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Vers le 6 février 1934

L'affaire Stavisky
et les émeutes
du 6 février 1934

Après le refus de Chautemps de constituer une commission d'enquête chargée de faire toute la lumière sur l'affaire Stavisky, l'exaspération était à son comble. Tout annonçait une explosion qui aurait sans doute, un jour ou l'autre, trouvé ailleurs son détonateur.

Déjà la rue s'agite

manifestation des  Jeunesses patriotes, les Anciens Combattants, les Camelots du roi en 1934
En France, l'affaire Stavisky prenait les proportions d'un bouleversement national. Succédant à tant d'autres pirateries ruineuses de l'épargne, Rochette, Sacazan, Oustric, Mme Hanau, elle mettait le comble à la mesure et renouvelait Panama et le temps des chéquards. La finance n'était plus seule en cause. Le monde politique, la police, la magistrature, la presse, tout ce qui avait pour mission de guider et défendre le pays était touché par le scandale. On citait des noms de ministres concussionnaires, on rappelait les dix-neuf remises successives qui avaient permis à l'escroc de poursuivre impunément ses manoeuvres, on soulignait que le procureur général Pressard était le beau-frère de Chautemps.
Débordé devant l'indignation générale, le gouvernement prit des mesures, ou, plus exactement, parut en prendre et procéda, un peu à l'aveuglette, à des inculpations et des arrestations. Justice hypocrite dont personne ne fut dupe. On frappait les comparses pour sauver les vrais responsables. Déjà la rue s'agitait.
A la voix de l'Action française, dès le 9 janvier, les Jeunesses patriotes, les Anciens Combattants, les Camelots du roi, des gens de toutes classes défilèrent, boulevard Saint-Germain, se dirigeant vers le Palais-Bourbon, au cri de « A bas les voleurs ! » Chaque soir, durant le mois de janvier, les manifestations se répétèrent, à la sortie des bureaux et des ateliers, provoquant des heurts avec la police et des manifestations contraires des partis extrémistes et des émeutiers de profession.
Les Chambres s'étaient réunies, le 9 janvier. Le ministre Dalimier, auteur de la fameuse lettre à Stavisky, donna sa démission, première brèche dans l'unité d'un ministère dont on prévoyait la chute à brève échéance. Le 12 janvier, le député Ybarnegaray lançait une furieuse attaque :
— Qu'une pauvre femme vole un pain, on l'arrête ! Pour Stavisky, loi muette, juges sourds / Les salles de jeu lui sont interdites. Un coup de téléphone : on les lui ouvre. Un casier judiciaire : on le supprime. Je demande qui a fourni un casier judiciaire vierge, une carte d'électeur à Stavisky au nom d'Alexandre, qui a empêché la Sûreté d'agir contre lui !
L'ouverture (l'une commission d'enquête eût seule facilité l'apaisement. Le gouvernement s'y refusa, posa la question de confiance et celle-ci, contre toute attente, lui fut accordée. « Lourde erreur qui peut coûter cher au régime », lut-on, le soir, dans l'éditorial du Temps.

On se tourna vers Daladier

Daladier le taureau de Vaucluse
Le pays vit, dans ce vote de la Chambre, une brimade à son égard et la preuve d'une collusion évidente entre le parlement et les suspects. Le 19, de nouvelles manifestations se déroulèrent. A la tribune, le député de la Gironde, Philippe Henriot, reprenant le réquisitoire d'Ybarnegaray, mit en cause le garde des Sceaux en personne, M. Raynaldy. En dépit d'un nouveau vote de confiance, M. Raynaldy jugea plus digne de démissionner, son retrait provoquant celui du cabinet Chautemps, le 27 janvier 1934.
Durant quelques jours, on espéra. Allait-on enfin balayer toute cette tourbe et constituer un gouvernement décidé à faire régner la justice ? Les habituelles consultations se déroulèrent à l'Elysée chez le président Albert Lebrun. Son prédécesseur, l'ex-président Doumergue, sollicité, se récusa. On se tourna alors vers M. Daladier (à gauche). Ce Vauclusien avait la réputation d'être un homme honnête, énergique, ancien combattant. On pouvait lui accorder quelque crédit. Daladier promit de pratiquer une politique d'apaisement et de justice, de constituer un ministère d'hommes nouveaux et d'union nationale, allant, selon son expression, « de Frossard à Ybarnegaray ».
Belle promesse, non suivie d'effet ! Après le refus de Frossard et de certains membres du centre, ce ministère-arlequin du 31 janvier fut surtout une distribution de portefeuilles aux vieux routiers de la politique et une coalition radical-socialiste.

