Une rade chargée de symbole
La célèbre rade des îles Orcades, dans le nord de l'Écosse, était lourdement chargée de symboles. En premier lieu, elle avait été l'objet d'infructueuses tentatives d'attaque de la part des UBoote durant la Première Guerre mondiale. Le 23 novembre 1914, l' U-18 avait tenté le passage en immersion, mais le courant l'avait contraint à faire surface. Canonné par les Britanniques, l'équipage l'avait sabordé avant de se rendre. À son tour, l'UB-116 avait tenté un baroud d'honneur le 28 octobre 1918. Mais repéré, il avait sauté sur une mine télécommandée de la côte. Il n'y avait eu aucun survivant.
Le défi restait à relever. En second lieu, la rade de Scapa Flow avait servi à l'internement de la Hochseeflotte, au lendemain de l'armistice de 1918, avant que l'amiral von Reuter, son commandant en chef, n'ordonnât, le 21 juin 1919, son sabordage. Elle était devenue le cimetière de soixante-quatorze épaves dont dix cuirassés et cinq croiseurs de bataille, fleurons de la marine allemande. Plaie jamais refermée.
Un objectif stratégique de première importance
Scapa Flow, au coeur du dispositif britannique, était en soi un objectif stratégique de première importance. Durant la Première Guerre mondiale, cette superbe rade naturelle avait servi de base principale à la Royal Navy pour assurer la couverture éloignée de la mer du Nord et le blocus de l'Allemagne. Or faisant fi de la menace aérienne, l'amirauté britannique l'avait reconduite, en 1939, dans ses fonctions antérieures et de nouveau transformée en base de stationnement de la Home Fleet avec le gros des forces de surface, destinées à intervenir dans un conflit identique au premier. L'entrée des passes avait été réaménagée et verrouillée par des filets, des câbles, des coques de navires coulés et des champs de mines. Ce système défensif, réputé hermétique, était optimisé par un réseau de postes du guet.
Un point faible dans la forteresse de Scapa Flow
Après avoir longuement étudié les photographies transmises par la Luftwaffe, Dönitz avait trouvé un point faible dans la « forteresse ». Il avait repéré un chenal non protégé, d'une quinzaine de mètres de large, entre les trois blockships du Kirk Sound, à l'entrée la plus au Nord, qui pourrait laisser un U-Boote glisser en surface au moment de l'étale de haute mer.
La mission était très périlleuse en raison des obstacles, mais surtout des forts courants. Pour la mener avec quelques chances de succès, il s'adressa à un homme d'expérience, le commandant de l'U-47, le lieutenant de vaisseau Gunther Prien, un officier de trente et un ans, ancien de la Norddeutscher Lloyd passé dans la Kriegsmarine, réputé pour ses qualités militaires et sa science nautique.
Vu l'importance de l'enjeu et les risques encourus, Dönitz lui laissa 48 heures de réflexion. Prien accepta sans hésitation de relever le défi. Le dimanche 8 octobre 1939, l'U-47 appareilla de Kiel dans le plus grand secret, emprunta le canal et, sitôt en mer, plongea pour se poser sur le fond. Prien convoqua alors l'équipage et l'informa de l'objet de leur mission. Un silence de mort accueillit ses révélations, le sort funeste de leurs devanciers durant la Première Guerre mondiale étant présent dans tous les esprits. Le 12 octobre, l'U-47 s'approcha de la base-forteresse la mieux gardée du monde. Après une journée d'anxiété par 70 mètres de fond au cours de laquelle les mécaniciens s'activèrent à la réparation d'avaries de machine, Prien fit surface dans la soirée du 13 octobre pour se repérer sur les îles.