Catherine Bokassa décide de régner
Catherine Denguiade se rend à pied tous
les matins au lycée Pie-XII de Bangui, démarche chaloupée et gracieuse. C'est une
belle jeune fille de 15 ans à la silhouette
déliée, timide et sérieuse. Subitement, son
destin vire au cauchemar lorsque sa route
croise celle du chef d'étal-major de l'armée
centrafricaine, un individu aussi amoral que
concupiscent. Il fait enlever Catherine par
ses soldats, la séquestre et la viole ... avant
de soudoyer ses parents pour l'épouser de
force. On ne dit jamais non à un personnage
aussi puissant. D'ailleurs, les mariages arrangés
n'ont rien d'inhabituel en Centrafrique,
et personne ne songe à demander son opinion
à la principale intéressée.
Catherine sera chronologiquement la septième
femme de Jean Bédel Bokassa mais non pas la
dernière, car il en épousera huit autres. Qu'elles
soient blondes, brunes, rousses, charnues ou menues,
les femmes sont collectionnées par Bokassa
comme des trophées, et il les enferme dans des
palais jalousement gardés. Qu'un homme s'avise
d'en regarder une d'un peu trop près, et sa fureur
explose. Un jour, il tue un domestique en le frappant
avec une canne. Une autre fois, il dépèce un
importun à coups de chaîne. Mais devant Catherine,
il apprend à filer doux. Elle réussit à dompter la bête
en lui opposant un calme inouï. Il ne comprend pas
sa froideur, l'absence de son regard, ce vide étrange
à la place de la terreur qu'il devrait lui inspirer. Jean
Bédel se met alors à respecter cette énigme vivante.
La jeune femme n'a pourtant rien pardonné. Faute de
pouvoir s'échapper, elle décide de régner et parvient
à éclipser les autres épouses.
La liberté retrouvée de Catherine Bokassa
Le 4 décembre 1977, Bokassa se fait sacrer empereur
façon Napoléon, grotesque dans son costume de maréchal
Ney. Catherine s'arrange pour devenir sa Joséphine,
même si le diadème est un fardeau. Elle y gagne
en liberté.
En 1979, elle est officiellement reçue à Paris
par le couple présidentiel Giscard d'Estaing, dévalise les
boutiques de l'avenue Montaigne, donne des réceptions.
Elle veut oublier la chambre conjugale nantie d'un lit rond
hydraulique, avec des miroirs au plafond et un magnétoscope
où le dictateur se passe en boucle La Victoire en chantant,
de Jean-Jacques Annaud.
Catherine saisit bientôt l'occasion
de prendre ses distances, car la folie du tyran a atteint
son paroxysme. Il est accusé d'avoir participé au massacre
d'une centaine d'enfants dans la prison de Bangui; son chef
de cuisine affirme avoir servi aux membres du gouvernement
un de leurs collègues, à leur insu et sur ordre direct de
Bokassa. La fin cle règne s'accélère. Catherine lui téléphone
de France pour le prévenir qu'il doit impérativement abdiquer.
Il croit qu'elle le trompe avec Valéry Giscard d'Estaing.
Sa paranoïa précipite sa déchéance et son exil en Côte d'ivoire.
Catherine l'y rejoindra brièvement, puis elle profitera de la débâcle
pour s'enfuir et se réfugier en Suisse. La jeune fille sage
peut reprendre son chemin. Enfin seule.