« J'étais infiniment touché, avouera-t-il dans ses souvenirs. Touché parce que c'était beau, et touché parce que c'était impossible. Pas une seconde je n'ai envisagé de rompre avec ma femme, pas une seconde ; mais si elle avait, elle [Simone], claqué la porte, j'aurais probablement refait ma vie avec Marilyn. Ou essayé. C'était le sens de la pente. Ça n'aurait peut-être duré que deux ou trois ans. Je n'avais pas trop d'illusions. N'empêche, ces deux ou trois ans, quelles années ! »
La double histoire d'amour, à l'écran et en dehors, s'acheva avec le dernier tour de manivelle du Milliardaire. Marilyn quitta Hollywood pour New York, où l'attendaient des essayages de costumes pour Les Désaxés, tandis que Montand restait à Hollywood pour négocier des contrats.
Le 30 juin, en route pour l'Europe, il fit une escale à New York. Marilyn vint le retrouver à l'aéroport pour un rendez-vous amoureux qui s'acheva en déchirante scène d'adieu sur la banquette arrière d'une grosse Cadillac. Montand lui dit qu'elle l'avait rendu heureux et qu'il espérait lui avoir donné lui aussi quelques instants de bonheur, mais qu'il n'avait aucunement l'intention de quitter sa femme.
Puis il s'envola pour Paris où Simone et les paparazzi l'attendaient. « Les Montand ont survécu à l'ouragan Marilyn », titra Paris-Match.
Marilyn, quant à elle, était une fois de plus rejetée sur le bas-côté.
Montand raconte dans ses souvenirs : J'avais Marilyn pour moi tout seul, et je ne le savais pas. C'est à ma partenaire, ma camarade, que je rendais visite afin de répéter... Chaque soir, en rentrant du studio, nous travaillons une heure ou deux. Quand elle se lève, à la fin, nous sommes encore sous la tension de la répétition, je fume cigarette sur cigarette, et puis elle sourit : « Bon, on va manger, maintenant ! » Je la regarde alors et je pense qu'elle est formidablement belle, saine, désirable — mais je ne la désire pas... simplement, je reçois cette énorme irradiation, l'impact de ce charisme rayonnant.
... Un jour, elle est vraiment fatiguée, hors d'état de répéter. Et moi, j'ai une scène délicate sur les bras. Je m'apprête donc à rentrer chez moi pour potasser de mon côté. Je croise Mme Strasberg : « Allez donc dire bonsoir à Marilyn, me dit-elle, vous lui ferez plaisir parce qu'elle est ennuyée de ne pouvoir travailler... » J'y vais. Je me rappelle que le salon était tout blanc, fauteuils blancs, rideaux blancs, une table noire, du caviar, et, comme d'habitude, une bouteille de champagne rosé. Je m'assois sur le bord du lit et lui tapote la main.
« Tu as de la fièvre ?
— Un peu, mais ça ira. Je suis contente de te voir.
— Moi aussi, je suis content de te voir. Comment s'est passée ta journée ?
— Bien, bien... »
Le dialogue le plus plat de la terre. Il me reste une demi-page à réviser pour le lendemain. Je lui fais le kissing good night. Et sa tête pivote, mes lèvres dérapent. C'est un baiser superbe, tendre. Je suis à moitié sonné, je bafouille, je me redresse, me demandant ce qui m'arrive. Je ne me le demande pas longtemps...
Lors de cette Trente-deuxième Nuit des Oscars, Shelley Winters fut désignée comme meilleure interprète de second rôle féminin et, devant un parterre d'étoiles, Yves Montand chanta et dansa Un garçon dansait en hommage à Fred Astaire qui l'avait appelé sur scène. Un tonnerre d'applaudissements salua sa prestation,
puis, comme le metteur en scène Vincente Minnelli l'invitait à rejoindre sa place, Montand répondit : « Mais non, c'est maintenant l'Oscar de la meilleure interprète féminine, et Marilyn a dit à Simone qu'elle allait l'avoir ! » Rock Hudson décacheta
l'enveloppe. Marilyn ne s'était pas trompée. Simone était attendue pour un tournage en Europe et, quelques jours plus tard, elle prit l'avion pour Rome, son Oscar sous le bras — et Marilyn resta avec le cher Yves.
Peu après le retour des Miller à Hollywood, Arthur s'envola pour l'Irlande afin d'y rencontrer John Huston et de lancer la production des Désaxés. Montand se demanda si sa connaissance approximative de l'anglais n'était pas en train de lui jouer des tours lorsque Miller lui dit au revoir en ajoutant à voix basse : « Advienne que pourra. »
Doris Vidor, une amie de Montand et des Miller, se souvient que Montand était « dans tous ses états » lorsqu'il l'appela au téléphone. « Il s'en va et me laisse avec Marilyn, dont l'appartement jouxte le mien ! s'écria-t-il. Comme s'il ne savait pas qu'elle est prête à se jeter dans mes bras ! » Doris se rappelle de sa réponse à Montand : « Yves, tout cela devient très compliqué. A votre place, je me méfierais. Qui vous dit qu'Arthur n'a pas fait exprès de s'en aller ? Il est peut-être las du fardeau qu'on lui fait porter, et trop heureux de s'en décharger aux pieds d'un autre... »