Les pilleurs sont légions

Les partants laissent leurs maisons offertes au pillage et les pilleurs sont légion : les militaires en déroute, les réfugiés de passage, les habitants restés dans les villes, Amiens, Roye, Abbeville, qui volent pour que les Allemands ne trouvent plus rien. On a vu des paysans atteler les charrettes, non pour fuir, mais pour piller les villes : revanche sauvage des campagnes, saturnales du désordre.
Pas de police ni de gendarmerie pour les arrêter. Les magasins d’alimentation sont d’abord leur cible, les stocks livrés aux gens de passage affamés, aux résidents qui n’ont plus de commerçants et qui doivent cependant se nourrir. En l’absence d’ordre, la sauvagerie se déchaîne dans les villes de la Somme et de l’Aisne abandonnées par les autorités. A Abbeville, l’antiquaire, devenu tout ensemble maire et sous-préfet de sa propre autorité et de par la confiance des sauveteurs, engage des civils pour dégager les rues, enterrer les morts dans des fosses communes, s’occuper des blessés réunis en plein air dans un jardin, nourrir les vieillards de l’hospice. Il ose même réquisitionner des ouvriers payés en vivres pour attaquer les pillards à coups de bâton.
Les pillards sont rarement organisés

Les caves sont pillées, comme les magasins. Les objets précieux, vaisselle, argenterie, œuvres d’art des châteaux de la région, linge, stocks de tabac, bicyclettes, outils divers changent de main dans la ville ouverte. Dans Amiens occupé par les troupes d’assaut allemandes, le commandant doit faire afficher le 21 mai que toute personne surprise en train de piller sera fusillée.
Les pillards sont rarement organisés. Beaucoup rendront leurs prises, quand les plaintes seront déposées. Mais d’autres pillent pour récupérer les richesses indûment gagnées. Outre le pillage alimentaire, opéré par les gens de passage, l’accaparement des objets précieux est soit le fait des militaires, soit des civils habitant les villes ou leurs environs. Un capitaine, de Nadaillac, constate la mise à sac d’une propriété proche de Compiègne. Puisque les Allemands vont venir, servons-nous d’abord, disent les pillards.
Les riches paysans, les bourgeois des villes ont abandonné leurs biens pour sauver leur peau. Ceux qui restent sous les bombes et les rafales s’estiment en droit de voler à l’ennemi, qui n’hésite pas à piller les caves, le butin qu’il convoite. L’officier parle d’un effondrement psychologique de pays qui était terrible à constater. Il faudrait plutôt évoquer la disparition singulière des forces de l’ordre, la défaillance des agents de l’Etat qui permet tous les excès.
Dans certains villages de la Somme, on a repéré des dépouilleurs de cadavres. Les châteaux ne sont pas seulement mis a sac, ils sont vandalisés. Puisque l’autorité est absente, l’heure de la revanche a sonné, mais aussi celle du «chacun pour soi ».
Une région entière est livrée à l’encan, offerte en proie, abandonnée à des hommes qui ne peuvent plus compter que sur eux-mêmes pour survivre. Parmi ceux-là, nombreux sont aussi ceux qui donnent des exemples de générosité, de dévouement aux blessés, aux enfants perdus, aux femmes en difficulté. Le meilleur et le pire.
Autant que les boches n'auront pas
On tord le cou des poulets.
Encore un que les Boches n'auront pas !
Mais l'on brise aussi les glaces des armoires, on souille les draps, on déchire les robes, on laisse les robinets ouverts après avoir bu trois litres de vin et l'on jette les bibliothèques par les fenêtres.
Lorsque l'instituteur de Boismorand rentrera, il ne trouvera, dans son école occupée, ni tableaux noirs, ni livres, ni cahiers, ni serrures, ni linge de rechange, ni argent. A Andonville où 230 habitants sur 250 ont fui, les pillards ont forcé la porte du tabernacle, jété les hosties, volé un ciboire.., et emporté le drapeau des anciens combattants.
Encore un que les Boches n'auront pas ?
Un vent de folie souffle sur la France.
Comment en irait-il autrement dans ce pays soudain privé de chefs civils et militaires et dont l'armée est engluée dans une masse de femmes et d'enfants ?
En ces jours tragiques de juin, on se procure un gîte en fracturant une porte, de la nourriture en cambriolant une épicerie, de l'essence comme on peut, et le plus souvent au détriment du voisin.
L'adjoint au maire de La Bussière décrit les réfugiés tuant les poules, les lapins, les bestiaux, emportant les boissons et maints objets de literie. Ce pillage était impossible à empêcher sans danger et l'adjoint qui a tenté d'intervenir n'a échappé que de justesse à un coup de couteau lâchement préparé dans son
dos.
Afin que les réfugiés ne forcent pas, comme il y a huit jours, les portes de leur maison, les habitants d'Orléans, en rentrant chez eux, écrivent un peu partout à la craie : « Maison habitée », « Maison habitée par le propriétaire », « Maison habitée par les locataires » ou bien encore « Maison réquisitionnée ».
L'état d'esprit qui règne à Orléans