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Bonaparte bouleverse
des habitudes séculaires

La révolte du Caire
le 21 octobre 1798

Triomphante, l'armée révolutionnaire entend civiliser la contrée. Avec nombre de savants, d'ingénieurs et même de dames. Hélas, les Egyptiens résistent à la marche du "progrès".

Un bon accueil aux soldats français

entrée de Napoléon au Caire
La déception du corps expéditionnaire de quelque 35 000 hommes qui débarque à Alexandrie, à partir du 1er juillet 1798, est immédiate et immense. Amas de ruines, ville abominable, la glorieuse capitale des Ptolémées est décrépite. Avec sa population réduite à 6 000 habitants environ, elle présente une image bien différente de celle attendue.
Les quatre jours terribles de traversée du désert en direction du Nil, sous une chaleur torride, ne contribuent guère à remonter le moral des troupes. Au Caire, la situation s'améliore. Une fois rassurée sur leurs intentions, la population cairote réserve plutôt un bon accueil aux soldats français. Très vite, ces derniers font affaire avec les petits commerçants de la ville. A la date du 26 juillet 1798, Gabarti remarque qu'ils ne sont pas dérangeants et qu'ils paient les marchandises au prix fort. Prompts à s'adapter, les Cairotes ouvrent toutes sortes de commerces d'alimentation pour satisfaire la clientèle. Les oulémas (savants) et les cheikhs, (dignitaires) qui composent l'élite égyptienne sont beaucoup plus réservés. Certains d'entre eux entrent au conseil ou diwan, réuni par Bonaparte, où ils jouent le rôle d'intermédiaire entre l'occupant et la population.

Une violation de leur intimité

Pour des raisons de sécurité et d'hygiène, Bonaparte bouleverse d'entrée de jeu des habitudes séculaires. Il fait enlever les portes qui ferment les darb, ou unités formées de ruelles et d'impasses composant les quartiers du Caire. Il impose l'éclairage des rues par les habitants eux-mêmes et fait infliger de lourdes amendes aux contrevenants. Pour prévenir les épidémies de peste ou limiter leur propagation, il ordonne de vider les rues de leurs ordures, de les balayer et de les arroser, d'aérer vêtements, tapis, literie. Pour vérifier l'application de la mesure, il fait inspecter les immeubles. Des femmes, habillées à l'occidentale, sont même recrutées pour visiter les harems. Bonaparte décrète l'inventaire des biens immobiliers et fonciers pour le cadastre. Les Egyptiens ne comprennent pas le pourquoi de ces décisions qui donnent lieu aux rumeurs les plus folles: volonté d'incendier les maisons, de piller. Ils n'y voient qu'une violation de leur intimité.

Français et Egyptiens se surprennent mutuellement

Les Français tentent toutefois de séduire les Egyptiens avec des amusements plus raffinés. Tivoli, sorte de parc de loisirs, est ouvert à tous moyennant une modeste contribution. Mais
les Egyptiens le boudent.
Gabarti évoque le théâtre et l'opéra qui réunis-
sent un public français, sans toutefois s'y aven-
turer lui-même. Autant de distractions bien éloi-
gnées des coutumes égyptiennes.
Français et Egyptiens se surprennent mutuellement par leur manière de manger. Les premiers s'étonnent de ce que les seconds s'assoient par terre et mangent avec leurs mains. Les Egyptiens découvrent que les Français s'installent autour d'une table sur des
chaises et mangent avec des couverts. Au cours des réceptions officielles, les Français se plaignent de l'attitude réservée des Egyptiens et de leur manque de gaieté. Pour eux, le comble est atteint lorsque ces réceptions égyptiennes sont assorties de musique aux sons jugés discordants.
D'autres habitudes françaises dégoûtent les autochtones. Gabarti s'indigne : « Les Français n'ont aucun souci de cacher leurs parties honteuses [...]. Quand l'un d'eux éprouve l'envie de faire ses besoins, il les fait en quelque endroit que cela se trouve, et même si c'est à la vue du public [...]. Ils n'enlèvent jamais leurs chaussures. Ils foulent de leurs pieds chaussés les tapis les plus précieux. »

Les français et les femmes égyptiennes

L'attitude des Français envers les femmes est une vraie pierre d'achoppement pour les relations franco-égyptiennes. Elle blesse et humilie profondément les Egyptiens. Ceux-ci sont d'abord scandalisés par le comportement des Européennes qui ont accompagné, en petit nombre, l'expédition. D'après Gabarti, elles se promènent dans les rues à visage découvert; elles montent à cheval ou à âne ; elles rient à gorge déployée et elles plaisantent même avec les loueurs de montures ! Choqués, les Egyptiens le sont bien davantage par la chasse aux femmes égyptiennes auxquelles se livrent des officiers, des soldats et même des savants. Mariages avec des filles de notables, concubinages, fréquentation des prostituées vont bon train. Les maladies vénériennes font des ravages. Elles emporteront 2 419 membres du corps expéditionnaire. Gabarti se désole. Des femmes quittent le voile et imitent les Européennes; elles se mêlent aux Français et se livrent avec eux à de véritables bacchanales. Bien des femmes paieront de leur vie leur compromission avec l'occupant après son départ.
L'imprimeur Antoine Galland avoue qu'avant l'occupation française une femme se promenant sans voile aurait été lapidée. De leur côté, les Français découvrent l'excision, mutilation sexuelle qui perdure aujourd'hui. Dans un pays où l'alcool est prohibé, sa consommation par les Français et l'ouverture de nombreux débits de boisson par des Grecs, qui s'empressent de répondre à la demande, n'attirent pas non plus la sympathie des Egyptiens. Gabarti s'étonne de la puérilité des soldats qui dépensent leur argent à louer des ânes avec lesquels ils font la course en riant, en criant et en chahutant avec les âniers. Il constate que ce commerce est tellement actif que les rues, surtout près des garnisons, sont encombrées de baudets à louer.
La campagne bouleverse d'entrée des habitudes séculaires
Des deux côtés, on est surpris par la manière de manger
bas
Les Français au Caire

« Les soldats français se promenaient dans les rues du Caire sans armes et n'y inquiétaient personne. Ils plaisantaient avec le peuple et achetaient à des prix très élevés tout ce dont ils avaient besoin. Ainsi ils payaient une poule un talari, un oeuf quatorze paras, c'est-à-dire ce que coûtaient ces choses dans leur pays. Cela encouragea le peuple à entrer en relations avec eux ; on leur vendait toutes sortes de provisions : des petits pains, du sucre, du savon, du tabac, du café, etc., mais toujours à des prix excessifs. De sorte que les boutiques et les cafés se rouvraient peu à peu ».

Témoignage d'Abdel Rahman el-Gabarti.