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Sur les routes de l'exode

Le gigantesque exode

Plus de huit millions de fugitifs de toute condition, habités par un extraordinaire désarroi et un individualisme exacerbé, firent route vers le Sud-Ouest, le Midi pyrénéen, le Massif central.
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Avant d'arriver à Sceaux, j'ai dépassé une vieille dame qui pédalait exténuée et les joues en feu. Elle avait un porte-bagages à l'avant de sa bicyclette. Elle y avait ficelé un vieux fox-terrier à l'aide d'une corde à linge. [...]
A Palaiseau, une vieille dame appuyait lentement sur les pédales. Une cage était accrochée au guidon. Dans la cage, deux canaris effarés. [...]
Bouleversée et désespérée, la banlieue observait l'immense caravane. A leurs fenêtres ou sur le pas de leur porte, les gens s'arrachaient les cheveux et se demandaient, affolés : « Est-ce possible ?... Est-il possible que cela nous arrive, à nous aussi ? » Après Palaiseau, j'ai dépassé une caravane de trois voitures. C'étaient des voitures à cheval, des corbillards. [...] Le premier transportait des bagages, un chien de compagnie, une cage avec un perroquet qui n'arrêtait pas de criailler quelque chose en français. Les deux autres voitures funèbres transportaient des familles.
Témoignage
Des scènes cocasses et tristes

Les malades à la rue

Sur la route, des fous se mêlent à la foule sans qu’il soit possible de les distinguer de la foule apeurée.La ville de Troyes est abandonnée par les hommes valides aux malades, aux infirmes, aux vieillards rassemblés à l’Hôtel-Dieu. 
Après l’évacuation des débiles mentales de Dorten, il devient clair que les asiles eux-mêmes ne sont plus gardés, que les autorités en ouvrent quelquefois les portes avant de prendre la fuite, sans toujours se préoccuper du sort des malades. Roger Ikor se fait l’écho de ces rencontres de fous sur les routes qui sèment le doute dans l’esprit des soldats marqués par l’espionnite.
Ils soupçonnent les faux déments, agents de la « cinquième colonne ». Ikor a du mal à arracher au lynchage de la troupe une vieille femme égarée, sans doute échappée d’un asile, surprise à faire des signes des bras aux avions allemands.
Il arrête aussi, le même jour, un soi-disant représentant en vins de nationalité allemande resté en territoire belge en raison de la rapidité de l’avance allemande. Namur est évacué en catastrophe, ses archives brûlées, les pensionnaires des asiles psychiatriques jetés à la rue et abandonnés par des administrateurs sans conscience.

L'exode des paysans

L'exode des paysans sur les routes de France en juin 1940
Quand ils marchent au pas des chevaux, leurs familles entassées dans les charrettes, ces ruraux groupés par villages évoquent en effet les grandes migrations.
Les chefs d’exploitation sont en tête, parfois les curés, préoccupés de rechercher des vivres et un gîte. La solidarité de groupe s’affirme dans les attaques aériennes. Ces ruraux ont le souci d’éviter la dispersion. Ils préfèrent avancer plus lentement, mais ensemble. Tous ceux qui peuvent marcher entourent les chariots où sont installés, dans un capharnaüm de vivres et d’objets hétéroclites, les femmes, les enfants, les vieillards, les blessés, les malades. 
Mais les attaques aériennes tuent les chevaux. Les survivants du grand départ sont accablés de fatigue. Quand les attelages sont défaillants, les familles doivent abandonner les charrettes, se suivre en longues files où les plus valides charrient les enfants, mais aussi les vieillards et les blessés dans des remorques, des voiturettes tirées à bras. Il n’est pas rare que des curés portent leurs ouailles épuisées dans des brouettes. On entend geindre des vieillards malades, abandonnés, oubliés sur le bord de la route.
Pendant un mois, la moitié de la rance se vide d'hommes. Il y a eu les Belges et les Hollandais que l'on regardait avec pitié mais sans se croire directement intéressé. Puis les gens du Pas-de-Calais, du Nord, de la Somme. Ceux de l'Aisne, de la Marne. Ceux des Ardennes, qui sont partis les premiers avec leurs lourds chariots, sur lesquels sont assis les femmes âgées et les infirmes, sur lesquels sont entassés les sacs d'avoine pour les bêtes, tandis que les hommes, montés sur des bicyclettes, vont et viennent, recherchent des cantonnements, des vivres, de l'eau.
A chaque arrêt, il faut descendre les vieillards du chariot, puis les remonter. Certains, ne comprenant rien à cette guerre, parlent sans cesse de retourner chez eux et cherchent à s'enfuir.
Longues journées sous le soleil, ous la menace des avions.
Les paysans songent au bétail qu'ils ont dû abandonner dans les champs. Les vaches, ce qu'elles doivent souffrir !
Songent aux champs non moissonnés, s'inquiètent de la santé des poulains qui les accompagnent dans leur marche, des maisons ouvertes.
Je leur ai dit, à nos soldats, de tout manger et de bien boire, mais les Boches qu'est-ce qu'ils vont faire chez nous ?
A chaque heure nouvelle, l'ange de l'exode touchait ainsi du doigt un village nouveau.
Après avoir contemplé le long, pittoresque et pitoyable cortège des fuyards, les villageois venaient s'y intégrer docilement. L'exode les aspirait.

