Lavandières, vivandières ou buandières
rideau
lavandieres

« Torchons et draps, moucheux de pouquette, Dans ma vie, j'en ai t'y lavé,
J'en ai t'y lavé de la liquette,
J'en ai t'y lavé du bonnet ! »
Nul besoin d'être Normand pour comprendre ce quatrain de carte postale dédié par Henri Ermice, libraire à Vire (Calvados), aux vivandières, lavandières, blanchisseuses et autres buandières. Le nom n'importe guère. Il désigne le même métier ou, plutôt, la même tâche qui, dans les campagnes, rythme la vie des femmes. Faute d'adduction d'eau, on lave le linge familial à la fontaine, au lavoir, à la rivière, à l'étang, dans les conditions les plus diverses. Les femmes bénéficient parfois d'une installation, sinon confortable, du moins pratique, mise à leur disposition par une municipalité ou un propriétaire avisés. On peut voir à Lyon, le long du Rhône, une suite de lavoirs pourvus de hauts tuyaux d'évacuation par lesquels s'échappent les fumées des chaudières dans lesquelles le linge a bouilli. Et les laveuses disposent de plates-formes où elles mettent le linge propre à sécher. Ces installations leur sont louées par les propriétaires des lieux, qu'on appelle « platiers ». Ils fournissent aux laveuses l'eau chaude dont elles ont besoin, le savon, l'eau de Javel, les cristaux.
De telles commodités sont rares. En règle générale, les femmes apportent elles-mêmes, avec le linge, tout ce qui est nécessaire à la lessive. Baquets et paniers, lourdement chargés, sont parfois portés par des ânes ou, plus généralement, transportés sur une brouette. Mais il est fréquent aussi que les lavandières se rendent au lavoir avec leur panier de linge sur la tête. L'indispensable planche à laver est souvent une sorte de boîte garnie intérieure-ment de paille afin de caler un peu plus confortablement les genoux, et qui porte des noms différents selon les régions, tels que « cabasson » en Gâtinais ou « baillot » en Charente.

buandieres

Si pénible soit-il, en hiver surtout, le travail des lavandières des campagnes et des bourgs ruraux n'a pas le même caractère que celui des laveuses professionnelles travaillant pour les blanchisseries commerciales ou indus-trielles des villes. On ne retrouve pas, dans l'activité de ces dernières, le pittoresque qui en atténue la dureté et qui a tant séduit les éditeurs de cartes postales.
Il faut du courage pour accomplir, par tous les temps et dix heures par jour, en bord de Seine ou à la buanderie, ce labeur consistant à battre le linge, à le tremper, le tordre, le savonner, l'essorer, le plier. Le seul moment de détente est l'heure de la collation, vers 3 heures et demie ou 4 heures de l'après-midi, lorsque la patronne offre aux laveuses le verre de vin ou le café. Mais le linge doit être prêt si l'on veut conserver
sa place. Une place qu'il faut payer 5 centimes de l'heure et qui rapporte de 3 F à 4 F par jour.
Celles qui pratiquent ce travail deviennent rarement centenaires. Très tôt, elles souffrent de rhumatismes, occasionnés par l'eau glaciale, ou de pleurésie, provoquée par les courants d'air. Les buandières meurent à 50 ou 60 ans, quelquefois plus jeunes, épuisées par l'effort
ou rongées par l'alcool. En outre, le linge souillé augmente les risques de tuberculose, ce fléau du siècle. Le danger est tel que, en 1905, l'Administration estime nécessaire d'intervenir dans les lingeries industrielles, pour sauvegarder tant la santé du public que celle des blanchisseuses.

