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Après le 6 février 1934

L'affaire Stawisky
et les émeutes
du 6 février 1934

Les sanglants événements qui ont marqué la journée du 6 février 1934 ont eu une cause occasionnelle, l'affaire Stavisky, une cause prochaine (le mauvais fonctionnement des institutions et la dégradation des moeurs politiques), trois causes profondes ( la crise économique, l'amertume des anciens combattants, l'extériorisation d'un antiparlementarisme latent dans toute une section du peuple français.)

La presse de 7 février 1934

La presse de 7 février 1934
« Paris couvert de sang. » « Du sang a coulé, titre le Petit Journal. Du sang de Français répandu par des Français. Paris a connu des heures révolutionnaires. »
« Atmosphère de guerre civile, rapporte le Figaro. Des scènes que l'on n'avait pas vues dans Paris depuis la Commune. Le cabinet Daladier conservera l'opprobre d'avoir, pour la première fois depuis la guerre, fait verser le sang français. »
« On a fait s'entretuer, s'indigne l'Intransigeant, des hommes qui, hier, se battaient côte à côte. »
Manchette de l'Action française
« Après les voleurs, les assassins. » « De la boue de l'escroquerie, écrit André Tardieu, on est tombé dans le sang de l'émeute. » « Un gouvernement de crapules innommables, proteste Léon Daudet, gouvernement de gredins, a fait tirer sur le peuple de Paris, tirer à mitrailleuses, sauvagement. » « Allez-vous-en, clame Gignoux. Le gouvernement ne saurait demeurer un jour, maintenant que le sang s'est mêlé à la boue. »
« Coup de force fasciste, proclame l'œuvre, le régime s'est défendu. » « C'est la lie de la réaction qui a déferlé, affirme le Populaire. La réaction a voulu avoir sa journée. Elle l'a eue. C'était une véritable émeute, préparée, organisée avec soin, avec méthode, par les formations fascistes. C'était un complot armé contre le régime républicain. Il a échoué. »
« Daladier le fusilleur », tonne l'Humanité. « Contre les fascistes, contre la démocratie qui se fascise, Paris ouvrier a riposté. » « La France, affirme Paul Faure, secrétaire général de la S.F.I.O., ne subira pas le sort honteux de l'Italie fasciste et de l'Allemagne hitlérienne. »
Et maintenant ? « Nous souhaitons, dit de Kerillis, que, devant ces blessés et ces morts, tous les partis fassent un effort de réconciliation. Il n'y a plus qu'une carte à jouer : c'est l'Union nationale. »

Doumergue à la rescousse

Aussitôt la vacance du pouvoir effective, le président de la République, effrayé par le désordre et la vue du sang, décide de constituer sur-le-champ un grand ministère d'union au-dessus des partis, ayant pour but de ramener l'ordre et de préparer de nouvelles élections. C'est d'ailleurs le vœu unanime des anciens combattants qui, dans leur communiqué, adressé à Albert Lebrun, demandent un gouvernement fort, puissant, propre, composé d'hommes honnêtes et intègres et concluent en disant : Nous sommes à vos côtés pour vous soutenir dans la tâche que vous entreprenez pour redonner à la France sa grandeur morale et son prestige de grande nation.
Mais quel successeur choisir qui ne soit pas trop usé par les joutes politiques? Le président de la République, après un tour d'horizon des « possibles » et sur la proposition de Laval, fixe son choix sur un de ses anciens prédécesseurs, Gaston Doumergue.
Le nouveau pressenti est appelé en hâte en consultation. L'aimable « Gastounet » quitte sa paisible propriété de Tournefeuille. Il est chargé, tâche délicate, de réaliser un ministère du souhait national. Le jeudi 8 février au matin, il débarque à Paris, souriant malgré la gravité du moment. C'est que, selon les termes d'une de ses déclarations, il a pleinement confiance dans les facultés de redressement de la France.
Aussitôt son cabinet constitué, Gaston Doumergue adresse, en ces termes, une proclamation au peuple français :
Citoyens, j'ai été appelé pour former un gouvernement de trêve, d'apaisement et de justice. Ce gouvernement est constitué. En son nom, je vous invite à accomplir à votre tour votre devoir en renonçant à toute agitation et en plaçant au-dessus de tout l'intérêt de la France et de la République.

Unité ! Unité !