L'exode Paul Thibault

Paul Thibaut, dont le père est cantonnier à Montmirail a quatorze ans lorsqu’il quitte avec sa famille sa maison bombardée de nuit par le canon. Des bruits ont couru au village ; les chars approchent ! Pas d’ordre du maire ou de l’armée. Les gens partent d’eux-mêmes, pour se mettre à l’abri. Tous ceux du pays ont attelé les chevaux aux charrettes et pris la route.
Les Thibaut ont emmené dans un landau leur bébé né le 21 mai. La peur est telle qu’ils prennent le risque de partir avec un nouveau-né. Qu’on ne leur reproche pas leur pusillanimité. On éprouve quelque lassitude à vivre dans une maison dont les murs sont ébranlés par le canon. Quand le voisin part, en déclarant que le pire est à venir, on part aussi, dans la hâte.
Les habitants de Champaubert, parmi les réfugiés qui défilent devant leurs maisons chaque jour, croient reconnaître des espions Italiens, puis des bonnes sœurs de la cinquième colonne aux chaussures trop longues pour être honnêtes.  
Les paysans ne veulent pas faire grimper sur leurs charrettes les curés affirmant que l’exode et la débâcle sont un châtiment du Ciel. En plus de leurs souffrances, ils n’ont que faire des discours moralisateurs. Ils cherchent à franchir l’Aube à Arcis, la Seine à Troyes, pour gagner le sud et bifurquer ensuite vers l‘ouest, vers la Mayenne riche en troupeaux, leur département d’accueil.
Bombardés et mitraillés sur la route, ils perçoivent dans les fossés les corps des soldats morts, les porcs en liberté dans les rues des villages qui fouillent les restes humains. Impossible de franchir la Seine, les ponts sont coupés. Il faut descendre le fleuve vers Troyes. A Pont-Sainte-Marie, le convoi s’arrête et rebrousse chemin. Les Allemands sont arrivés plus tôt que prévu. Ils font signe aux chariots de repartir, après une pause de ravitaillement en luzerne, en lait de vaches traites au bord des routes après avoir chargé le produit des rapines faites dans les fermes abandonnées.
Dans la traversée d’un village, entre Anglure et Champaubert, sur la route du retour, Paul Thibaut se souvient d’avoir vu, sur le bord de la chaussée, devant la porte ouverte d’une maison, une vieille femme attachée à une chaise mains derrière le dos et fusillée. Espionnage, cinquième colonne, représailles des Allemands contre les tirs venus des greniers et des toits sur les side-cars de reconnaissance ?
L'exode sur les routes de France en 1940 pendant la deuxième guerre mondiale

Et toujours sur la route

Automobile sur la route de l'exode en juin 1940
Les camions militaires transportent des vieilles dames fatiguées et des enfants malades. Les chars d’assaut et les corbillards pleins de gosses roulent côte à côte. Les bennes à ordures véhiculent des tonnes d’archives inutiles. Les autocars de Paris la nuit transportent des petites vieilles et des bonnes sœurs.
Des chiens sont attelés à des charrettes chargées de toutes les richesses du foyer ; édredons postes de T.S.F., poupées, habits du dimanche.
Le curé qui pousse sa servante sous un soleil de plomb dans la plaine nue. Ce n’est pas du cinéma.
Des automobiles se traînent, des couvertures sur le toit prétendument pour amortir l’impact des balles. Ces réfugiés ont chargé toute leur famille dans des limousines d’un autre âge. Ils affirment que des chars allemands les suivent. Toujours la panique des chars. Des habitants d’Hirson montrent sur leurs carrosseries les trous d’éclats de bombes. Ils ont été attaqués Sur la route par des avions. Dans beaucoup d’autos, des blessés allongés sur les banquettes.
Personne pour les secourir. Pas un médecin, ni une infirmière au village. Une femme à genoux pleure dans un fossé devant son enfant blessé.
Passent des camions de déménagement, des voitures laitières, tous pleins de réfugiés. Personne ne soigne les blessés graves. Les cavaliers français sont les premières victimes de l’intoxication collective qui voit des chars partout. On leur parle d’une  demi-division chargée de répandre le désordre à l’arrière des lignes. Le pays de Laon est terrorisé par ces arrivées impromptues des engins ennemis, que les réfugiés signalent dans de nombreux villages.
Les piétons équipés pour la marche sont rares...
La plupart ont revêtu plusieurs habits les uns sur les autres, toute une garde-robe.
Ils portent une valise dans chaque main, un paquet ou un sac sur le dos. Quand ils sont fatigués, ils jettent leurs bagages dans les fossés où ils sont pillés par ceux suivent.
Courbaturé et ayant pris froid pendant la nuit, je me remets en route dès l'aube, suivant docilement ma femme et mes sept camarades de travail. Nous avançons, péniblement, pas à pas, au milieu d'un embouteillage formidable d'autos et de voitures à traction animale ou humaine tenant toute la largeur de la route et se doublant en dépit des vociférations des piétons qui s'obstinent, par tous les moyens, à se frayer un passage.
Les voitures en panne, les chevaux qui se cabrent, les cyclistes qui tombent, les gens qui se trouvent mal ou qui posent leur véhicule pour souffler un peu : tout cela s'ajoute au désordre, rend la circulation encore plus difficile et nous oblige à de fréquents arrêts. Nous traversons, cependant, Juvisy, Savigny-sur-Orge, Epinay-sur-Orge et Sainte-Geneviève-des-Bois sans incidents dignes d'être notés.
Témoignage
Des obstacles sur la route