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Le 14 juillet 1936

La victoire, en 1936,
du Front Populaire

L'après-midi, 400 000 personnes prennent part à l'immense cortège du Front populaire qui se déroule de la Bastille à la République.
Dans la tribune, Blum tend le poing, Thorez lève une main ouverte.
— Amis, restons toujours unis! s'écrie Blum.
— Le parti radical-socialiste, affirme Daladier, m'a donné le mandat de déclarer ici qu'aucune réforme ne saurait l'inquiéter!
L'après-midi du 14 juillet fut triomphant. Albert Bayet écrivit le lendemain : C'est l'esprit du 14 juillet 1789, de la Révolution française qui s'est réveillé.
Beaucoup crurent sincèrement ce jour-là qu'une ère nouvelle commençait qui verrait se développer dans la paix une société juste et fraternelle. L'euphorie du 14 juillet n'allait pas tarder à se détériorer.

Le picnic de la place de la Bastille

le 14 juillet 1936
La grande fête populaire, le défilé de la fraternité retrouvée, c'est donc cet après-midi du 14 juillet qu'il se déroule de la Bastille à la Nation.
Dès midi on a commencé à affluer aux deux points de rassemblement du cortège, place de l'Hôtel de Ville et place des Vosges. Cependant que la foule, qui ne veut rien perdre du spectacle, pique-nique tout le long du parcours et en particulier place de la Bastille.
Là, règne une véritable atmosphère de kermesse, accrue encore par les baraques foraines, les manèges, les balançoires qui s'y installent traditionnellement chaque 14 juillet. On se rue sur les marchands de frites et de gaufres, on dévalise de vin rouge les bistrots du voisinage, et assis en famille au bord des trottoirs on saucissonne -dans la joie. Si le soleil était le la fête, le plaisir serait complet.
Des quêteurs passent dans la foule, et des petits marchands éclectiques qui vous proposent, au gré de vos opinions, cocardes tricolores, églantines ou petits bonnets phrygiens pour votre boutonnière. Montés sur le toit de taxis qui sillonnent les avenues environnantes, des jeunes gens en chemise bleue et cravate rouge embouchent de haut-parleurs et entonnent l'Internationale que reprennent gentiment les camarades entre deux rasades. Parfois ils font huer les « fascistes » : La Rocque et Doriot sont leurs bêtes noires de prédilection. On en a même fait des petits pantins que proposent les camelots.
Près de la Colonne de Juillet où flottent drapeaux rouges et tricolores et les pavillons de toutes les provinces de France, on a édifié une grande tribune pour les musiciens du Rassemblement Populaire et les chorales. Tous les grands ancêtres figurent sur les panneaux de cette tribune sous forme d'énormes portraits : Rouget de L'Isle et Degeyter, le musicien de l'Internationale, trônent entre Marat et Robespierre; Hugo, Barbusse et Jaurès côtoient Voltaire, Diderot et Rousseau.