Léon Blum en février 1934
Le dimanche 11 février est une journée d'attente : la veille ont eu lieu les obsèques des victimes de l'émeute du 6 février; le lendemain, la grève générale va paralyser toute l'activité économique du pays. Après l'avoir boudée, les communistes ont fini par s'y rallier.
La manifestation prévue en début d'après-midi voit se former deux cortèges séparés, communistes d'un côté, socialistes de l'autre, soit en tout quelque trente mille personnes. Remontant le cours de Vincennes vers la place de la Nation, le cortège socialiste hérissé de pancartes s'ébranle vers 15 heures, avec à sa tête Léon Blum, chef du parti. D'immenses clameurs retentissent, que domine le chant de l'Internationale.
Derrière eux progressent les communistes précédés par un rang de drapeaux rouges. Leur étoffe porte les noms des sections de banlieue ayant Jacques Doriot, député, et Reynaud, secrétaire général de la C.G.T.U., à leur tête. Arrivé place de la Nation, le cortège S. F. I. O. prend sur sa gauche pour en faire le tour; les communistes contournent la place sur la droite. Les deux têtes de colonne sont bientôt au contact l'une de l'autre. Un certain flottement se produit alors dans les premiers rangs quand, soudain, un grand cri jaillit :
Unité d'action !
Léon Blum, à qui l'on tend un micro, s'écrie :
Citoyens, le peuple s'est rassemblé aujourd'hui pour crier au fascisme : Halte là! Vous ne passerez pas! La démocratie française ne le tolérera jamais !
La fin du discours se perd dans les clameurs, les acclamations et les vivats qui saluent la réunification des deux partis frères séparés depuis le congrès de Tours en 1920 qui avait vu s'opérer la scission de la fraction communiste. Ainsi les lendemains du 6 février aboutissent-ils à un résultat paradoxal : l'ébauche du Front populaire.
La page des émeutes est tournée. Le jeudi 15 février, le cabinet Doumergue est investi de la confiance de la Chambre par 402 voix contre 125. Pour les partis de droite et les associations patriotiques, ceux qui veulent une France pure, le changement de ministère va enfin éclaircir l'horizon. Comme le dira deux mois plus tard le colonel de La Rocque au chef du gouvernement, en rappelant la soirée du 6 février :
Si nous avions voulu, nous aurions occupé la Chambre. Nous ne l'avons pas voulu parce que nous poursuivions le rétablissement de l'ordre et non la réalisation d'un coup de force.
Mais, malgré sa bonne volonté, le cabinet Doumergue ne tardera pas à voir s'effriter le capital de confiance mis en lui : d'inexplicables lenteurs marquent les suites judiciaires de l'affaire Stavisky qui, le 21 février, connaît un rebondissement inattendu avec la mort tragique du conseiller Prince. Par ailleurs, le climat politique intérieur est lourd en raison d'un endettement de 12 milliards de francs que le budget de l'État traîne comme un boulet depuis vingt mois. Les décrets-lois que prendra le président du Conseil pour tenter de réduire le déficit se révéleront inopérants.
Voulant réformer la Constitution dans le sens d'un indispensable renforcement de l'exécutif, Doumergue sera conduit à démissionner le 7 novembre 1934, par la mauvaise humeur des radicaux et particulièrement de leur pape, Édouard Herriot.

Une autre soirée d'émeutes

emeute du 9 février 1934
Gastounet a-t-il enfin réussi à calmer les esprits ? Parmi les personnalités appelées en consultation par le chef du gouvernement, Léon Jouhaux, secrétaire général de la C.G.T., maintient l'ordre de grève générale prévue pour le 12 février.
"Ce n'est pas nous qui avons troublé le calme, mais les organisations militantes fascistes et réactionnaires, dans le but de substituer la dictature à la démocratie. Pour nous, pas de manifestation dans les rues mais la forte et froide résolution affirmée pour les travailleurs de barrer la route aux factieux, de défendre les libertés publiques et les libertés ouvrières."
Les socialistes tendent la main aux communistes pour l'organisation en force d'une manifestation de masse. Non seulement leur organe, la C.G.T.U., ne répond pas à l'invitation qui leur est faite, mais elle lance sa propre manifestation en réunissant ses militants le 9, place de la République. Tout rassemblement étant interdit ce jour-là, le heurt avec les forces de police est inévitable.
Peu avant 20 heures, le préfet de police Bonnefoy-Sibour passe une rapide inspection du service d'ordre tandis qu'au loin, perçant la brume, retentissent les clameurs des communistes. Quelques escarmouches vont alors avoir lieu mais c'est à 21 h 20 qu'éclate la bagarre : un millier de manifestants massés boulevard Voltaire, à la hauteur de la mairie du 11e, tentent de prendre d'assaut le poste central de l'arrondissement. Des renforts de police surviennent aussitôt, salués au passage par des coups de feu, et dispersent la première vague. Les manifestants, à distance de la place, dressent alors des barricades en attendant leurs propres renforts en provenance du boulevard Magenta. Mais ceux-ci sont énergiquement refoulés vers la gare de l'Est. De très violentes échauffourées ont lieu, marquées par des charges à cheval et des chasses à l'homme.
En certains endroits, les manifestants ont défoncé le bitume de la chaussée et le lancent sur les autocars de police qui patrouillent. Deux agents sont grièvement blessés. De nombreux coups de feu sont échangés de part et d'autre.
Vers 22 heures, les agents entreprennent le siège des barricades de planches et de matériaux divers édifiées dans le 11e arrondissement, notamment rue de l'Orillon, dans le faubourg du Temple, à l'angle du faubourg et de la rue Saint-Maur et passage Bouchardon. Accueillis à chacune de leurs avances par une pluie de pavés, les agents reculent. Vers 23 heures, ils finissent par prendre à revers la barricade de la rue Saint-Maur; celle de la rue de l'Orillon et de la rue de Belleville tombent à leur tour. Mais la barricade de la rue du Faubourg-du-Temple riposte par le feu aux tentatives d'assaut; les manifestants ont même réussi à s'introduire dans les maisons d'où ils lancent des projectiles et tirent à coups de pistolet.
Le bilan de cette soirée d'émeute, qui prend fin à minuit, sera de 5 tués et de 37 gardiens de la paix blessés.
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