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La culture des loisirs

L'été des premiers
congés payés

Le 11 juin 1936, par 563 voix contre 1, la Chambre vote la loi instituant deux semaines de congés payés.
Adoptée par le Sénat, le 17, elle entre immédiatement en vigueur.
Ce qui ne fut longtemps qu'un espoir et un rêve devient enfin une réalité pour les travailleurs.
Et ce ne sont pas les 153 millimètres de pluie du mois de juillet
qui vont décourager l'éclosion de ce nouveau « tourisme populaire ».

Une victoire du Front Populaire

les premiers congés payés en 1936
En juillet 1936, Léo Lagrange, sous-secrétaire d'État à l'Organisation des sports et loisirs, convoque les directeurs des différentes compagnies de chemin de fer (leur nationalisation et la création de la SNCF n'interviendront qu'en 1937). Les "billets populaires de congés payés" avec 40 % de réduction sur les troisièmes classes sont obtenus à l'arraché quatre jours avant le lundi 3 août, date du départ du premier train spécial pour la Côte d'Azur.
Grâce aux congés payés et aux "billets Lagrange", bon nombre d'ouvriers, de petits employés vont pour la première fois découvrir la France, en particulier les bords de mer. Les Français rencontrent les autres Français... mais certains bourgeois n'ont pas envie de faire connaissance avec n'importe qui. Leurs réactions sont parfois comiques.
Le Canard enchaîné du 12 août montre une rombière qui se fait installer une baignoire au bord des vagues : "Vous ne pensez pas que je vais me tremper dans la même eau que ces Bolcheviks !" Léon Blum, jugé en 1942 au procès de Riom sur la responsabilité du Front populaire dans la "décadence de la France", déclarera : "Je ne suis pas sorti souvent de mon bureau durant cette période. Mais quand j'ai vu les routes couvertes de théories de tacots, de motos, de tandems, avec ces couples d'ouvriers vêtus de pull-overs assortis et qui montraient que l'idée de loisir réveillait chez eux une sorte de coquetterie naturelle, j'avais le sentiment d'avoir apporté une embellie, une éclaircie dans des vies difficiles, obscures."
S'il est en effet une image qui restera de la victoire du Front populaire, c'est bien celle des départs massifs des salariés de la région parisienne pour ces premiers congés payés

Une culture des loisirs

À son rythme, une réflexion sur les loisirs s'est élaborée au cours des années 30 dans l'ensemble de la classe politique, que ce soit à gauche, chez des pionniers de droite ou chez les catholiques. Au sein du Front populaire, elle a pris une forme plus aboutie. Léon Blum, conscient depuis 1919 de la nécessité d'organiser les loisirs, déclarait déjà en 1934 : "Le problème des loisirs ouvriers devient le plus important des problèmes politiques. Le loisir devient presque plus important que le travail (...) Le loisir, au lieu d'être un court moment de repos, de récupération des forces, deviendra au contraire la part la plus importante de la vie."
Dans la réflexion globale du Front populaire sur les loisirs s'esquisse également une politique culturelle — au sens moderne du mot —, au nom de l'importance politique que peuvent prendre les loisirs et activités culturelles. Avec l'arrivée au pouvoir du Rassemblement, une politique d'État se met donc en place pour l'organisation des loisirs, qui après la Libération donnera naissance à l'administration de la Jeunesse et des Sports.

