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Vivre sous la dictature

Tortures et opposants
au Zimbabwe

Les dictateurs
du XXe siècle

Un membre des escadrons de la mort du président Mugabe est parvenu à s'enfuir en Namibie. Il témoigne des atrocités que le régime l'a forcé à commettre.

Dans les escadrons de la mort

En étroite collaboration avec la division du contre-espionnage de la Central Intelligence Organisation (CIO), la Zanu-PF [Zimbabwe African National Union, Patriotic Front, le parti du président Robert Mugabe] a mis en place des escadrons de la mort composés de membres du programme de formation du Service national de la jeunesse. Les escadrons incendient le domicile des opposants à coups de cocktails Molotov, commettent des actes de sabotage et torturent les adversaires du régime du président Robert Mugabe. C'est ce que vient de révéler un ancien membre de ces groupes.
John Gweru (un pseudonyme) est âgé de 22 ans. C 'est par désespoir qu'il a rejoint les rangs du Service national de la jeunesse à la fin de l'année 2005. Il dévoile, avec une précision crue et souvent insupportable, l'existence de prisons et camps de torture secrets, de viols systématiques au camp d'entraînement de Bindura Farm, et de centres de détention clandestins dans tout le pays.
Ne supportant plus "son travail", Gweru a fui le Zimbabwe au début de l'année et a fini par atteindre la Namibie, où il s'est réfugié, avec d'autres Zimbabwéens. Mais, à la fin du mois de mars, il s'est aperçu qu'un homme le suivait et le photographiait. Il a alors reconnu son ancien officier traitant du CIO. Puis il a compris que ses jours étaient en danger quand quelqu'un est entré par effraction dans sa hutte et a dérobé une sacoche contenant des preuves des activités d'espionnage du CIO à l'encontre d'ambassadeurs occidentaux et de ministres zimbabwéens. Gweru avait récupéré ces documents dans la demeure de Didymus Mutasa, ministre du Territoire et de la Sécurité, parce qu'il souhaitait disposer de preuves des activités du service de renseignements. Ils comportaient, affirme-t-il, des rapports de surveillance du site du British Council et de l'ambassade américaine à Harare [capitale du Zimbabwe]. Il a alors contacté le Mail & Guardian pour raconter son histoire. "Si je meurs je veux que les gens sachent pourquoi", déclare calmement cet ancien green bomber (surnom des volontaires du Service national de la jeunesse).
Tout au long de leur entraînement, qui englobait l'endoctrinement politique, le maniement d'armes, les arts martiaux et les techniques de torture, on ne cessait de rappeler aux membres des escadrons qu'ils devaient soutenir la campagne présidentielle d'Emmerson Mnangagwa, non celle du vice-président Joyce Mujuru, considéré comme peu fiable par le CIO.
Durant les six mois qu'a duré sa formation, au cours de laquelle il s'est également vu confier des "affectations techniques" qui consistaient entre autres à monter la garde et à espionner les demeures de certains ministres à Harare, Gweru a été impliqué dans le sabotage de la voie ferrée reliant Harare à Bulawayo. Il a pris part à des attaques au cocktail Molotov contre certains bureaux et domiciles et à la dispersion d'une manifestation du Mouvement pour le changement démocratique [MDC , le principal mouvement d'opposition]. Pendant cette dernière, l'opposant Trudi Stevenson a eu un bras cassé. Chacune de ces "affectations" était considérée dans les faits comme une mise à l'épreuve de la loyauté et de la fiabilité du groupe. Elles étaient de plus en plus violentes.

