Albrecht Brandi est régulièrement bombardé et grenadé

Il part pour sa deuxième patrouille le 2 novembre 1942. Deux jours plus tard, surprise générale à bord :
Brandi reçoit l’ordre de passer le redoutable détroit
de Gibraltar pour se rendre en Méditerranée ! Depuis
le U-371 le 24 septembre 1941, c’est le 42e sousmarin
à tenter de forcer le passage. Jusqu’à présent, 32 ont réussi, les 9 autres ont sombré ou été forcés
à faire demi-tour…
Les conditions de combat pour
les U-Boote se sont tant détériorées dans ce secteur
qu’en septembre et octobre 1942 leurs résultats ont
été quasiment nuls. Le U-617 passe discrètement et
sans incident le détroit de Gibraltar durant la nuit du
7 au 8 novembre 1942, quelques heures seulement
avant le débarquement allié en Afrique du Nord ! Les
jours suivants, il est obligé de plonger plusieurs fois
par jour pour éviter avions et destroyers ennemis, étant
régulièrement bombardé par les premiers et grenadé
par les seconds.
Le 19 novembre, il attaque la flotte
alliée face à Alger en tirant en surface des tubes I
à IV, à une distance de 3 000 m, sur un destroyer et
deux cargos ; une grosse explosion est aperçue au
niveau du destroyer, puis, alors que Brandy plonge,
deux autres explosions sont entendues. Il pense alors
avoir coulé le destroyer et un cargo de 5 500 tonnes,
puis endommagé un second marchand de même tonnage.
Après ses tirs, le U-617 subit un grenadage
intensif de quatre heures… Le 21, face à Oran, il tire
quatre nouvelles torpilles sur plusieurs bâtiments de
guerre, dont deux cuirassés en mouvement à environ
4 500 m. Trois détonations sont entendues, et le commandant
déclare avoir endommagé un cuirassé de
33 950 tonnes. Le 23 à 15h12, de nouveau au large
d’Oran, le U-617 tire encore deux torpilles sur un
croiseur classe Jeanne d’Arc protégé par deux destroyers,
avant d’effectuer une plongée profonde ; deux
minutes après le lancement, une détonation retentit
puis, deux minutes plus tard, deux autres plus sourdes.
Brandi envoie alors au BdU un message de victoire
concernant un croiseur léger de 6 496 t probablement
coulé. En réalité, pas un seul de tous ces bâtiments
n’a été perdu par les Alliés ! Compte tenu du nombre
important de navires de plusieurs pays en opérations
dans ce secteur à ce moment-là, il est possible que
certains d’entre eux aient pu seulement être endommagés
et leurs dégâts imputés à une autre cause
qu’un U-Boot, une mine par exemple…
Fausses victoires et vraie évasion

