La tactique des meutes

Les U-Boote
La terreur des convois

La tactique des meutes est à l'origine des plus grands succès allemands en 1942-1943. Avec l'augmentation du nombre de sous-marins, certaines batailles mettent en jeu de trente à quarante bâtiments qui réussissent à saturer la défense des escorteurs.
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«Depuis quatre semaines, des vents de 100 à 110 kilomètres à l'heure soufflaient de toutes les directions, et la température se maintenait à peine au-dessus de zéro. Je me trouvais sur la passerelle où il n'existait naturellement aucune protection, à part les parois d'acier glaciales, et où il était impossible de se réchauffer. Continuellement projeté contre la rambarde, je sentais le harnais de sécurité (un filin d'acier recouvert de cuir) s'enfoncer dans mes côtes. On savait que des officiers de quart, et des meilleurs, avaient été balayés par-dessus bord par la mer déchaînée. Il arriva que l'équipe assurant la relève sur le pont n'y trouvât plus âme qui vive! La force des lames qui déferlaient sur nous était à présent réellement terrifiante
«L'officier de quart ayant prévenu le veilleur de l'avant d'une énorme vague, tout le monde se recroquevilla et s'agrippa à tout ce qui se trouvait à portée pour encaisser le choc. Ce fut indescriptible. Des masses d'eau verte s'abattirent sur nous, nous aveuglant, emplissant nos oreilles, nos narines et nos bouches. Les imperméables, les bottes, les manteaux ne servaient vraiment pas à grand-chose: on avait beau fermer les ouvertures des vêtements, l'eau glacée pénétrait partout. Mes mains devenaient raides de froid, mais
je n'en devais pas moins continuer à me servir de mes jumelles, car nous nous faisions un point d'honneur de ne rien laisser échapper, nous devions tout simplement rester constamment sur le qui-vive pour surveiller l'apparition de navires ou d'avions.
»
Témoignage
Schaeffer décrit les terribles épreuves des équipages des U-Boote

Dönitz était impatient de mettre en oeuvre la tactique des meutes

Dönitz était impatient de mettre en oeuvre la tactique des meutes
La campagne de Norvège terminée et la sécurité des torpilles assurée, Dönitz put de nouveau se consacrer à la bataille de l'Atlantique. La chute de la France au début de l'été améliora notablement les possibilités d'action des U-Boote. Ceux-ci abandonnèrent leurs bases de la mer du Nord pour les ports français de l'Atlantique et raccourcirent de 450 milles le trajet qu'ils devaient effectuer pour rejoindre leurs zones d'opération, d'où les nombreux avantages dans les domaines de la rapidité des interventions, de l'allongement des croisières et des économies de combustible. Ce changement ne tarda pas à se traduire dans les statistiques du tonnage ennemi coulé. Sur les 600000 tonnes environ perdues par les Alliés en juin, près de la moitié furent détruites par les U-Boote.
Cependant, Dönitz était impatient de mettre en oeuvre la tactique des meutes dont il attendait, écrivit-il par la suite, des résultats substantiels.
Il donna donc l'ordre aux commandants d'U-Boote de prévenir le quartier général chaque fois qu'ils repéreraient un convoi. A la réception de cette information, tous les sous-marins se trouvant dans les parages recevaient l'ordre de se diriger sur les lieux pour mener une attaque coordonnée.
Depuis la chute de la France, les convois suivaient une route passant au nord de l'Irlande. Dönitz déploya en conséquence ses bâtiments au large des îles Britanniques. Il utilisa trois formations de base: la première sur une ligne qui faisait des allers et retours pour patrouiller sur un vaste secteur; la deuxième en ligne de front stationnaire qui maintenait les U-Boote à 25 milles les uns des autres; enfin, la troisième en carrés: leur taille variait suivant le nombre de sous-marins disponibles, et chaque bâtiment se voyait assigner la surveillance d'une zone donnée.
Tout repérage de convoi était immédiatement annoncé au quartier général de Kernevel, où Dönitz, connaissant la position exacte de chacun de ses sous-marins, pouvait avancer ses pièces comme sur un jeu d'échecs géant. Il recevait une aide extrêmement précieuse du service de renseignements de la marine, dont les spécialistes réussissaient admirablement à déchiffrer les messages britanniques concernant les routes des convois.
A la suite de l'interception de certaines communications, Dönitz essaya à plusieurs reprises, au cours de l'été de 1940, d'appliquer sa tactique, mais ses tentatives se soldèrent toutes par des échecs, les convois ayant chaque fois changé de direction au dernier moment. En septembre, un nouveau message ayant été déchiffré, Dönitz lança alors quatre U-Boote à l'attaque d'un convoi. En dépit des conditions atmosphériques épouvantables entravant l'activité des sous-marins, ils coulèrent cinq navires. Puis, dans la nuit du 21 septembre, une «meute de loups» assaillit un convoi de 41 navires, anéantissant 12 des bâtiments.
Ensuite, au cours des nuits du 18 et du 19 octobre, Dönitz enregistra deux victoires si eclatantes qu'elles effacèrent les doutes qu'il pouvait encore nourrir sur l'efficacité de la tactique des meutes.