repasseuses

Déjà, le transport en vrac du linge sale dans les trains de voyageurs, qui se faisait sans précaution aucune, est interdit. Désormais, ce linge ne pourra être introduit dans les ateliers qu'enfermé dans des sacs soigneusement clos. Avant tout triage et toute manipulation, le linge devra être désinfecté, en particulier celui en provenance des hôpitaux. Les ouvrières devront être pourvues de surtouts de protection et seront tenues de se laver à chaque sortie de l'atelier. Enfin, il leur sera interdit de consommer un quel-conque aliment ou une quelconque boisson dans les ateliers de linge sale... La condition de lingère-repasseuse n'a rien à voir avec celle de buandière. Souvent fine et jeune, la repasseuse fait un travail propre et délicat qui la rend proche de la cousette. Pourtant, le maniement du fer à repasser est un labeur pénible et peu rémunéré. Mais, déjà, se profile son remplacement par la machine à repasser. Fabriquée en France, une machine d'origine américaine permet de repasser, au besoin de glacer et d'apprêter les devants de chemises. On peut lire dans la revue la Nature du 27 juin 1903 que cet appareil est à même de répondre non seulement aux besoins du blanchisseur ordinaire, mais aussi à ceux du blanchisseur de luxe qui doit satisfaire aux exigences d'une clientèle mondaine.

vivandieres

La lessive pouvait se faire de deux façons : à la chaudière ou à la buée. La lessive à la chaudière se pratiquait surtout pour le linge de tous les jours, les chemises, les tabliers, les mouchoirs ou les bas de coton. « Elle avait lieu tous les mois, raconte Gérard Boutet, dans Ils étaient de leur village. La buandière fourrait les nippes dans la "casse" en fonte remplie d'eau. Elle y jetait une poignée de cristaux de soude et elle allumait le petit foyer de la chaudière jusqu'à ébullition de l'eau. Les fripes trop sales étaient frottées à la brosse en chiendent, sur une longue et haute selle dont les usages répétés avaient poli la planche. Le premier rinçage se faisait dans un baquet d'eau où la laveuse avait dilué quelques gouttes d'extrait (eau de Javel). Dans le second et dernier rinçage baignait une boule de "bleu" emmaillotée de chiffon. Les guenilles qui ne méritaient plus d'être ravaudées finissaient en "pénuffes", c'est-à-dire en chaussettes russes dans les sabots. » Gérard Boutet note également que la casse de la chaudière servait également à cuire les pâtées à bestiaux !

blanchiseuses
La buée était la lessive que l'on pratiquait deux fois l'an: à Pâques et à la Nativité de la Sainte Vierge. La corvée était si pénible qu'on s'entraidait entre voisines. La veille, un charretier voiturait ou brouettait les ballots de linge à l'endroit convenu, au bord de la mare, de la rivière ou de l'étang. On amassait les draps et les grandes pièces d'étoffe. Pendant une couple de jours, chaque sorte de linge était mise à tremper en une eau dans laquelle on avait dilué des cristaux de soude et des copeaux de savon. Au besoin, un brossage énergique débourrait les effets vraiment trop crasseux. L'essange terminé, on s'installait. Un grand cuvier de bois, la "jalle", était posé sur un trépied. Enfoncée dans la bonde de cette jalle, une gouttière s'inclinait vers la casse d'une chaudière contenant, si possible, de l'eau de pluie. Un sac de cendre tapissait le fond du cuvier; on disposait dessus des planches de châtaignier que l'on recouvrait d'une toile épaisse, le "charrier", afin de protéger le linge dont on remplissait le cuvier.
La besogne commençait alors, répétitive, éreintante, rompant les bras et détraquant les poitrines. Il s'agissait de procéder au "coulage". On allumait le foyer de la chaudière. Dès que l'eau se mettait à bouillotter dans la casse, on la "puchait" à l'aide d'un puisard à long manche et on en arrosait le contenu du cuvier. L'eau nettoyait lentement le linge qu'elle traversait, puis, par la goulotte, retournait à la casse où elle chauffait de nouveau. Ce transvasement en circuit fermé durait huit heures d'affilée, une journée entière. On le continuait tant que les lavures ressortaient tiédasses. Si l'ouvrage n'était pas achevé quand tombait le soir, la laveuse couvrait le cuvier avec des sacs à grain, de manière à retenir dans le linge une vapeur active.
Le lendemain était consacré au rinçage: on tordait le linge, on lui faisait pisser son jus, on le retrempait dans un baquet d'eau javellisée, on le retordait, on le rinçait encore; enfin on l'étendait sur les buissons d'alentour ou sur l'herbe d'un talus, au plein soleil.
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