Le 5 février 1934

manifestants Croix-de-Feu en  fevrier 1934
Le lendemain, 5 février, les manifestants sont plus nombreux encore : Croix-de-Feu et briscards, désireux de se livrer à une démonstration énergique. ont convoqué pour 19 heures leurs sections d'assaut à la Madeleine et au rond-point des Champs-Élysées.
A 19 heures exactement, les deux colonnes, comprenant plus de quatre mille manifestants, se lancent au pas de charge vers le ministère de l'Intérieur, l'une par l'avenue Matignon, l'autre par le boulevard Malesherbes, la rue de la Ville-l'Évêque, les rues des Saussaies et de Miromesnil. Forçant quelques barrages composés d'agents de police, de gardes mobiles et de gardes républicains, les manifestants débouchent place Beauvau. Battant de leurs vagues successives les grilles du ministère de l'Intérieur, ils entonnent la Marseillaise. De temps en temps, un cri retentit :
Vive Chiappe, vive Chiappe!
L'ancien préfet de police a quitté le matin même les locaux de la préfecture de police. Son successeur, Bonnefoy-Sibour, dirige personnellement le service d'ordre. Le choc se produit aux abords de l'Élysée où heurts et bagarres deviennent vite d'une extrême violence; le député aveugle Scapini, ancien combattant de surcroît, est bousculé, renversé et contusionné.
Vers 20 heures, refoulés de la place Beauvau et du faubourg Saint-Honoré, les manifestants se retrouvent au rond-point des Champs-Élysées. Leurs rangs se reforment alors pour remonter les Champs-Élysées, vers l'Étoile, drapeaux en tête. Après avoir salué la dalle du Soldat inconnu, la colonne, canalisée par le service d'ordre, redescend l'avenue en conspuant le gouvernement. Arrivée place de la Concorde, elle se disperse dans l'ordre. A 21 heures, il ne reste plus, dans les jardins des Champs-Élysées, que quelques petits groupes commentant la situation. Le service d'ordre se retire.

Le renvoi de Chiappe

Une manifestation monstre est dans l'air. Manifestation et non point complot, car les animateurs des différents mouvements se jalousent et n'ont aucun programme commun. Si, chez les camelots du roi, on pense que toutes les occasions sont bonnes, qui conduiraient à « étrangler la gueuse », si les adhérents de la Solidarité française, les francistes et les anciens combattants communistes sont prêts à tous les coups de force, ailleurs on songe surtout à donner une rude leçon aux députés et à provoquer la constitution d'un gouvernement d'« honnêtes gens ». « S'il le faut, a déclaré, le 29 janvier, le délégué général de la Ligue des contribuables, nous prendrons des fouets et des bâtons pour balayer cette Chambre d'incapables. » Pourtant, le 2 février, à la demande du préfet de police, Jean Chiappe, le groupe parisien de l'Union nationale des combattants promet de ne pas bouger.
C'est alors que se produit l'incident dont le même Chiappe est le centre.
Ce Corse intelligent, cordial et plein de feu se trouve depuis sept ans à la tête de la police parisienne et il a su se rendre populaire à la fois chez son personnel et parmi la population. Il a eu, à l'égard des ligues, certains ménagements qui lui ont valu réciprocité. En revanche il est mal vu de l'extrême gauche et aussi des éléments de la police dépendant directement du ministère de l'Intérieur.
Le 3 février, à l'instigation de ces derniers, Frot demande à Daladier le déplacement de Chiappe. Daladier cède et, en compensation, offre la résidence générale de Rabat au préfet « démissionné ». Celui-ci accepte d'abord; puis sur le conseil d'Horace de Carbuccia, directeur de l'hebdomadaire Gringoire, refuse.
A peine connu à Paris, le renvoi de Chiappe y suscite une violente émotion. Les agents de la police parisienne manifestent leur mécontentement. Les ligues soupçonnent Frot de méditer leur dissolution. Deux ministres, Piétri et Fabry, donnent leur démission. Le préfet de la Seine, Renard, en fait autant. Enfin, par l'organe de son président, Lebecq, le groupe parisien de l'Union nationale des combattants fait savoir qu'il se considère comme délié de sa promesse de ne pas s'associer aux manifestations.
Déjà des contacts ont été pris entre Lebecq et le lieutenant-colonel de La Rocque. D'autres chefs ligueurs se rencontrent en secret, mais il s'agit de prévoir des actions parallèles et simultanées plutôt que d'établir un plan d'opérations à longue portée.
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