Tout commença un peu avant minuit, le 16 octobre 1940

U-Boot attaqué par un avin allié
Tout commença un peu avant minuit, le 16 octobre 1940, lorsque le lieutenant de vaisseau Heinrich Bleichrodt, du haut de la passerelle de son U-48, repéra un convoi à 180 milles au nord-ouest de l'îlot de Rockall. Plus de 30 petites silhouettes se dirigeaient lentement vers lui. Elles étaient escortées sur les flancs et sur l'avant par trois minuscules formes évoquant des chiens de berger, qui harcèleraient un troupeau pesant et traînard.
Lentement, Bleichrodt conduisit dans l'obscurité son U-48 en position à environ un mille de la colonne de gauche du convoi et resta là, regardant défiler les silhouettes qui se détachaient sur le ciel éclairé par la lune. Dès qu'il le put, il signala par radio à Lorient les données suivantes: position, route, vitesse, nombre de bateaux et de navires d'escorte attachés au convoi.
Le message envoyé, Bleichrodt se rapprocha de la colonne, attendit que les escorteurs fussent éloignés le plus possible et, passant à l'attaque, lança une gerbe de torpilles en direction de trois navires, dont les ombres — il n'aurait pu rêver meilleur objectif — chevauchaient. Sans attendre de voir les résultats de son attaque, il vira de bord et se dirigea vers le nord-ouest, sans forcer l'allure pour ne pas laisser de sillage révélateur. A 4 heures du matin, en ce 17 octobre, l'écho de deux explosions sourdes se répercuta sur la mer, et des flammes s'élevèrent dans le ciel. Le pétrolier français Languedoc, de 10000 tonnes, venait brusquement de prendre feu, et le cargo britannique Scoresby de stopper net ses moteurs, son importante cargaison de poteaux de mines glissant sur les ponts et se déversant dans l'eau. Les deux navires coulèrent en quelques instants.
Bon début, pensa Bleichrodt; mais, comme l'aube pointait, il lui fallut s'éloigner. Il projeta de suivre le convoi à distance pendant les heures de jour, donnant à Lorient, à intervalles réguliers, toutes les indications nécessaires sur sa position. Il envisagea d'attaquer de nouveau à la nuit éventuellement en compagnie d'autres U-Boote si, d'ici là, certains avaient réussi à le rejoindre.
Cependant, peu après 7 heures du matin, retentit l'avertissement «Avion en vue!». Bleichrodt dégringola à l'intérieur et claqua le panneau de pont au moment où un hydravion britannique Sunderland fonçait en piqué sur le sous-marin. Le commandant était encore en train d'assurer le verrouillage du panneau dans le submersible qui continuait sa plongée en catastrophe, quand deux bombes explosèrent à proximité. L'U-48 tomba comme une pierre; l'électricité s'éteignit; tout un matériel hétéroclite s'effondra au milieu des hommes, qui s'agrippèrent à tout ce qu'ils pouvaient. Bleichrodt, lui-même, ressentit dans ses mains et ses bras le choc des explosions et la secousse des déflagrations répercutés par le panneau des écoutilles.
La discipline aidant, le calme revint à bord de l'U-48; mais, très vite, les hydrophones enregistrèrent les bruits, tant détestés par les sous-mariniers, d'hélices tournant à proximité. Bleichrodt comprit qu'au moins un des navires d'escorte, dont il venait de réussir à déjouer la surveillance, avait été alerté par le Sunderland et se trouvait juste au-dessus de lui. Les «pings» de l'asdic ne tardèrent pas à retentir à leur tour sur la coque de l' U-48, qui descendit jusqu'à 180 mètres où il décida d'attendre patiemment le départ de l'escorteur importun.