Le 28 novembre 1942, le U-617 arrive au port de
La Spezia, en Italie, siège de la 29e flottille de sousmarins
à laquelle il est dorénavant rattaché. Les
rapports des missions suivantes ne concordent pas
toujours avec les rapports alliés : lors de sa deuxième
patrouille en Méditerranée, Brandi déclare avoir coulé
un destroyer et huit navires pour 41 000 tonnes ; en
réalité, seul le remorqueur HMS St-Issey et deux cargos
ont été envoyés par le fond pour 6 996 tonnes !
Le
U-617 arrive à Salamis le 17 janvier 1943, quatre jours
avant que Brandi se voie décerner la Croix de chevalier.
Durant la mission suivante, il revendique la destruction
d’un croiseur : il s’agit en réalité du HMS Welshman,
un mouilleur de mines de 2 650 tonnes ! Deux
cargos sont également à ajouter au palmarès du commandant.
Pour sa 5e mission, un croiseur, un destroyer
et un transport de troupes sont annoncés comme
coulés, alors qu’en fait aucun de ces bâtiments n’a
disparu… Pourtant, le commandant n’est pas le seul,
après les torpillages, à avoir perçu les détonations et
bruits de navires en train de couler : tout l’équipage
témoigne avoir entendu les mêmes choses.
Malgré ces disparités de tonnage, Brandi ajoute, le
11 avril, les Feuilles de chêne à sa Croix de chevalier,
une décoration qu’il va pouvoir fêter à son arrivée
à Toulon, sa nouvelle base. L’arme sous-marine
allemande a bien besoin de ces succès fortement
relayés dans la presse afin de susciter encore des
vocations. Et puis Albrecht Brandi correspond bien à l’image populaire du commandant de U-Boot : toujours
barbu à son retour de mission, cet officier aux
cheveux châtain clair et aux yeux bleus perçants porte
sa Ritterkreuz sur une chemise à carreaux, une vieille
veste élimée avec des pièces aux coudes et des galons
de Kapitänleutnant tombant en morceaux. Bien qu’âgé
de seulement 29 ans, il a déjà l’allure d’un vieux loup
de mer. Toujours souriant, n’hésitant pas à jouer du
piano en public ou à se déguiser, c’est un personnage
haut en couleurs qui intéresse la propagande : en mai
1943, la presse allemande préfère ainsi s’étendre sur
ses incroyables succès que de parler des 41 U-Boote
coulés par les Alliés durant la même période…
Lors de
sa 7e et dernière patrouille, le 6 septembre 1943 à l’est
de Gibraltar, le U-617 coule le Puckeridge, un destroyer
britannique de 1 050 tonnes. Le 10 septembre, il
attaque de la même façon deux autres destroyers ;
sous l’eau, les sous-mariniers entendent des sons
caractéristiques d’un naufrage… qui ne seront pas
confirmés côté allié. Dans la nuit du 11 au 12 septembre,
le Typ VIIC est fortement endommagé par
des bombardiers équipés d’un projecteur. Pourchassé
ensuite par trois bâtiments de guerre, le commandant
décide d’échouer le U-617 sur une plage du Maroc
espagnol, puis de le saborder. Tout l’équipage parvient
à débarquer à terre sain et sauf, tandis que
le U-Boot est coulé au canon par ses poursuivants.
Albrecht Brandi est interné près de Cadix, dans un
camp espagnol pour officiers. Grâce à la complicité
de l’attaché militaire de l’ambassade d’Allemagne, qui
lui fournit de faux papiers au nom d’Albert Bergmann,
il réussit à s’échapper en novembre et à rejoindre le
sud de la France !
Aucun des navires visés n'a été coulé !
En décembre 1943, Albrecht Brandi est nommé commandant du U-380 (un Typ VIIC), un sous-marin opérant
en Méditerranée depuis la mi-novembre 1942. Son
ancien commandant, Josef Röther, a lui aussi eu beaucoup
de difficultés à confirmer clairement si ses tirs
de torpilles avaient été efficaces ou non, et, là encore,
son journal de bord ne reflète pas la réalité des faits.
Le U-380 quitte Toulon le 20 décembre et tente, au
large d’Alger, une attaque contre le destroyer français
Le Fantasque avec une torpille acoustique T5 : une
explosion est entendue au bout de dix longues minutes…
Le 11 janvier 1944, une autre torpille acoustique est
tirée contre un petit convoi, puis une gerbe de trois
torpilles classiques, mais celles-ci détonnent bien trop
longtemps après, probablement en fin de course…
Le U-380 rentre à Toulon le 21 janvier 1944 sans
qu’aucun des navires visés n’ait été coulé. Ce port
n’ayant pas de base bétonnée pour abriter les U-Boote, le
sous-marin est endommagé par des bombardiers américains
le 4 février, puis définitivement coulé par l’USAAF
le 11 mars (un mort à déplorer).
Après Brest, Lorient,
Saint-Nazaire, La Pallice et Bordeaux, une 6e base sousmarine
était bien en construction à Marseille à partir de
janvier 1943 pour héberger vingt submersibles. Mais,
après avoir échoué à détruire les bases de l’Atlantique,
les Alliés comprennent qu’il ne faut pas attendre la fin
des travaux : le 2 décembre 1943, un bombardement
massif sur le chantier marseillais met un terme définitif
au projet d’abri bétonné.

La dernière mission de Albrecht Brandi
De nouveau sans bâtiment, Brandi est nommé à Toulon à
la tête du U-967 en avril 1944. Auparavant
commandé par Herbert Loeder, c’est le 72e U-Boot à avoir
tenté la traversée du détroit de Gibraltar en février 1944.
Brandi quitte Toulon le 11 avril en direction de Gibraltar.
Le 26 avril, il tente de torpiller un destroyer ennemi, mais
le rate probablement. Le 5 mai, le U-Boot attaque le
convoi GUS-38 et coule le destroyer de 1 300 tonnes
USS Fechteler avec une torpille acoustique T5 : cette
fois-ci, une énorme explosion est entendue deux minutes
seulement après le tir, et la destruction d’un bâtiment
de guerre est confirmée par les Alliés. Quatre jours
plus tard, Brandi peut ajouter les Épées à sa Croix de
chevalier avant de rentrer à Toulon.
Endommagé lors
de deux raids américains en juillet et août, le U-967
est immobilisé et sera finalement sabordé le 11 août.
C’était donc la dernière mission opérationnelle d’Albrecht
Brandi, qui est élevé au grade de Korvettenkapitän en
juin. Le mois suivant, il devient chef des sous-marins
pour l’est de la mer Baltique. Le 24 novembre 1944,
seul marin après Lüth à obtenir cette récompense, il est
décoré des Brillants. Moins d’un mois après, il passe Fregattenkapitän et est nommé chef des petites unités de combat de
la Kriegsmarine. S’occupant notamment des sous-marins de poche
Biber et Seehund à Ijmuiden, en Hollande, il reste à ce poste jusqu’au
8 mai 1945. Fait prisonnier, il est rapidement libéré en septembre
et retourne à la vie civile comme architecte. Il meurt de maladie le
6 janvier 1966 à Dortmund.