Les défilés populaires

Les défilés populaires le 14 juillet 1936
Quatorze heures : En deux énormes tronçons, l'un par la rue de Rivoli et la rue Saint Antoine, l'autre par le bd Beaumarchais, le cortège s'ébranle pour gagner la Nation où ils vont confluer en un fleuve immense. En tête du premier défilé, l'Harmonie socialiste qui bat tambour, et va jouer alternativement l'Internationale et la Marseillaise. Au premier rang on reconnaît : Thorez, Cachin, le président de la Ligue des Droits de l'Homme Victor Basch, son crâne d'ivoire dodelinant au-dessus de sa lavallière, les savants Langevin et Jean Painlevé.
Dans le second cortège, derrière une fanfare et un cordon de service d'ordre, en brassards rouges, bras entrelacés, c'est aux vétérans de la Commune qu'on a donné la première place.
Sur la bannière rouge que porte le vénérable Vallette et qu'escorte son inséparable compagnon Blanc, popularisé par sa grande barbe blanche et son bonnet de coton, on peut lire « France 1871, Russie 1917, Bulgarie 1923, Autriche 1934, Espagne 1934 ». Puis voici les grands invalides de guerre, dans leurs petites voitures, et les amputés, clopinant sur leurs béquilles, la poitrine couverte de médailles. Cet immense portrait bordé de rouge et noir qui précède les anciens combattants républicains, c'est celui d'Henri Barbusse, l'auteur de « Feu », qui défilait encore au 14 juillet 1935 et que la mort a emporté peu après.
Le flot roule sur des kilomètres, frémissant de drapeaux, hérissé de pancartes, dont la première dit « Notre amitié sauvera la paix ». Une cravate sur deux est rouge, et rouges les robes des petites filles, et rouges les ceintures des garçons. Précédés de la clique d'Alfortville, cette jeunesse s'avance, scandant de sa voix encore grêle « La jeune garde ». En chemisettes blanches, bleues, kaki, rouges, voici les « patro » laïcs, puis les « Faucons rouges » et les pionniers.
C'est à ces jeunes, que le premier sous-secrétaire d'état de notre histoire aux Sports et Loisirs, le socialiste Léo Lagrange, vient de dire bucoliquement en ce début de vacances et de congés payés : « Partez le long des routes, des chemins, des sentiers. Chantez ensemble. Mêlez-vous à vos camarades paysans. Retrouvez-vous dans les auberges de la jeunesse ». Ils vont écouter son appel, ces jeunes; par milliers cet été-là ils feront de l'auto-stop aux portes de Paris, ce qui scandalise encore bien des bourgeois.
Les comités des grandes organisations ouvrières s'avancent maintenant portant des brassards rouges, et les élus du Front populaire ont noué l'écharpe tricolore sur leurs vestons. La province est là, tachant de notes folkloriques ce moutonnement humain, avec à sa tête le groupe dauphinois de Vizille — pantalon blanc, gilet bleu, bonnet rouge qui rappelle avec fierté qu'il fut en 1788 « le berceau de la Révolution française ».
Les femmes n'ont pas été oubliées. Les voilà en longues cohortes, les cent premières en bonnets phrygiens, des gerbes de blé dans les bras. Il ne leur suffit pas qu'on leur ait accordé comme une aumône trois femmes au gouvernement, Irène Joliot-Curie à la Recherche Scientifique, la petite et chétive institutrice de Dordogne Suzanne Lacore à la Protection de l'Enfance, et la corpulente et autoritaire épouse du philosophe Brunschwig à l'Éducation Nationale.
Elles veulent l'égalité des droits, et d'abord le droit de vote que leur refusent obstinément les sénateurs. Leur pancarte le proclame : « Donnez des droits à celles qui donnent la vie ».
Place maintenant aux intellectuels. Sur le front des « amis de l'U. R. S. S. s'avancent les têtes de Gorki, Lénine, Staline. Suit la Maison de la Culture avec, autour de Léo Lagrange, Jean Cassou, André Malraux, Paul Nizan — qui demain dans « l'Humanité » consacrera sa chronique littéraire à « Mort à Crédit » de Céline — Elie Faure, Charles Vildrac, des journalistes comme Ch. Gombault, des artistes, des cinéastes, et tous ces comités « antifascistes » qui depuis deux ans fleurissent partout.
Enfin, c'est l'immense armée des travailleurs, les 25 000 métallos de Renault, les mineurs du Nord en casque de cuir et serre-tête bleu, le textile, les ouvriers du bâtiment, tous ceux qui, six semaines plus tôt, faisaient flotter le drapeau rouge sur les usines, jusqu'au syndicat des casquettiers, qui initiateur de ce Rassemblement, avec lyrisme, Duclos et Jouhaux en réclamant la poursuite des objectifs populaires. Le radical Daladier avec plus de circonspection et en insistant pour que « la propriété individuelle, fruit du travail et de l'épargne, soit préservée. »

Le discours de Léon Blum

14 juillet 1936: Le discours de Léon Blum
Léon Blum, qu'on voit debout à côté de son ministre de l'Intérieur Roger Salengro, qu'une campagne haineuse sur son attitude militaire pendant la guerre poussera dans quelques mois au suicide, Léon Blum est le dernier à parler. Certes, le président du conseil promet des nationalisations, de grands travaux pour résorber le chômage, le contrôle des prix qui manifestent déjà des signes de fièvre.
« Amis, restons toujours unis, adjure-t-il. Prêtons-en le serment de nouveau ». Mais sa voix devient pathétique lorsqu'il supplie que « du côté des masses populaires, l'on sente le danger de l'impatience et de la précipitation ». Lui qui sait par Vincent Auriol, son ministre des finances, l'inquiétude des possédants, et l'exode commencée de nos capitaux vers l'étranger, lui qu'inquiète la surenchère de ses alliés communistes en matière sociale, il réclame instamment « de ne pas prolonger dans le pays un état de malaise et d'alarme ».
Son discours est accueilli avec les mêmes clameurs enthousiastes. Le peuple de Paris a confiance en son destin. Il n'entend pas les Cassandre. Il est uni, fraternel. D'un même coeur, d'une même voix, il clôture la fête par une Internationale. suivie d'une Marseillaise.
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