La chance fut du côté des assaillants

Huit heures durant, des grenades sous-marines explosèrent au-dessus du submersible — mais aucune, heureusement, au-dessous de 180 mètres. Pendant ce temps, pensait amèrement Bleichrodt, le convoi s'éloignait vers l'est en suivant vraisemblablement une route toute différente. Les U-Boote étaient-ils arrivés dans les parages des eaux britanniques en nombre suffisant pour surveiller toutes les routes d'évasion possibles du convoi?
A Lorient, Dönitz s'inquiétait de la position de l'U-48. Il se demandait avec une certaine angoisse si la disparition de Bleichrodt n'avait pas privé ses sous-marins d'une occasion réellement inespérée.
On avait clairement reçu le message de l'U-48 et lancé immédiatement les ordres appropriés, mais un certain nombre des U-Boote dirigés vers le convoi devaient encore parcourir une grande distance avant de parvenir sur les lieux indiqués. Ainsi Kretschmer avait signalé qu'il arriverait avec au moins une heure de retard au rendez-vous, et l'U-48 de Liebe se trouvait apparemment trop loin pour rejoindre le groupe à temps. Si on n'interceptait pas le convoi dans les deux jours à suivre, il pourrait atteindre des eaux où il serait en sécurité.
Mais la chance fut du côté des assaillants. Liebe, qui naviguait isolément, repéra le convoi, loin au sud, le 17 octobre au crépuscule. Il prévint Lorient par radio, puis se rapprocha de la tête de la colonne de gauche du convoi; et, aux environs de minuit, il passa à l'attaque, lançant une gerbe de trois torpilles. L'une d'entre elles toucha le cargo Carsbreck (sa cargaison de grumes allait lui permettre de rester à flot et même de rejoindre le port). Une demi-heure plus tard, Liebe lança une nouvelle gerbe de torpilles, pour s'apercevoir, furieux, quelques secondes après, qu'aucune n'avait atteint son objectif.
Mais il avait rempli sa tâche la plus importante. Grâce à ses messages radio, Dönitz savait maintenant exactement où était le convoi SC-7, et mieux encore où il se trouverait à la nuit, ce qui lui permit de mettre en place un barrage d'U-Boote. Le premier, l'U-101 de Fritz Frauenheim aperçut le convoi, au début de la journée. Celui-ci, dans les quarante heures écoulées depuis l'alerte de Bleichrodt, avait couvert 250 milles en direction du sud-ouest, et dans l'après-midi la meute fut rassemblée.
Se retrouvaient là l'U-99 de Kretschmer, bien décidé à démontrer que l'on pouvait attaquer un convoi, en se plaçant au centre et qu'il suffisait d'une seule torpille pour couler un bâtiment, l'U-100 de Schepke, l'U-123 de Moehle et l'U-46 d'Endrass qui, tous trois, s'étaient placés sur les flancs du convoi. L'U-48 de Bleichrodt, retardé par la contre-attaque des escorteurs, forçait l'allure pour essayer de rejoindre l'arrière du groupe.
Commandant U-Boot à la recherche d'un convoi allié

La meute de U_Boote se rua sur ses proies

Un U-Boot attaque un convoi allié
A 20 h. 15, Endrass lança sa première torpille: touché à mort, le cargo suédois Convallaria chavira, mais sa cargaison de pâte à papier le maintint à la surface pendant un quart d'heure, et l'équipage eut le temps de prendre place dans deux canots de sauvetage. Pendant que les navires d'escorte fonçaient vainement dans tous les sens (ils ne pouvaient repérer l'ennemi dans la nuit, et les asdics ne servaient à rien puisque les U-Boote se tenaient en surface), l'U-123 de Moehle frappa à son tour. Il coula le cargo britannique Beatus, qui transportait des grumes et des barres d'acier, et le vapeur néerlandais Boekolo qui, enfreignant les instructions données aux convois, s'était arrêté pour recueillir les quelques survivants.
La meute se ruant sur ses proies, de partout des navires étaient envoyés par le fond. Lourdement chargé de minerai de fer, le cargo britannique Creekirk coula en quelques instants. Peu après, l'énorme vapeur britannique Empire Miniver quitta sa ligne, une épaisse fumée jaillissant de tous ses ponts pendant que ses hommes d'équipage s'entassaient dans des canots ou sautaient à l'eau. Ce fut ensuite le tour du cargo britannique Fiscus, qui explosa et disparut dans les profondeurs de l'Océan. Il ne laissa qu'une énorme colonne de fumée qui s'éleva au-dessus des débris tourbillonnant dans le maelström provoqué par l'engloutissement du navire.

