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Les accords Matignon

La victoire, en 1936,
du Front Populaire

Les revendications ouvrières composent un important « cahier de doléances ». Elles énumèrent douze exigences, soit, parmi celles à satisfaire immédiatement :
— semaine de 40 heures;
— congés payés de quinze jours par an;
— amnistie;
— augmentation des salaires;
— plan de grands travaux;
— nationalisation de la fabrication des armes de guerre;
— conventions collectives;
— création d'un Office du blé;
— prolongation de la scolarité;
— réforme du statut de la Banque de France;
— révision des décrets-lois.
Parmi les buts à atteindre au-delà des vacances, le programme revendicatif prévoit la création d'un fonds de chômage, l'assurance contre les calamités agricoles, un aménagement des dettes agricoles et l'institution d'une dette aux vieux travailleurs.
Après avoir déclaré ces prétentions inacceptables, le patronat finit par céder. Les « accords Matignon » sont signés le 8 juin à une heure du matin. Ils admettent l'existence d'une vie syndicale avec des délégués du personnel dans les établissements de plus de dix personnes.

L'économier française paralysée

discours de Thorez en 1936
Si pacifiques soient-elles, les « grèves sur le tas » n'en constituent pas moins une indéniable atteinte au droit de propriété et elles paralysent l'économie française. L'agitation commence d'ailleurs, ici et là, à gagner la rue ; à Paris, des bagarres ont lieu au Quartier latin, en province, des drapeaux rouges apparaissent aux fenêtres de nombreuses mairies. En l'absence d'ordres précis, la police se montre hésitante ; le gouvernement est visiblement débordé.
Martyre de Léon Blum. L'élan qu'il a tant contribué à provoquer échappe à
son contrôle. Doit-il sévir et paraître
ainsi se renier lui-même ? Lui faut-il au contraire laisser les choses aller et manifester du même coup son incapacité de tenir les rênes de l'Etat ? Plus tard, devant les juges de Riom, il parlera de cette « explosion sociale qui est venue frapper au visage le gouvernement ».
Ses collègues du ministère ne sont pas moins désemparés. Pour les dirigeants communistes, ils paraissent croire que la soviétisation de la France est prochaine et Maurice Thorez (gauche) s'écrie, au Palais des Sports : Le parti communiste sera avant peu au pouvoir. Je le dis, camarades, avant peu !
Le gouvernement comprend qu'il n'y a pas un instant à perdre et, le jour même de sa présentation aux Chambres, il dépose une série de projets de loi destinés à donner satisfaction aux principales revendications de la C.G.T. :contrats collectifs obligatoires, congés payés de quinze jours par an, semaine de quarante heures.

Les patrons prennent l'initiative de la réunion

Dès le lendemain de la formation du gouvernement, le vendredi 5 juin, M. Lambert-Ribot, qui avait été le collègue de Léon Blum au Conseil d'État et était devenu délégué général du Comité des Forges, citadelle du grand patronat, faisait dire au nouveau président du Conseil par le truchement de leur ami commun Paul Grunebaum-Ballin, qu'un contact pris sous son égide entre délégations ouvrières et patronales pourrait ouvrir la voie à une négociation sur la base d'un relèvement général des salaires en échange de l'évacuation des usines.
Le soir même, Léon Blum recevait Lambert-Ribot et trois autres dirigeants patronaux, MM. Duchemin, président de la Confédération générale de la production, Richemond, président du Groupement des industries métallurgiques, et Dalbouze, président de la Chambre de commerce de Paris. A la délégation patronale, Léon Blum dit en substance que le gouvernement excluait tout usage de la force et que des événements graves pouvaient intervenir dans les 48 heures, qu'il fallait donc se hâter, et que le problème à résoudre en priorité était celui des salaires. Le lendemain, la CGT, informée du projet par Roger Salengro, le nouveau ministre de l'Intérieur, acceptait la négociation. Et c'est le dimanche 7, à 15 heures, dans le bureau de Léon Blum, à Matignon, que s'ouvrit la discussion.
Face aux quatre porte-parole du patronat, siègent Jouhaux, secrétaire général, Belin et Frachon, secrétaires de la CGT, Semat de la Fédération des métaux, Cordier du bâtiment, Savoie de l'alimentation, Milan de la chapellerie. Le gouvernement était représenté, autour de Léon Blum, par Salengro, Dormoy et Moch (Lebas, ministre du Travail, étant retenu dans sa circonscription de Roubaix).

