Supertitions et traditions chez les lavandières
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Octave Uzanne, dans Parisiennes de ce temps, ouvrage paru en 1900, parle de la dure vie des femmes de lavoir, « située au plus bas degré de la corporation. (...) Le lavoir où elle se casse les reins, ployée en deux, à rincer à grands coups de chien, à taper à larges coups de battoir le linge étuvé, est un vaste hangar, ouvert à tous les vents, où en toute saison elle vit, les bras plongés dans l'eau, suant et grelottant à la fois, tant elle met d'action à tremper, couler, savonner, frotter, essorer, sécher et plier la marchandise ».
C'était un métier de maîtresses femmes, de femmes fortes, courageuses et costaudes. C'était un métier de « fortes en gueule ». Elles avaient même la réputation d'être de sacrées buveuses, si l'on en croit Octave Uzanne : « La femme de lavoir ne supporterait pas cette existence enragée si elle ne buvait ; l'alcool la brûle et la soutient. C'est une pocharde terrible, et elle ne sort guère d'un état de demi-ébriété furibonde. » Uzanne poursuit son étude de moeurs et reconnaît en elles des dames plutôt dévergondées, ce qui n'était pas sans déplaire aux hommes. Elles battaient la mesure à grands coups de battoir. Les langues y étaient aussi agiles que les bras qui lavaient. Elles maniaient le cancan aussi sûrement que la brosse. Et, les crêpages de chignon n'étaient pas rares. Témoin la scène racontée par Zola, cette bagarre mémorable entre une Gervaise offusquée et une dénommée Virginie, jolie fille impudente, dont la soeur venait de conquérir Lantier, l'amant de Gervaise. Commencée à coups de seau d'eau, l'échauffourée se termina par une retentissante fessée administrée par Gervaise sur le derrière rebondissant de Virginie.

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Au lavoir, il y avait toujours cinq à six femmes en besogne. Chacune d'elles apportait son lot de linge sur sa brouette. Le volume variait selon les familles, le nombre d'enfants, la profession ; il doublait chez les commerçants de bouche pendant la période des fêtes. Les clients fournissaient le bois de chauffage nécessaire à leur lessive. En plus des deux chaudières, le lavoir était équipé de plusieurs selles et de tréteaux servant à l'égouttage.
Au printemps durant la tondaison des moutons, on y dessuintait également les toisons. Les lavandières étaient payées à l'heure; seules quelques-unes, habitant au loin, restaient à déjeuner sur place. Les soirs d'hiver, elles ne rentraient qu'aux lampes allumées. Les gens qui soupaient derrière leurs volets clos, bien au chaud, entendaient piauler les brouettes dans la nuit. Les lavages ne s'interrompaient qu'à la saison des grands gels, quand les glaces frangeaient lesberges [de la rivière] et que l'onglée des doigts violacés s'aggravait en engelures crevassées. [...]
Les femmes s'affairaient debout, la brosse à la main, piétinant des journées entières à côté de leur selle. Ailleurs, elles s'agenouillaient coude à coude derrière les larges planches du rebord qui s'enfonçaient dans la rivière, à l'oblique,pour frotter le linge dessus et le taper au battoir; autre part enfin, elles se prosternaient dans un "cabasson" garni de paille, sorte de caisse pourvue, sur le devant d'une tablette rainurée.
Parfois, plouf !' L'une d'elles déséquilibrait son agenouilloir en tentant de rattraper un drap entraîné au fil de la rivière, et, la tête soudain plus lourde que le popotin, chavirait dans le courant. Vite on repêchait le cabasson, le linge et la pauvrette qui n'avait plus qu'à courir chez elle, les nippes dégoulinantes, pour s'y revêtir de sec.

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La lessive obéit à certains rites et superstitions. Il est de règle de ne pas la faire le vendredi saint, car ce serait laver le linceul de quelque membre de la famille. Les trois jours des rogations, en mai, sont aussi proscrits. Contrairement à ce que pourraient le laisser croire les nombreuses cartes postales sur le sujet, la corvée du linge n'est pas, à la campagne, une activité fréquente.
D'après Eugen Weber, le blanchissage du linge familial n'interviendrait, vers 1914, en Mayenne, que deux ou quatre fois par an. Il en serait de même dans le Morbihan et dans l'Aunis. Le long intervalle entre deux lessives expliquerait la présence, dans les maisons, des énormes coffres et armoires où s'entassent les piles de draps et les chemises de rechange. Mais celles-ci se portent longtemps et ne s'enlèvent pas pour dormir. Le linge de table n'existe pas. Les sous-vêtements ne font pas encore vraiment partie des habitudes rurales.

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En Bretagne, un nouveau-né ne se ferait pas vivre si sa première chemise, quand on la lavait, coulait au fond du lavoir; au contraire, le bambin promettait d'être un solide gaillard si elle flottait. En maintes régions, on faisait une lessive exceptionnelle après un décès, mais on se gardait de mêler la literie et les effets du défunt à tout autre linge. C'était à cette condition que les héritiers se lavaient du mal qui avait emporté le disparu.
En Angoumois, une femme ne devait pas entreprendre de buer pendant ses périodes menstruelles, ni lorsqu'elle était en attente d'enfant, sous peine de gâter la lessive. L'impie qui osait faire la "bugade" le jour de la Toussaint, ou pendant la Semaine Sainte, se condamnait à préparer son linceul; à tout le moins, celui de son maître. Une sorcière, à l'instar des gourgandines qui n'ont point les fesses propres, ne parvenait jamais à obtenir des draps d'une blancheur irréprochable.
Dans les Vosges, une jeune fille était condamnée à épouser un ivrogne si, au lavoir, elle mouillait le devant de son tablier. En Lorraine, par crainte de rétrécir le linge, on ne lavait jamais pendant les trois jours de jeûne que les catholiques observaient au début de chaque saison.

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Superstitions.
Toute ménagère était maudite si elle lavait ses frusques le Vendredi saint; car selon une légende, Jésus aurait glissé dans une flaque d'eau savonneuse, répandue par une lavandière sur le chemin de la Croix. En Beauce, c'était pire: il suffisait de nettoyer son linge un vendredi pour en mourir. En général, il y avait danger de mort à décrasser ses frusques pendant les Rogations. En Lorraine, quiconque coulait sa lessive pendant l'octave de la Toussaint ou entre Noël et le Premier de l'an, attirait le malheur sur lui et sur les siens; de même, il n'était pas recommandé de laver ses habits pendant la nuit. Les Bretonnes ne trempaient jamais leur linge le premier jour de nouvelle lune, par peur de le retirer rétréci ou déchiré.
En Provence, certaines sorcières avaient le pouvoir d'empêcher le linge d'être lavé de ses souillures : ce méfait consistait à "masquer la lessive".
En Berry, les "laveuses denuit" désignaient les défuntes qui, pour racheter leur vie dissolue, passaient leur éternité à nettoyer les suaires des damnés. Ces linges d'outre-tombe prenaient l'aspect des brumes qui rampent sur les étangs; on pouvait les confondre avec l'âme des enfants trépassés avant baptême. Les fées de la Basse-Normandie blanchissaient leurs effets, au clair de la lune, dans le ruisseau du Hubilan ; ce faisant, elles s'entre-appelaient à voix forte, afin d'épouvanter les attardés qui passaient dans la vallée.
En Limousin, les lavandières nocturnes, toutes chargées de péchés, gagnaient le paradis lorsque leur linge était propre; mais en vérité, elles ne parvenaient jamais à ce résultat, car ce diable de Satan remuait constamment l'eau vaseuse autour du lavoir !
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