Une nuit de chaos, de destruction et de mort

Des U-Boote attaquent un convoi
Kretschmer se trouvait au milieu du groupe, choisissant froidement ses victimes. Il avait manqué un navire sur le flanc du convoi, mais il en toucha un autre qui coula en vingt secondes. Découvrant une ouverture dans sa ligne, il s'y glissa et se retrouva pourchassé par un gros cargo britannique, l'Assyrian, qui l'avait repéré à la clarté de la lune. Pendant quarante minutes, Kretschmer zigzagua pour éviter de se placer dans l'angle de tir du canon installé à l'avant du cargo; après une dernière abattée, il lança une torpille qui manqua l'Assyrian, mais qui atteignit, derrière lui, le vapeur britannique Empire Brigade.
Suivit une nuit de chaos, de destruction et de mort pour le convoi, d'excitation et de triomphe pour les équipages des U-Boote. Partout, des navires brûlaient, explosaient, coulaient. Certains s'enfonçaient lentement; d'autres se cassaient en deux, l'avant ou l'arrière se dressant parfois à la verticale au-dessus des flots avant de disparaître dans un bouillonnement d'écume. Le vapeur Sedgepool s'enfonça comme un sous-marin obligé de plonger, ses hélices tournant à vide au-dessus de l'eau.
Du mazout brûlait à la surface de la mer près de débris enflammés, constitués de grumes et de bois de mines. Des filins sectionnés fouettaient l'eau, déchiquetant les naufragés qui tentaient de monter sur des poteaux de bois gluants. Bien des survivants qui luttaient désespérement pour leur vie furent finalement assommés ou écrasés par les grumes tournoyant dans les maelström engendrés par les nombreuses explosions.
Des 35 navires formant à l'origine le convoi SC-7, 15 seulement arrivèrent au port. En plus des 18 bâtiments coulés par Bleichrodt et de la meute, deux traînards avaient été envoyés par le fond.
Les sept U-Boote qui avaient attaqué le convoi étaient sains et saufs. Kretschmer revendiquait six navires coulés et Moehle quatre: ils totalisaient la moitié des pertes du convoi. Mais tous deux, ainsi que Frauenheim (dont l'U-101 avait finalement envoyé par le fond l'Assyrian), s'étaient totalement démunis de leurs torpilles et devaient à l'aube reprendre le chemin de leur base.
Un message de Lorient annonça alors qu'un autre convoi comportant 49 navires, parmi lesquels de nombreux pétroliers, arrivait en suivant à peu près la même route que le SC-7. Les U-Boote qui disposaient encore de torpilles furent rejoints par l' U-38 de Liebe et l' U-47 de Prien. Et, à 200 milles plus à l'ouest, se répéta le carnage de la nuit précédente, mais avec encore plus de violence et de fureur, et davantage de pertes en vies humaines en raison des incendies provoqués par les pétroliers touchés. Douze navires du convoi HX-79 furent coulés avant le lever du jour. A l'aube, les équipages complètement épuisés des bâtiments d'escorte scrutèrent une dernière fois la mer avec l'espoir de recueillir encore quelques rescapés.

La tactique de meute est la plus dévastatrice et la plus meurtrière qui soit

Les équipages des U-Boote étaient eux aussi épuisés, mais ils ne s'en souciaient guère dans l'euphorie d'une victoire qui, par son ampleur même, aurait dû quelque peu les étonner. Ils combattaient les Anglais sur mer et, quoi que le Führer pût dire de la décadence de la Grande-Bretagne, ils connaissaient la tradition navale de cette grande puissance et sa réputation de gagner la guerre après avoir perdu les batailles. Mais ils étaient trop grisés par leurs succès pour se poser des questions et, de toute façon, ils allaient à leur retour recevoir un accueil triomphal : félicitations de Dönitz, exhortations de Hitler en personne à faire encore mieux, et louanges hyperboliques de leurs exploits à la radio par Goebbels, ministre de la Propagande du Reich.
Les victoires des meutes en septembre et en octobre furent suivies par une brève accalmie dans la guerre sous-marine; il devenait nécessaire de remettre en état les bâtiments et d'accorder quelque repos aux équipages. En outre, avec l'arrivée de novembre, le temps devint franchement exécrable.
L'hiver de 1940-1941 se révéla l'un des plus terribles que l'on n'eût jamais connus dans l'Atlantique Nord. Les opérations des U-Boote en furent ralenties, entraînant une diminution des pertes des navires alliés. Mais, au printemps (et bien que les Britanniques eussent mis à profit ce répit pour tenter d'améliorer leurs moyens de défense(, les chiffres de navires alliés coulés allaient de nouveau monter au fur et à mesure que les U-Boote revenaient se placer en embuscade sur les routes des convois. Il faudrait à Dönitz encore toute une année d'attente avant de disposer d'une force sous-marine aussi importante qu'il le souhaitait. Cependant, il
avait d'ores et déjà découvert la tactique à suivre pour rendre cette guerre sous-marine la plus dévastatrice et la plus meurtrière oui soit.