Prisons secrètes pour les détenus politiques

Selon des défenseurs namibiens des droits de l'homme qui ont écouté le témoignage de Gweru, les détails qu'il a fournis sont confirmés par les rapports dont ils disposent, qui font état de tortures, de violences et de l'existence de prisons secrètes au Zimbabwe. Gweru, qui a quitté la Namibie pour une destination inconnue quelque part en Europe avec l'aide d'activistes namibiens, craint toujours pour sa vie et pour ses proches restés au pays. Au fil de leur formation, les membres du Service national de la jeunesse ont pris conscience du sort terrible qui menaçait quiconque tenterait de quitter l'organisation. Gweru affirme avoir vu plusieurs prisons secrètes où étaient enfermés ceux qui avaient défié le régime de Mugabe. Lors de leur première visite au quartier général de la Zanu-PF à Harare, vers le milieu de l'an dernier, un certain Tawanda les a emmenés jusqu'à la section B2, un ancien parking situé sous le bâtiment. Là, à l'aide d'une télécommande, Tawanda a ouvert une porte dissimulée donnant sur les cellules. Parmi les prisonniers se trouvaient deux Blancs. L'un d'entre eux a expliqué à Gweru qu'il avait été enlevé et accusé d'être un espion de la CIA. Plus tard, Tawanda a affirmé au groupe que toutes les personnes présentes là-bas étaient des "prisonniers politiques". On leur a assuré qu'il s'agissait de prisonniers à long terme "qui ne manque[raient] à personne" et sur lesquels ils devaient tester les techniques de torture qu'ils avaient apprises "électroniquement, au hasard, en tapant où ça fait mal".
Quand le premier prisonnier a été menotté à une table spéciale, on leur a ordonné de le frapper sur la plante des pieds. Estimant qu'il ne faisait pas preuve de suffisamment d'enthousiasme à son goût, l'instructeur de Gweru l'a battu avec une matraque en caoutchouc, puis lui a donné du gin et de la marijuana. Ses collègues et lui se sont alors mis à frapper les pieds du prisonnier jusqu'à ce qu'ils noircissent et que la victime défèque avant de s'évanouir. Gweru pleurait encore en racontant comment le deuxième homme avait été torturé au moyen d'un système électronique qui ressemblait à un "vieil amplificateur". Puis le détenu s'est lui aussi vidé, et s'est évanoui. Des mois plus tard, le groupe a été emmené dans la région de Goromonzi, dans une ferme gardée par la Force de défense zimbabwéenne. Là, ses membres sont descendus dans un sous-sol où se trouvaient environ vingt personnes enchaînées, toutes portant des marques de terribles tortures. Ces gens, leur a-t-on dit, étaient également des "prisonniers politiques" qui avaient tenté d'assassiner le président Robert Mugabe. Quelques-uns n'avaient qu'entre 18 et 22 ans.

Les femmes utilisées comme esclaves

Dès le début de sa formation, on a fait comprendre à Gweru qu'une fois entré dans le système du Service national de la jeunesse, on ne pouvait pas en sortir. Un jour, il a été obligé, avec quatre de ses amis, de violer à plusieurs une jeune volontaire en guise de "punition" pour avoir passé un coup de téléphone sans autorisation. C 'est là que, avec son ami Gideon, il a décidé de s'enfuir. Les volontaires féminines, qui étaient entre 50 et 60 sur les 250 jeunes de Bindura Farm, étaient régulièrement violées. Certains des jeunes hommes se vantaient de s'être "fait" telle ou telle fille, et beaucoup, selon Gweru, arboraient des morsures sur les épaules. La nuit, il entendait des cris montant des dortoirs voisins, réservés aux filles, et leurs instructeurs avaient coutume d'utiliser les femmes comme des esclaves sexuelles.
Personne n'avait le droit de sortir. Quand Gideon et lui ont été pris alors qu'ils tentaient de s'échapper, on les a enfermés. Le lendemain, ils ont été fouettés en public. Comme leur bourreau l'avait pris en affection, Gweru n'a pas été battu trop sévèrement. En outre, il avait affirmé à ses instructeurs qu'il avait juste cherché à faire un tour dehors, mais qu'il avait eu l'intention de rentrer avant le réveil de 5 heures. Son ami Gideon, lui, a résisté : il en avait assez d'être "traité comme un chien" et a répété qu'il voulait s'en aller. Ivres, les instructeurs ont frappé Gideon si sauvagement que certaines des femmes qui étaient contraintes d'assister à la scène se sont mises à pleurer. Le surlendemain, quand il a été relâché, Gweru a appris que Gideon était mort des suites de ses blessures. Le cuisinier, qui lui apportait du chou froid, lui alors asséné : "Que ça te serve de leçon."
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