ennemis, l'hommage des couronnes
va devenir une tradition.
Et puis, bien sûr, il y a Navarre,
qui s'attaque souvent seul et sans
autorisation aux appareils ennemis
en formation. Au sol c'est un
noceur et un bagarreur. Dans les
airs, c'est un prodige. Volontaire, il
rejoint Verdun dès le 24 février.
Deux jours plus tard, il réussit le
premier doublé de la guerre. Il invente des
acrobaties, attaque tête en bas pour
rnitrailler l'ennemi par surprise. En
mail, premier Français à atteindre
les dix victoires, il reçoit la Légion
d'honneur avant d'être grièvement
blessé, le 17 juin, au cours d'un duel
au-dessus des Ardennes.