Un cercle vicieux fondé sur la terreur
La Corée du Nord s’apparente
plus à une armée en marche qu’à un État au
sens où nous l’entendons : il n’y existe ni
droits, ni liberté, ni garanties civiles. La
seule loi qui vaille est la volonté du dirigeant,
pour ne pas dire son caprice, dont
l’autorité s’impose à tous. Habitués durant
la résistance à terroriser leurs ennemis et à
rançonner les civils, les Kim n’ont jamais renoncé à ces pratiques. À l’étranger, le régime
n’a aucun scrupule à espionner, à tra quer ou à perpétrer des assassinats, dût-il
y avoir des dommages collatéraux. On sait,
par exemple, que c’est Kim Jong-il lui-même
qui, en novembre 1987, a commandité l’attentat
contre le vol de la Korean Air reliant
Abu-Dhabi à Séoul (115 victimes).
Dans leur pays, les Kim ont multiplié les
polices politiques qui surveillent étroitement
la population tout en se surveillant
elles-mêmes et ont ouvert des camps de
concentration qui visent à terroriser l’opinion.
Pour que personne ne se sente à l’abri,
les disgrâces, les purges politiques et les
exécutions capitales en public (il y en aurait
encore une centaine par an) sont monnaie
courante, arbitraires et futiles. Posséder
un téléphone portable ou des CD en
provenance du Sud peut vous valoir le peloton.
Ce climat de terreur permanent suscite
une violence endémique qui ronge la société
nord-coréenne, gangrenée par les rixes,
les viols, l’alcoolisme et la drogue. Selon les
services de renseignement du Sud, Kim
Jong-un aurait déjà déjoué plusieurs tentatives
d’assassinat depuis son avènement et
par conséquent renforcé l’appareil répressif.
Loin du paradis solidaire que dépeint la
propagande, la Corée du Nord n’est plus
qu’un cercle vicieux fondé sur la terreur.
Beaucoup de camions marchent au charbon
Etrange sensation que de parcourir ce pays à part
en butte au reste du monde, où tout peut faire défaut
d'un moment à l'autre: l'électricité (les coupures
sont fréquentes et plongent dans le noir des quartiers
entiers), le pétrole, (beaucoup de camions marchent
ait charbon, fumant comme les locomotives) l'eau
au robinet, la nourriture, les médicaments, sûrement la joie de vivre. Dans ce pays cadenassé du dedans.
Il n'y a aucun accès à intemet et les chaines de télévision
sont étatiques. On y diffuse des numéros de
cirque, de la danse classique, des travellings sur des
massifs de fleurs, même des inspections où des officiels
hochent la tête devant des tapis roulants débitant
des plaques de tôle où des pneus. Quant au
réseau téléphonique, qui fonctionne sur un réseau interne, on ne recenserait que 500 000 numéros
pour vingt-quatre millions d'habitants.
Tout est cultivé à la main
Sorti de la capitale-vitrine, on oublie vite ces fastes
en trompe l'oeil. Les routes du sud-est et du sud-ouest
se révèlent aussi larges que vides: cinq voitures
par heure, dont des Toyota de hauts gradés.
Le revêtement est mauvais, parfois inexistant quand
il ne s'agit pas de plaques disjointes de béton, où vibre la voiture. Chaque embranchement donne à
apercevoir le dessin serpentant de pistes, de chemins
de terre, de sentiers nus. Pas ou peu d'arbres
(les saules pleureurs et les acacias ont été coupés
pour le chauffage ou la cuisine. On ne compte plus
que des collines par centaines, par milliers, rases,
rabotées, couleur biscotte ou pain brûlé, avec des
paysans qui raclent, creusent ou ensemencent aux "engrais organiques" les sillons communautaires.
Et à l'infini, telle une mer étale, ces champs, ces
rizières à sec, ces ruisselets dont le limon est creusé
par des militaires, la pelle à la place du fusil. Même
les parterres des casernes sont plantés de choux.
Comme s'il fallait que cette terre ingrate donne un
peu. Une course contre la faim.
Parfois, surgit une poignée d'enfants, serpe à la
main. Fantomatiques, ils grattent le sol pout en
arracher des racines et les mauvaises herbes. Aux
abords des villages où le même modèle de maison d'un blanc sali est répété trente, cinquante ou cent
fois, des dizaines de Coréens s'égaient sur le ciment,
cherchant à se faire prendre en stop. Dans les cours
d'école, les enfants s'essaient à des gymnastiques
rythmiques, en prévision de l'Arirang, la fête nationale. Foulard autour du cou, des pionniers s'en vont
sarcler un rond-point. On y tourne à notre tour, sens
gitatolre Sans flux, perdus dans l'espace du vide.
Pyongyang, la "capitale des
saules", apparaît comme une ville aérée et propre,
presque plaisante en l'absence de circulation. Ici,
on traverse à l'oreille, sans regarder. La voiture est
rare, pas le passant. Détruite pendant la guerre de
Corée (1950-1953), la. ville a été rebâtie sur le modèle
stalinien: larges avenues, places monumentales dont
la plus vaste peut accueillir un million de personnes,
statues et mosaïques révolutionnaires, arc de triomphe,
parcs. lci tout ce qui n'est pas interdit est presque
obligatoire. On pourra ainsi admirer la statue du
grand leader (trente mètres, en bronze bruni) devant
laquelle il faut s'incliner trois fois et déposer des
fleurs (4 euros le bouquet) ou ce théâtre de Moranbong, colonnes doriques et fronton triangulaire, tout
droit sorti d'une Rome antique. Là, au gré des collines,
ces pavillons-belvédères ou ces portes du XVIIIe
siècle qui ouvrent les jardins. Plus surprenant : sur
les berges du fleuve, on s'amusera à suivre des yeux ces cotueurs, le marathon etant la passion nationale
ou ces amateurs du "reverse", cette marche à reculons
qui fait aller à l'envers des dizaines d' adeptes.
A se demander comment ces athlètes tiennent l'effort,
le ventre si peu rempli.
La promenade dans Pyongyang peut se révéler
agréable à condition, bien sûr, mauvais réflexe capitaliste,
de ne pas y chercher de boutiques, de terrasses
de café. de kiosques ... il ny en a pas. Et d'arriver
à oublier cette proportion surprenante de policiers,
de soldats, d'enfants-pionniers et de «volontaires»,
tous occupés à des travaux d'intérêt général comme
ceux qui consistent à agrémenter les plates-bandes
de fleurs en tissu. Pour les vraies, on plante alors
des "Kimilsungia", orchidée mauve, et des "KimJongilia",
bégonia pourpre. Mais les citadins vous évitent. On ne peut pas leur parler. Si l'on y parvient,
par exemple lors d'un concert au Conservatoire
musical populaire où l'on écoute un best of des arias de "Roméo et ullette", l'interlocuteur ne s'exprimera
qu'en coréen. Obstinément. Pas question, pour lui
de s'attirer des ennuis en rIaison d'une confidence
amère lâchée à un étranger. La sanction serait terrible.
L'imprudent rejoindrait les 200 OOO prisonniers
politiques détenus dans des camps de rééducation
(selon un rapport d'Amnesty publié en 2011).
Ne parlons pas de ceux qui osent franchir la frontière.
D'après la Corre du Sud, ils seraient 20 000 depuis
1953. Qui condamnent de facto leur entourage
(famille, voisins. collègues) à l'emprisonnement.