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L'économie en panne

Le désenchantement
et la chute

Dès l'été 1936 les difficultés économiques sonnent le glas du Front populaire.
La défection des radicaux sera fatale au gouvernement. Ce n'est donc pas
une défaite électorale qui provoque
la chute du premier cabinet Blum.

Des exigences contradictoires

Lorsqu'elle parvient au pouvoir, la coalition électorale radicalo-socialo-communiste est divisée sur les questions économiques. Si les socialistes veulent lancer un vaste programme de relance par la demande, les radicaux restent attachés à la libre entreprise et ne souhaitent pas toucher aux structures du capitalisme. La politique doit être nouvelle, mais sans atteinte à la liberté ni risque pour la monnaie. Le slogan est « ni déflation ni dévaluation ! ». La référence reste le libéralisme, à tel point que le programme ne prévoit ni contrôle des prix, ni contrôle des changes, ni protectionnisme.
Léon Blum va réaliser très vite combien il est difficile de concilier ces exigences contradictoires. Les ouvriers, par leurs occupations d'usines, l'amènent à conclure les accords de Matignon dès le 7 juin 1936. Les salaires augmentent de 7 à 15 %. La loi du 20 juin accorde 12 jours ouvrables de congés payés. Avec celle du 21 juin, le temps de travail hebdomadaire passe de 48 à 40 heures sans diminution de salaire. D'autres mesures suivent pendant l'été: le soutien des prix du blé, le lancement d'une politique de grands travaux, la tutelle de l'Etat sur la Banque de France et quelques nationalisations (armement et aéronautique).
Dans cette politique d'inspiration keynésienne, Léon Blum fait le choix d'une diminution du temps de travail plutôt que d'une hausse des salaires. Pour l'employeur, le coût réel d'une heure de travail augmente de près de moitié, mais ces charges nouvelles ne se traduisent pas directement en pouvoir d'achat supplémentaire pour les salariés. En effet, les heures supplémentaires sont strictement réglementées. La diminution du temps de travail n'entraîne pas non plus de baisse du chômage, car les entreprises, dont les coûts salariaux ont augmenté, ne disposent pas des marges pour embaucher. Les hausses du coût du travail, répercutées sur les prix, génèrent une poussée inflationniste. Plus grave, des entreprises se retrouvent dans l'incapacité de répondre à certaines commandes faute de pouvoir investir ou embaucher. Certaines branches, moins atteintes par le chômage, manquent d'ouvriers qualifiés et doivent réduire leur production.

Les difficultés économiques seront fatales au gouvernement

Démission du gouvernement Léon Blum le 22 juin 1937
Le mardi 22 juin 1937, à 2 heures du matin, Léon Blum prend le chemin du palais de l'Elysée. A Albert Lebrun, président de la République, il remet la démission de son gouvernement. Le Front populaire, première version, aura duré un peu plus d'un an. Huit jours avant la chute de son gouvernement, Léon Blum demande les pleins pouvoirs fmanciers. Au programme : cinq milliards d'impôts supplémentaires, la hausse de l'impôt sur le revenu, l'augmentation des tarifs ferroviaires et postaux, du tabac, des taxes successorales, le contrôle des opérations spéculatives et monétaires.
A droite, on dénonce le renforcement du contrôle des changes. A gauche, les communistes s'inquiètent de la hausse des prix des transports et du tabac qui touche avant tout les classes défavorisées. Le parti communiste, qui ne dispose d'aucun ministre mais qui a jusqu'à présent apporté son soutien, hésite un moment à franchir le Rubicond. Pour « sauver le Front populaire », le PCF vote finalement pour. Par 346 voix contre 247, Léon Blum obtient les pleins pouvoirs écoforniques. C'était sans compter avec le Sénat, et le redoutable Joseph Caillaux, tombeur historique du Front populaire, qui dénonce la socialisation de l'économie française : « Le gouvernement doit choisir entre la politique de coercition et celle de liberté... ». Le mouvement radical aura une lourde responsabilité dans le départ de Léon Blum. Sa défiance à l'égard du parti communiste et l'inquiétude provoquée par l'agitation sociale mettent à rude épreuve sa solidarité. Par 188 voix contre 72, les sénateurs votent contre le projet de loi. Retour au palais Bourbon où les parlementaires accordent à nouveau leur confiance à Léon Blum. Les radicaux mènent double jeu. Les députés votent en faveur du gouvernement par crainte d'être tenus pour responsables de la chute du cabinet Blum. Dans le même temps, ils font passer la consigne inverse à leurs collègues du palais du Luxembourg. Dans la nuit du 21 au 22 juin 1937, par 168 voix contre 96, les sénateurs enterrent « le temps des cerises ». Une assemblée de notables, «réduit inexpugnable du conservatisme », dira Léon Blum, aura eu raison contre une majorité de Front populaire à la Chambre.
La chronique de cette chute débute symboliquement le 13 février 1937. Ce jour-là, dans une allocution radiodiffusée, le président du Conseil, s'adressant aux fonctionnaires en cours de négociations salariales, réclame une « pause » dans les réformes sociales : «Nous n'avons aucun motif pour abjurer des idées auxquelles l'expérience a jusqu'à présent donné raison, puisque le dégel est maintenant un fait acquis, puisque les signes de la reprise deviennent de plus en plus évidents et de plus en plus sensibles [...] Voilà pourquoi un temps de pause est nécessaire. Voilà pourquoi l'État doit demander aujourd'hui à ses collaborateurs la modération et la patience ». Quelques mesures fort attendues sont renvoyées à des jours meilleurs : le fonds national de chômage et le régime de retraite. Les difficultés économiques seront fatales au gouvernement.

