L'esprit de Corps

Les poilus, soldats de l'enfer

Le soldat est devenu, en 1914, pour l'arrière, le poilu; l'expression n'a été reprise que plus tard par le front. Mais, dans les unités les soldats ne portent pas de nom spécial, ou bien ils l'empruntent à une appellation régionale.
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Lettre de Poilu... Salmagne le 17 septembre 1916

Ma chère maman,
Pas de ravitaillement. On est dans une boue faite d'eau, de terre et de cadavres putréfiés. Les blessés ne peuvent pas s'évacuer. Bref, c'est La pagaille, le désordre, la mélasse! Je préfère te dire franchement la chose. Aussi aujourd'hui je viens d'acheter pour 8 francs de boîtes de conserve: thon, sautnon, beurre afin d'avoir à manger et de ne pas renouveler Les touments de la Champagne.
La compagnie achète pour les hommes du chocolat et des nourritures constipantes pour combattre la faim et aussi pour éviter aux hommes d'aller aux cabinets car on ne peut pas remuer pour rien faire. Voilà Les beautés de La guerre . .. Je t'embrasse bien fort

Origines et professions des poilus

un prêtre dans les tranchées pendant la Grande Guerre
Les soldats ne sont pas identiques. Il y a d'abord, pour les diversifier, leurs origines géographiques et leurs professions. On trouve des ouvriers, dont beaucoup furent rappelés à l'arrière pour les fabrications de guerre, des paysans surtout, qui souffrent cruellement du massacre de la terre et du bétail, des artisans, des commerçants, des employés, des fonctionnaires, même des « intellectuels ».
Les ecclésiastiques mobilisés n'étaient pas tous, tant s'en faut, aumôniers divisionnaires ou de corps d'armée. Beaucoup d'entre eux, séculiers ou réguliers, participaient pleinement à la vie des tranchées. Ce qui contribua beaucoup à en faire disparaître l'anticléricalisme virulent, comme y resta inconnu tout antisémitisme.

L'autorité du galon

les officiers de la guerre 1914-1918
Le commandement a proclamé très vite, devant l'hécatombe des contingents actifs, qu'il n'y a plus de réserves; et, en effet, les divisions de réserve trinquent tout comme les autres depuis l'hiver 1914. Dans toutes les compagnies, les cadres subalternes sont, presque tous, des réservistes des catégories urbaines, à l'exception de quelques sous-officiers rengagés dont la guerre a fait des lieutenants ou des capitaines et que grise la pensée de ne plus prendre leur retraite comme adjudants-chefs.
Parfois aussi l'autorité du galon, supérieure à leur modeste condition, monte à la tête de quelques réservistes. C'était surtout le cas à l'arrière ou dans les états-majors. Mais au front, dans l'infanterie, les hommes sentirent vite qu'ils confiaient à bon escient, aux officiers dignes de ce nom, leur sécurité et leur vie et ce sont bien ces cadres inférieurs qui subirent la plus forte usure et les plus grandes pertes.
Les grades pourtant ajoutent leur différenciation à celle des caractères. Qui n'a été qu'officier manquera toujours de l'intelligence du reste de la troupe, l'élément essentiel de l'armée, le plus riche, mais aussi le plus impénétrable. Car, depuis qu'on vit dans les tranchées, l'officier bénéficie d'un confort supérieur, si sa responsabilité et ses soucis s'accroissent en sens inverse. Autre langage pour désigner les mêmes choses et autres conversations :
Dans les cagnas d'officiers, on parlait de femmes; chez les sous-officiers, d'annuités et d'avancement; les caporaux et soldats dissertaient pinard. Mais l'amour était rare, le pinard cher et le galon parcimonieusement distribué.

Les régiments spéciaux

L'esprit de Corps diversifiait aussi les états d'âme. Sans doute le bleu horizon et le kaki étaient-ils les mêmes pour tous. Pourtant le liséré du col et le passepoil de la culotte n'étaient pas de même couleur suivant les armes ou subdivisions d'armes.
La coloniale conservait sur le casque son ancre symbolique, comme les chasseurs à pied ou alpins leur cor, qu'arborait, en souvenir de son ancienne appartenance, le président Poincaré lorsqu'il visitait le front. Entre fantassins (formant un front commun contre les artilleurs, les cavaliers, l'intendance) se discutait la réputation, à quel prix chèrement acquise, de leur unité.
Qui, parmi les régiments d'élite, destinés spécialement au « casse-pipes », en avait fait le plus ? La division marocaine, la légion étrangère, le fameux 20e corps, certaines unités bretonnes ou du Nord, ou même quelques divisions de réserve engagées habituellement avec les premiers ? Les autres n'en étaient pas pour cela marqués d'infamie, comme le fut injustement le 15e corps, après Morhange, par un article du sénateur Gervais dans Le Matin. Pourtant l'homme des tranchées, si divers qu'il pût être, semblait s'être glissé dans une sorte d'uniforme mental.