Savoir terlminer une grève

Thorez: il faut savoir terminer une grève
Assurément, si la Confédération générale du travail, qui compte maintenant près de quatre millions d'adhérents, peut se targuer de représenter la majorité des travailleurs, la Confédération générale de la production française ne représente pas celle des employeurs. Mais elle est mandatée par les puissants, et les autres vont vite se voir obligés, bon gré mal gré, d'appliquer les décisions arrêtées à l'hôtel Matignon. Dans plusieurs cas, force leur sera même de consentir à des relèvements de salaires supérieurs à 15 pour 100. Mais le sacrifice, la crise économique se poursuivant, compromettra dangereusement l'équilibre financier des petites entreprises. Beaucoup disparaîtront au profit de concurrents plus solides.
Les 11 et 12 juin, la Chambre des députés vote les projets instituant les conventions collectives obligatoires (563 voix contre une), les congés annuels payés (528 voix contre 7) et la semaine de quarante heures (385 voix contre 175). Le Sénat ratifie les 17 et 18 juin.
Dès le 8, Jouhaux, dans une allocution radiodiffusée, s'est écrié :
« La victoire obtenue consacre le début d'une ère nouvelle... Enregistrant ce premier succès, nous devons, nous, travailleurs, faire honneur à notre signature... »
Les « grèves sur le tas » n'ont pas cessé pour autant et, jusqu'au 11, elles ont même pris une extension nouvelle. C'est alors que les chefs communistes (sans doute à l'instigation de Moscou, qui ne désire pas voir une France trop affaiblie en face de l'Allemagne) changent d'attitude et donnent des conseils de modération.
« La classe ouvrière, déclare Thorez (à droite sur la photo), ne doit pas progresser à, un rythme accéléré qui puisse risquer de la conduire à l'isolement: »
Effet de ces conseils et de ceux, de même sens, prodigués par la C.G.T. ? Mécontentement croissant des bourgeois et des paysans en présence de la paralysie de l'économie ? Constatation par les grévistes de l'importance des satisfactions obtenues ? En tout cas, à partir du 12 juin, les occupations d'usines et, ateliers prennent progressivement fin. Le 18, les employés des grands magasins se remettent au travail. Le 20, tout est à peu près rentré dans l'ordre, les patrons ont réintégré leurs bureaux et les machines ont recommencé de tourner.