Le Front populaire préviligie l'action collective

Le front populaire et les vacances de l'été 1936
Comme on l'a vu, le Front populaire, privilégiant l'action collective, fédère depuis 1935 de multiples associations culturelles spécialisées (lecture, radio, musique...), qui conservent leur autonomie intellectuelle et leur latitude d'action : elles sont au total plus d'une centaine, dont la plupart ont été créées entre juillet 1935 et juillet 1936. Beaucoup joueront un rôle important dans le développement des sports et loisirs : l'association des Maisons de la Culture, qui a remplacé l'AEAR en 1935 ; le schéma idéal d'une "maison de la culture", exposé en juillet 1936, regroupe une chorale, un orchestre, un groupe théâtral, une association de peintres, une autre de photographes, un groupe de cinéma, un groupe de camping...
le mouvement "Mai 36", collectif populaire d'art et de culture, fondé au coeur des grèves de juin par des militants de la SFIO ; les groupes "Savoir", indépendants des partis politiques, soutenus par l'hebdomadaire Vendredi ; ces petits groupes décentralisés proches des Auberges de la Jeunesse naissent en juillet 1936 autour d'André Combe pour "créer une école du savoir et de l'amitié".
Les grands partis politiques participent également à ce mouvement par le biais d'associations créées pour l'occasion. Par ailleurs, de nouveaux questionnements liés aux loisirs se posent dans les organisations politiques (comme la Ligue de l'Enseignement) et syndicales (comme la CGT).
Avec l'instauration de l'éducation physique à l'école, on cherche à développer le sport de masse contre le sport spectacle : bientôt sera créé un "brevet sportif populaire".
La période marque aussi l'essor des clubs sportifs d'entreprise, où l'initiative syndicale remplace l'initiative patronale. Parallèlement, les syndicats commencent à acheter des châteaux (ou des propriétés rurales), qui sont aménagés en lieux de loisir pour leurs membres : séjours de congés payés, de fin de semaine, colonies de vacances. Ainsi, les syndiqués prennent en main leurs propres loisirs.
Enfin, en avril 1937, une circulaire de l'Éducation nationale encourage, par un recensement des lieux d'accueil dans les écoles rurales, les colonies de vacances.
Au fil des mois, le sous-secrétariat de Lagrange fait preuve de beaucoup d'imagination dans le domaine touristique et des réseaux de loisirs s'organisent pour trois catégories distinctes de la population : camps de vacances et colonies pour les enfants ; auberges et relais de vélos pour les jeunes gens ; hôtels et campings pour les adultes.
Si l'image en est moins présente dans les esprits, il faut aussi mentionner les congés d'hiver qui se développent fin 1936, toujours sous l'impulsion de Léo Lagrange, lui-même passionné de ski. Quant à l'Exposition internationale de 1937 à Puis, même si elle donne lieu à de nombreuses polémiques, elle sera un terrain d'application de la politique culturelle du Front populaire : elle élargit le champ de l'échange et de l'hospitalité à de nombreux jeunes étrangers.

Le sous-secrétariat d'Etat à l'organisation des sports

Les auberges de jeunesse en été 1936
Dès le 4 juin 1936, un "sous-secrétariat d'État à l'Organisation des sports et loisirs ", dépendant du Ministère de la Santé publique, est créé au sein du gouvernement de Blum. Installé dans des bureaux étroits rue de Tilsitt, il est confié à Léo Lagrange, qui deviendra une des figures les plus populaires du gouvernement. Membre de la SFIO, ancien Éclaireur de France, aimant payer de sa personne, mais aussi bien introduit dans les milieux intellectuels, il constitue dans son cabinet une équipe homogène, qui pour l'essentiel traversera les gouvernements successifs entre 1936 et 1938. Lagrange lui-même restera en place dix-huit mois, jusqu'au second et éphémère gouvernement Blum de mars 1938.
Le 10 juin, Lagrange prononce sur la radio d'État, dans l'émission "La voix de Paris", un discours qui fera date. L'idée forte de son programme est de montrer qu'une démocratie peut faire mieux et autrement qu'un régime autoritaire : "Il ne s'agit pas, dans un pays démocratique, de caporaliser les loisirs, les distractions et le plaisir des masses populaires et de transformer la joie habilement distribuée en moyen de ne pas penser." Lagrange cherchera donc toujours l'équilibre entre organisation et liberté.
Faisant preuve d'une grande énergie, il compte agir dans les espaces de loisirs engendrés par les congés payés (loisirs sportifs, loisirs touristiques et loisirs culturels) en mettant l'accent sur les masses plutôt que sur les élites. Son objectif politique est de "rapprocher les différents éléments de la jeunesse, le jeune ouvrier des jeunes intellectuels, le jeune paysan du jeune ouvrier."
Pour ce faire et combler le retard de la France en équipements sportifs, Lagrange projette d'une part de construire de nombreux terrains de sport et d'autre part de développer le tourisme populaire en s'appuyant sur les réseaux des Auberges de la Jeunesse, avec le concours des syndicats et des associations culturelles. Son appel est bien accueilli par la FSGT (Fédération Sportive et Gymnique du Travail) et le CLAJ (Centre Laïque des Auberges de la Jeunesse). Un comité interministériel des loisirs est créé peu après, dans le but de centraliser la documentation, de promouvoir et de coordonner l'action des différentes administrations. Mais il sera vite dépassé par les événements...
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