Prien pénètre à l'intèrieur de la célèbre rade Scapa Flow

l' U-47 se glissa dans le Holm Sound, l'un des trois accès à la rade de Scapa Flow. Il était près de minuit. De la passerelle, Prien scrutait le chenal brillamment illuminé par l'aurore boréale, la terre si proche de chaque côté, et surgissant, menaçants, au-dessus de l'eau les mâts et les cheminées des navires coulés. « C'est un spectacle vraiment impressionnant, écrivit Prien dans son journal de bord. Sur terre, tout est dans l'obscurité; très haut dans le ciel, la lumière scintillante de l'aurore boréale est comme suspendue pour éclairer à la verticale la baie, entourée de hautes montagnes. Les bateaux coulés gisent dans le goulet, fantomatiques comme des décors dans les coulisses d'un théâtre. »
Au nord, juste à sa droite, Prien put voir un habitant de l'île rentrer chez lui à bicyclette, son éclairage formant un point lumineux dans l'obscurité sur la route de la côte. Sans
consulter ses cartes (il les connaissait par coeur) Prien
guida son bâtiment dans le passage, mais ne put éviter un incident: l'U-47 venait de dépasser sans encombre un navire coulé, une goélette à deux mâts gisant à quelque 10 mètres de profondeur, lorsqu'un courant le fit dériver sur tribord; le sous-marin heurta la chaîne d'une des épaves, et Prien sentit la coque racler le fond. Avec précaution, il libéra l'U-47, le fit virer légèrement sur bâbord et, par une manoeuvre délicate et rapide, se faufila dans l'étroite ouverture. Le 14 octobre, à 0 h 30 très exactement, il avait pénétré à l'intérieur de la célèbre rade de Scapa Flow.
La rade de Scapa Flow est vide
Prien mit cap à l'ouest pour explorer en surface la rade. Grande désillusion, elle était vide ! Depuis le 10 octobre, la Home Fleet avait changé de mouillage pour prévenir une attaque aérienne à la suite des deux reconnaissances allemandes des jours précédents, sans compter qu'une partie des bâtiments était dispersée en mer du Nord pour prendre en chasse le Gneisenau. Prien fit demi-tour et remonta vers le Nord. Il finit par découvrir à 3 000 mètres deux grands bâtiments tous feux éteints. Il s'agissait du bâtiment auxiliaire Pegasus (un vieux ravitailleur d'hydravions transformé en transport) et du Royal Oak, un cuirassé vétéran de la Première Guerre mondiale. Les deux bâtiments avaient été laissés en arrière par la Home Fleet pour réparer des avaries légères et devaient appareiller le lendemain pour la rejoindre dans le Loch Ewe.
Une première salve de torpilles sur le Royal Oak
L'U-47 se trouvait maintenant à moins de 4000 mètres de sa proie, en parfaite position pour la mise à mort. Les quatre tubes lance-torpilles avant dirigés sur les silhouettes confondues des deux navires britanniques, Prien donna l'ordre de lancement. Un chuintement d'air comprimé, un léger recul du sous-marin, et les torpilles s'élancèrent. Trois minutes plus tard, on entendit un bruit sourd: une seule torpille venait d'exploser, sans causer de dégâts, ayant touché de toute évidence l'étrave du Royal Oak, ou une chaîne d'ancre. Amèrement déçu et incapable de s'expliquer ce qui s'était passé, Prien fit faire demi-tour à son bâtiment et lança la torpille de l'arrière: elle aussi manqua largement son but.
Personne ne soupçonne la présence de Prien
Le temps avait passé, et la situation de l'U-47 était devenue périlleuse: toute la flotte britannique devait à coup sûr être en alerte, et l'instinct de Prien lui dictait d'amorcer la retraite. Mais, au fur et à mesure que les minutes passaient dans l'attente et l'appréhension d'une contre-attaque, qui paraissait inéluctable, le commandant de l'U-47 commença à prendre conscience de ce fait ahurissant: personne, à bord des navires au mouillage autour de lui, n'avait encore soupçonné sa présence !
En fait (mais Prien ne pouvait évidemment pas le savoir), le commandant du Royal Oak W.G. Benn, et le commandant de la Deuxième Escadre le contre-amiral H.E.C. Blagrove, lui aussi à bord du cuirassé, avaient attribué le bruit de l'explosion de la torpille à quelque incident interne d'origine indéterminée.