Les accords de Matignon sont signés

Les accords Matignon en 1936
Le président du Conseil rappela que la Chambre des députés avait approuvé la veille son intention de régler les conflits à l'amiable et que, la plupart des questions posées devant être réglées par la loi, c'est le problème des salaires qui restait à résoudre. Les patrons mirent naturellement l'accent sur l'évacuation des usines et le maintien de l'ordre. Les syndicalistes réclamèrent des hausses de 10 à 15 des salaires. Devant ses juges de Riom, Blum devait raconter qu'un membre de la délégation de la CGT avait déclaré :
« Nous nous engageons à faire tout ce que nous pourrons ; mais nous ne sommes pas sûrs d'aboutir. Quand on a affaire à une marée comme celle-là, il faut lui laisser le temps de s'étaler. Et puis, c'est maintenant que vous allez peut-être regretter d'avoir systématiquement profité des années de déflation et de chômage pour exclure de vos usines tous les militants syndicalistes. Ils n'y sont plus pour exercer sur leurs camarades l'autorité qui serait nécessaire pour exécuter nos ordres. » Ce dont ses interlocuteurs durent convenir.
C'est encore à Riom que Léon Blum rapportait ces traits qui en disent long : « ... J'ai entendu M. Duchemin dire à M. Richemond, tandis qu'on lui mettait sous les yeux le taux de certains salaires, effroyables par leur médiocrité : " Comment est-ce possible? Comment avons-nous pu laisser faire cela? Nous avons manqué à notre devoir en laissant les choses aller ainsi. "
J'entends encore, quand on discutait les augmentations de salaires, Lambert-Ribot disant : " Comment, vous ne vous contentez pas de tels taux! Mais quand les ouvriers de France ont-ils jamais vu une augmentation générale des salaires de cette importance?... " Et Benoît Frachon de répondre : " Et quand donc, en France, avez-vous vu un mouvement ouvrier de cette ampleur et de cette importance? " »
Tandis que la négociation se poursuit, le Front populaire tient meeting au vélodrome d'Hiver. « Les vainqueurs de juin-juin », ironise Henri Béraud. En grand uniforme, les Faucons rouges assurent le service d'ordre. Les balcons sont tendus de rouge et des projecteurs illuminent les portraits de Jaurès et Jules Guesde. « Autour de la pelouse, narre le Figaro, les banderoles et sujets figuratifs vouent les 200 familles à la destruction et promettent aux militants une félicité totale et prochaine. Au virage relevé de la piste, des poings de carton se dressent menaçants. »
« Il y a deux ans que nous jetons les bases d'une entente avec les socialistes, rappelle Maurice Thorez. A présent nous sommes liés indissolublement pour la lutte au coude à coude. Notre tâche commence. Nous allons la poursuivre en multipliant les comités d'ateliers et les comités d'usines. Nous allons travailler à l'avènement d'une société communiste ou socialiste, qui sera susceptible d'amener le bien-être, la paix, et préparera le parti unique de la classe ouvrière.»
Quand Blum se dirige vers la tribune, tous projecteurs braqués sur lui, les drapeaux, fanions et bannières rouges s'inclinent devant lui jusqu'à terre « comme pour faire au président du Conseil du Front populaire une piste triomphale ». Les fidèles scandent : « Vive Blum! »
« Les ministres du gouvernement de Front populaire sont, ce soir, devant vous, peuple de Paris! Nous sommes le gouvernement, déclare son chef, que vous avez voulu. Sa chute porterait le plus cruel des coups à la classe ouvrière tout entière. Ne nous marchandez pas votre confiance. Il faut que vous vous fiiez à nous. Cela, peuple socialiste de Paris, il faut absolument que tu le comprennes. »
Des milliers de Parisiens, qui n'avaient pu trouver place au Vel' d'Hiv' attendent dehors. Des haut-parleurs ont été installés sous le métro aérien.
Les négociations de Matignon? « Au cours des conversations, confie Blum, j'ai constaté, de la part des représentants du patronat, un esprit de conciliation, une intelligence de la situation auxquels je veux rendre hommage. » Thorez et Léon Blum, à la tribune, se donnent l'accolade. La foule, à l'extérieur, les réclame. « N'attendez pas Léon Blum, camarades, annonce Marceau Pivert; il est au boulot. »
Léon Blum, en effet, a regagné l'hôtel Matignon. Sur son arbitrage, un accord est signé à minuit trente. Il prévoit une augmentation générale des salaires allant de 7 à 15 %. En fait, leur relèvement atteindra de 30 à 50 %, parfois davantage pour les femmes et les jeunes. L'exercice du droit syndical est reconnu aux travailleurs sous réserve qu'il ne doit pas avoir pour conséquences « des actes contraires aux lois ». Les employeurs acceptent que des délégués du personnel soient institués dans les établissements occupant plus de dix personnes. Aucune sanction ne devra être prise pour fait de grève.
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