Peu après l’aube, Hitler et son escorte quittèrent en hâte Munich pour Wiesse. Ils trouvèrent Röhm et ses amis encore à l’hôtel Hanslbauer. Le réveil fut brutal. Hitler entra seul dans la chambre de Röhm, lui donna une robe de chambre et ordonna qu’on le ramenât à Munich.
Après bien des hésitations, Hitler, dans la nuit du vendredi 29 juin au samedi 30 juin 1934, se décide à agir. Il vient de tenir une dernière réunion au bord du Rhin, à Godesberg, avec Goebbels, et, aux alentours de minuit, il s’envole pour Munich. A quelques kilomètres de la capitale bavaroise, dans une pension tranquille, la pension Hanselbauer, située à BadWiessee, au bord du Tegernsee, la plupart des chefs SA sont réunis. Quand Hitler arrive sur l’aérodrome de Munich Oberwiesenfeld, il est 4 heures du matin. Les SS de la Leibstandarte Adolf Hitler, commandés par Sepp Dietrich, sont déjà à pied d’oeuvre. Dans toute l’Allemagne, Himmler, Heydrich, Göring ont pris leurs dispositions. Samedi 30 juin 1934, La nuit des longs couteaux commence : mais ce ne sera pas les SA qui en seront les acteurs. Ils n’en seront que les victimes.
Munich, ministère de l’Intérieur, entre cinq et six heures du matin, ce samedi 30 juin 1934 : Hitler arrive. Des SS ont pris position devant le ministère, d’autres SS alertés se présentent par petits groupes. Ils savent que l’heure de l’action contre leurs rivaux SA est enfin venue. Ils sont prêts à obéir.
Dans le bureau du ministre de l’Intérieur de Bavière, Wagner, le Führer s’en prend à l’Obergruppenführer SA Schneidhuber : Qu’on l’enferme, crie-t-il, ce sont des traîtres.
Le Gruppenführer SA Schmidt, convoqué, est, dès qu’il est mis en présence de Hitler, insulté. Le Führer lui arrache ses galons : Traître, vous serez fusillé ! lance le Führer.
Dans Munich, autour de la Maison Brune où de nombreux SA sont rassemblés, des SS montent la garde. Ils ont ordre de ne laisser sortir aucun SA. Déjà des voitures chargées de SS filent dans les rues : bientôt des victimes désignées. tomberont sous les coups des tueurs de l’Ordre noir. A la gare, des SS envahissent les quais : il s’agit d’arrêter à leur descente du train les chefs SA qui viennent à Munich, convoqués par Rôhm afin de l’assister à une grande confrontation prévue depuis des mois entre les SA et leur Führer Adolf Hitler. Mais aujourd’hui la réunion n’est plus qu’un piège où va tomber tout l’état-major des SA.
Hitler en a fini au ministère de l’Intérieur : vers six heures, alors que le jour est déjà levé, il donne l’ordre de former un convoi et de se rendre à Bad Wiessee au bord du lac de Tegernsee. Là, dans la pension Hanselbauer, on pourra s’emparer de Rôhm et de ses camarades.
Vers six heures trente, les voitures qui ont roulé vite sont déjà proches de Bad-Wiessee. Quelques , kilomètres avant la station thermale, un camion chargé des SS de la Leibstandarte Adolf Hitler et de leur chef Sepp Dietrich se joint au convoi. La pension Hanselbauer est située un peu à l’écart, au bord du lac. Dans le silence matinal les SS bondissent, Hitler les suit, revolver au poing. Bientôt les portes sont défoncées, les SS courent dans les couloirs encore sombres, les cris gutturaux éclatent, et déjà les injures.
Les chefs SA ensommeillés, menacés de mort, avancent dans les couloirs sous les coups et les hurlements dans la demi-obscurité.
L’un , d’eux, Edmund Heines, est surpris avec un jeune SA qu’il a gardé contre lui toute la nuit, dans son lit. Goebbels dira : C’est une de ces scènes dégoûtantes qui vous donnent envie de vomir. Heines insulté, arrêté, menacé d’être abattu immédiatement, tente de résister. Brückner l’étend de plusieurs coups de poing. Heines à demi assommé ne comprend pas.
Dehors, dans le couloir, brusquement, le silence s’est fait. Hitler et de nombreux SS sont rassemblés devant une porte : c’est la chambre de Röhm. Le Führer est là, le revolver au poing : derrière cette mince paroi de bois, il y a son camarade, le temps passé, tout un versant de sa vie qui va s’abolir.
Un policier frappe à la porte, puis le Führer lui-même se met à hurler et quand Röhm questionne, c’est lui qui répond, se précipite : il insulte, il crie à la trahison, il menace, crie à nouveau à la trahison. Röhm est torse nu, son visage est rouge, gonflé par la nuit écourtée : on distingue sur ses muscles adipeux la trace des cicatrices. Il se tait d’abord, puis mal réveillé, comprenant lentement, il commence à protester. Hitler hurle, déclare qu’on lui manque de respect, et annonce qu’il met Röhm en état d’arrestation. Et il court vers d’autres chambres cependant que des SS surveillent Ernst Röhm dont la puissance vient de s’effondrer, en quelques minutes, et qui n’est plus qu’un homme corpulent qui s’habille avec difficulté sous les regards ironiques des SS.
Dans une autre chambre, on s’empare du Standartenführer Julius Uhl. Plus tard, Hitler commentant la liquidation des SA déclarera : Un homme avait été désigné pour me mettre complètement hors du jeu : le Standartenführer Uhl a avoué, quelques heures avant sa mort, qu’il était prêt à exécuter un ordre pareil sur ma personne.
Les prisonniers sont, au fur et à mesure, poussés vers la cave, placés sous bonne garde : des SS, des agents de la police politique de Bavière, les surveillent l’arme au poing. Bientôt Hitler, Goebbels, Lutze, Brückner, Maurice, Dietrich ressortent dans le jardin. Face à eux, le lac, coupé maintenant par une bande claire de lumière, est à peine ridé par une brise douce. La paix, les grands arbres, la mousse et l’herbe humide de rosée. Goebbels rit et des SS, eux aussi, parlent fort, avec la joie de ceux qui l’ont emporté plus facilement qu’ils ne l’escomptaient.
Hitler est entouré : il ne parle pas, il paraît écouter ses hommes qui commentent les quelques instants qu’ils viennent de vivre. Il se tait. Il a joué et gagné. Autour de lui la détente : dans les voix, dans les gestes. Mais Hitler sait qu’une partie n’est gagnée que lorsqu’elle est finie, que les adversaires sont morts.