Départ vers l'enfer de Verdun

Verdun, 300 jours en enfer

Ils avançaient les genoux en avant, ployés sur eux-mêmes et zigzaguant comme pris de boisson... le regard morne, accablés sous leur barda, tenant à la bretelle leur fusil rouge et terreux... Ils ne disaient rien, ne geignaient plus; ils avaient perdu jusqu'à la force de se plaindre.
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26 février. — Chargés comme des mulets, avec nos pièces en plus de nos équipements, nous suons, geignons, soufflons pour avancer dans la terre glaise... A un certain moment, nous sommes croisés par deux fuyards dont l'un, ivre de sang et de terreur, nous crie : « N'allez pas là-bas ! n'allez pas là-bas I »
Soudain, un obus vient éclaircir nos rangs, des éclats rouges nous frôlent avec une vitesse prodigieuse, des blessés crient. Mais aussitôt, s'élève la voix calme de notre capitaine : « Serrez les rangs. »
Témoignage
N'allez pas là-bas ! n'allez pas là-bas I

La bandelette détrône la chausette

Départ vers les tranchées à Verdun
L'expérience nous a appris, surtout en période estivale, toute l'attention qu'il fallait apporter à soigner nos pieds, souvent blessés par des échauffements et des ampoules. Nous avons nos recettes : autant que possible pas de chaussettes, mais des bandelettes de toile légère enroulées autour du pied et des orteils préalablement enduits d'une sorte de graisse blanche appelée philopode qui nous est fournie par l'intendance. Mais pour avoir de la toile il faut recourir au système D, ce qui n'est pas toujours facile.
Nous voilà fins prêts. Le sac bouclé avec tout le barda qui n'en finit pas, l'équipement et les armes soigneusement revus dans tous les détails, les cartouchières bien garnies, de même que bidons et musettes, c'est le départ.
Nous traversons le Faubourg Pavé et c'est la longue file indienne d'hommes au gros dos rond et aux pas alourdis par la charge qui, dans les premières heures de la nuit, s'avance sur le bas-côté de la montée Saint-Michel, l'arme à la bretelle, les pouces passés sous la courroie du sac pour en atténuer la pesanteur coupante.

La côte 344 à Verdun (témoignage)

La relève à la côte 344 à Verdun
Ce soir nous allons prendre position à la côte 344. Très vite cessent les conversations et dans la file c'est le silence absolu, alors que dans le même temps la canonnade dont nous entendons le sourd grondement dans le lointain se rapproche plus menaçante et que le ciel s'illumine de lueurs sinistres de plus en plus vives et inquiétantes.
Ce spectacle n'a rien de nouveau qui puisse nous surprendre, cependant il règne ce soir dans nos rangs un malaise inhabituel, une troublante inquiétude. Si chacun est absorbé dans ses pensées et ses appréhensions, sachant qu'il va souffrir et que certains ne reviendront pas, il en est qui déjà sentent rôder la mort qui les attend là-haut.
Ces sombres pressentiments ne trompent malheureusement pas souvent.
Ceux que nous relevons viennent de passer de dures journées. Ils sont nerveux, inquiets, et ne cherchent pas à dissimuler la hâte qu'ils ont à quitter ces lieux. Leur impatience ne saurait nous surprendre, nous l'avons nous-mêmes ressentie plus d'une fois dans de semblables circonstances. D'ailleurs notre intérêt en ce moment se confond avec le leur : la relève est une opération grave et délicate qui demande beaucoup de soin et d'attention, certes, mais qu'il ne faut pas faire traîner inutilement.
Si l'ennemi, toujours aux aguets, avait vent de ce qui se passe devant lui, il ne manquerait pas d'exploiter l'avantage qu'il a sur une troupe non encore organisée.
Les consignes sont rapidement passées, un peu trop à notre gré, dans le souci que nous avons de bien connaître un secteur qui nous est nouveau et qui dès l'abord nous est apparu négligé et rempli de faiblesses : les quelques bouts de tranchées et de boyaux qui subsistent ont dans les meilleurs endroits moins d'un mètre de profondeur.
En un point la ligne n'est qu'une suite de trous d'obus dans lesquels sont tapis deux ou trois hommes. Aucun autre abri que celui bien illusoire du chef de section puisque ce n'est que l'entrée d'une sape effrondrée recouverte de quelques rondins qui résisteraient difficilement à un 150.
Les derniers relevés ont à peine disparu au tournant de ce qui sert de boyau que se déclenche un formidable bombardement, comme si toute l'artillerie d'alentour répondait au signal d'un mystérieux chef d'orchestre. La terre tremble. L'horizon est embrasé par l'éclosion d'une multitude de lumières : fusées de toutes les couleurs qui sillonnent le ciel, éclairs des éclatements d'obus.
Totalement surpris, nous sommes cloués sur place dans l'impossibilité de bouger. D'ailleurs où aller ? Il n'y a pas le moindre refuge. Quant à moi il n'est pas question de rejoindre mon P.C., et ce sera heureux car il va disparaître dans la tourmente.
Dans le tumulte assourdissant qui nous entoure nous devinons plus que nous entendons les appels des blessés et les cris des mourants qu'il nous est impossible de secournir, toute notre attention restant obligatoirement concentrée sur le déroulement de ce qui semble bien être le prélude d'une attaque. Nous savons que dès que le tir va s'allonger a ruée ennemie va fondre sur nous. Grande nt notre anxiété.
Tout à coup cesse le bombardement, aussi brusquement qu'il s'était déclenché, et Dieu soit loué, rien ne bouge.
Nous ne saurons jamais ce qui nous a valu cette avalanche de fer et de feu, nous aurons l'impression que l'ennemi toujours attentif et méfiant a senti qu'il se passait quelque chose qui pouvait être la mise en place d'une attaque et qu'il a voulu l'écraser dans l'oeuf.