C'est généralement seul qu'opère le bracardier
Depuis longtemps a disparu l'image traditionnelle de la quete des blessés par deux hommes avançant d'un même pas dans le lourd silence de la nuit. C'est généralement seul qu'opère le brancardier. Il franchit le parapet en rampant et, d'un trou à l'autre, va vers le blessé, lui donne quelques soins élémentaires tout en essayant de le rassurer et de le réconforter, se range au plus près de lui, et, avec une technique affinée par l'expérience, le fait basculer sur son dos, assure au mieux sa stabilité, et, toujours en rampant, le ramène dans notre ligne. Si la blessure est trop grave il faut attendre une accalmie et revenir avec un brancard.
Les jours de grande casse des soldats apportent leur concours et comme il n'y a pas de brancards pour tous, le blessé est transporté dans une toile de tente nouée sur un rondin.
Au milieu des appels angoissés qui parfois les assaillent, les sauveteurs ne peuvent faire un choix ; ils relèvent les premiers rencontrés. Ce qui leur attire parfois les injures d'un malheureux égaré par la souffrance et qui se croit abandonné. Certains secourus tardivement seront morts lorsqu'on arrivera près d'eux, ou mourront de gangrène dans les moments qui suivent. Il arrive qu'en déposant le blessé on s'aperçoive que ce n'est plus qu'un corps inerte qu'on a ramené.
Il y a aussi le blessé tué sur son brancard pendant le transport quand ce n'est pas le brancardier lui-même qui est mortellement touché, ce qui provoque la chute brutale et douloureuse du blessé, ou sa mort. Mais également que de fois son intervention se limite à retenir un instant dans ses mains celles d'un pauvre agonisant. Cette pitié devant la misère et la mort se manifeste de la même façon pour l'adversaire malheureux.
Et ainsi de suite seront relevés tous les blessés. Les morts suivront.
Tous ces obscurs et sans grade
A Verdun encore plus qu'ailleurs, la recherche des blessés entre les lignes, leur transport, leur évacuation vers l'arrière sont des opérations laborieuses et délicates qui exigent force physique, volonté, courage, mais aussi du savoir faire : panser une plaie, poser une attelle, ligaturer un membre, arrêter une hémorragie et encore maintenir chez un moribond un espoir que l'on sait vain.
Par sa disponibilité, sa compétence, son courage tranquille le brancardier est dans chaque unité une figure attachante et populaire. Parmi les innombrables acteurs de ce drame que fut la Grande Guerre il occupe une place de valeur tout comme le coureur, le sapeur téléphoniste ou le sapeur mineur, le cuisinier de la roulante et l'homme de soupe, le territorial cantonnier de la Voie Sacrée ou conducteur des petits bourricots africains, l'ambulancier-infirmier et les conducteurs de tous ces engins si divers qui sillonnent les routes défoncées et les pistes impossibles de l'avant, tous ces obscurs, ces sans-grade, qui dans l'ombre accomplissent une mission ingrate au milieu des plus grands dangers et sans que rien de ce qui a été n'aurait pu être.