La fin du Front populaire

La fin du Front populaire en 1938
La chute de Léon Blum n'a pas entraîné la dissolution de la Chambre où la coalition de Front populaire reste majoritaire. Successeur de Blum, le radical valoisien Camille Chautemps, reconduit l'ensemble des ministres, exception faite de Vincent Auriol. Léon Blum devient vice-président du Conseil. Ce recentrage permet à Chautemps d'obtenir les pleins pouvoirs financiers qui avaient été refusés à Léon Blum. Mais la situation économique ne s'améliore pas. Exaspéré par les critiques des communistes. M. Chautemps récuse leur soutien. Les ministres socialistes quittent le gouvernement. Camille Chautemps démissionne. Il se succède à lui-même et constitue un cabinet presque exclusivement radical jusqu'en mars 1938. Léon Blum revient à Matignon dans l'espoir de former un gouvernement d'union nationale. Comme en 1937, le Sénat lui refuse les pleins pouvoirs financiers. Blum le retour aura duré à peine un mois du 13 mars au 8 avril 1938.
Aucun socialiste ne figure dans le cabinet présidé par Daladier. Sa politique est en rupture totale avec celle du Front populaire. Les accords de Munich font voler en éclats ce qui reste de l'union de la gauche. Le PCF dénonce cette reculade face à Hitler. Par mesure de rétorsion les radicaux quittent le Rassemblement populaire. Les socialistes font de même. L'échec de la grève de novembre 1938 organisée par la CGT signe l'acte de décès du Front populaire.

Les communistes se font de plus en plus critiques

Le parti communiste persévère dans son soutien mais devient plus critique même si la cible de ses revendications reste les « gros » et les « grands », préconisant une « carte d'identité fiscale » pour lutter contre la fraude. Quelques concessions au patronat concernant le libre commerce de l'or et des mesures de protection contre les fluctuations monétaires ne suffisent pas à le rassurer. Le 1er octobre 1936, le cabinet Blum a été contraint, malgré les engagements pris, de dévaluer le franc. Les effets dopants de la dévaluation, et notamment la relance du commerce extérieur, s'amenuisent. La reprise économique de l'automne 1936 a fait long feu.
Début 1937, la situation a empiré. En avril, l'indice de la production industrielle est de nouveau à la baisse. En mai, le nombre des chômeurs est de 300 000. Les caisses sont vides et le Trésor est à sec. Hors de question de remettre en cause la semaine des 40 heures et les grandes conquêtes sociales. Bien au contraire, la base s'impatiente et réclame le redémarrage du train des réformes. Le mouvement de grève, qui n'a jamais vraiment cessé, prend un second souffle. Les avantages accordés au monde ouvrier, la réduction du temps de travail en particulier, n'ont pas généré d'emplois supplémentaires. La politique de relance par la consommation est un échec. Les acquis sociaux ont provoqué une hausse des prix de 70 % alors que les charges sociales ont augmenté d'environ 45 %. Le patronat, un moment déstabilisé, est bien décidé à reprendre en main les usines occupées.
En somme, Léon Blum doit se livrer au grand écart : ne pas décevoir les communistes qui veulent « faire payer les riches » et rassurer « les 200 familles» qui mettent leurs capitaux à l'abri, de préférence en Suisse. Le Front populaire s'est-il brisé sur « le mur de l'argent » ? « On sabota la politique économique et sociale du Front populaire peut-être autant par volonté délibérée, que par réaction instinctive et personnelle », estiment Jean-Pierre Azéma et Michel Winock. Le conservatisme de la société française, voire sa frilosité, notamment de la classe moyenne, plus encore qu'une véritable crainte du péril rouge, aurait été le principal frein à cette expérience « réformiste ».
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