L'exode des belges

Le gigantesque exode

Le départ à l'étranger de deux millions de Belges est le plus important transfert de population réalisé au cours d'une guerre : un Belge sur trois a participé à l'exode, vécu en France dans des conditions d'accueil toujours précaires avant de retrouver le chemin difficile du retour qui pose des problèmes logistiques immenses.
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Une toute petite salle où s'entasse un véritable bétail humain, affolé, sale, affamé. Réfugiés belges et du Nord de la France. Pauvres gens traînant des paquets hétéroclites, enveloppés de journaux, ficelés à la hâte, et des troupeaux d'enfants en loques qui pleurent autour des mères. [...] Derrière un paravent, on peut se laver le bout du nez dans une cuvette de la taille d'une assiette, c'est là que les pauvres femmes qui ont marché des jours et des nuits sur les routes viennent débarbouiller leurs gosses entre des piles de pains, des boîtes de thé et du jambon d'York. [...] Un petit garçon m'a montré un morceau d'obus qu'il avait ramassé.
Témoignage
Etat des réfugiés belges à la gare St Lazare

Des machines et des hommes

Belgique, mai 1940
Il n'est sans doute pas inutile de rappeler que les jours de mai sont des jours de bataille pendant lesquels l'Allemagne prépare ses faciles victoires de juin. Pas inutile de rappeler que la propagande officielle française n'a cessé, pour forger au pays une cuirasse de haine, de souligner les crimes commis contre les villes polonaises. Pas inutile de rappeler qu'un village est un tout, qu'il y faut boulanger, boucher, épicier, pompiste, médecin et que, les hommes indispensables partis, tout s'effondre. Pas inutile de rappeler enfin que, dans l'exode, l'héroïsme se mêle à la peur. On part pour fuir les obus et les bombes, on part également pour échapper physiquement et moralement à l'ennemi, pour faire un jour son devoir derrière les lignes, répondre aux ordres de mobilisation qui viendront plus tard.
C'est ce qui se passe en Belgique lorsque le gouvernement décide de rassembler à Roulers, petite ville proche de la frontière française, tous les hommes valides de seize à trente-cinq ans.
C'est ce qui se passe dans les départements du nord de la France où, le 19 mai, les hommes appartenant aux classes 1910, 1911, 1912, 1913, 1914 et 1915 reçoivent, en compagnie des affectés spéciaux et des jeunes gens de plus de seize ans, l'ordre de gagner le département du Loir-et-Cher.
Une guerre se gagne avec des machines. Elle se gagne aussi avec des hommes. Devant l'ampleur et la brutalité de l'avance allemande, les gouvernements essaient de soustraire à un ennemi que l'on espère contenir, fixer, arrêter et battre dans une guerre qui sera forcément longue les civils nécessaires aux futures batailles.

Les boches arrivent

Exode des belges en mai 1940
Officiellement personne, en France, n'attendait les Belges. Les deux gouvernements n'avaient pu se mettre d'accord pour une défense commune. Pourquoi auraient-ils tracé des plans d'évacuation alors que la Belgique s'enfermait dans une neutralité pointilleuse ? Seul l'état-major avait songé à la gêne que provoquerait (si 1914 se répétait) un afflux de réfugiés belges. Il avait prévu de les canaliser sur la route qui longe la mer du Nord. C'était, en 1940, dans ce domaine également, une conception d'autre siècle ! Sous le coup de la frayeur que provoquent non point seulement les bombardements, mais parfois le simple survol des avions, comme à la lecture des communiqués désastreux, tout un pays s'ébranle en effet. La frontière n'est plus qu'une barrière dérisoire qui craque en mille endroits sous la poussée de foules qui se sont mises en route après avoir entassé dans la charrette de ferme, dans la voiture, sur la brouette non point toujours les biens les plus précieux, mais ceux qui tombent sous la main.
Il faut le noter, car, symptôme valable pour les Belges comme pour les Français, valable pour les civils comme bien souvent pour les soldats, le mot clef de l'exode : Les boches arrivent, les blindés arrivent ! suffit à déclencher la panique et la fuite. En ces jours où le malheur, pour tant d'hommes qui apprendront à souffrir, est encore un état neuf, presque personne ne songe à contrôler, à s'informer sérieusement. Et d'ailleurs, comment faire? Les communiqués officiels regorgent de pieux mensonges, les fils téléphoniques sont coupés, le ciel est gras de fumées d'incendies, les généraux sont souvent aussi ignorants que les civils. On fuit donc. Avec toujours, dans l'esprit, les références de l'autre guerre. C'est ainsi que le gouvernement belge, qui entend conserver au moins un morceau de territoire national, concentre, à partir du 16 mai, tous les fonctionnaires dans la zone littorale, pourtant déjà menacée par l'avance allemande.

L'exode sur les routes belges

Sur les routes belges, du 10 au 14 mai, le désordre s'amplifie. Trois itinéraires majeurs, à partir du point de concentration des boulevards bruxellois. On ne sait sur quelles suggestions une colonne serrée de réfugiés cherche à gagner la côte, dans l'espoir de longer la mer, de profiter d'un embarquement en cas de danger. Ceux-là marchent sur Ostende, par Bruges, qu'ils envahissent. D'autres empruntent les routes du bassin minier pour rejoindre le territoire français par Mons d'où ils espèrent trouver un train pour Paris. Enfin, d'autres suivent les vallées de la Lys et de l'Escaut pour tenter de gagner Lille, Roubaix et Tourcoing. De la sorte, toutes les routes d'accès à la Belgique sont encombrées au-delà du possible.
Dès le 11 mai, les civils venus de la région de Liège racontent que les bords des routes sont empuantis de cadavres de vaches et de chevaux. Les villes sont bombardées, les civils attaqués à la mitrailleuse.
La cause essentielle de la panique est là : fuir les raids de la Luftwaffe qui a mis Namur à feu et à sang. Dès qu'un avion ennemi se présente, les gens abandonnent leurs bagages et leurs voitures pour plonger dans les fossés, chercher un abri derrière les ruines qui bordent la route. Les bombes des stukas multiplient les morts et les blessés. Les rescapés, dans leurs récits, amplifient les pertes, assurent qu'on ne peut leur échapper qu'en fuyant au plus tôt.
Les bombardiers en piqué sont vite identifiés, reconnaissables à leurs ailes en W. Ces stukas surgissent dans un bruit de sirène, lâchent leurs petites bombes sur les routes dans un vacarme assourdissant. Ont-ils l'ordre d'attaquer les colonnes de civils ?
Sans doute, mais les véhicules militaires s'égarent souvent dans les colonnes et les uniformes kaki. Les pilotes ne font pas le détail, ils plongent dans un hurlement de sirène, larguent la grosse bombe arrimée sous le fuselage et les quatre bombinettes placées sous les ailes. Les trois mitrailleuses peuvent cartonner à l'aise : la stabilité de l'appareil est assurée par un système semi-automatique qui commande l'ouverture des volets, l'angle de la descente, le largage des bombes et la manoeuvre de ressource. Le pilote a tout loisir de repérer sa cible, à partir de sa cabine vitrée, à la vitesse contrôlée du moteur Jumo qui ne dépasse pas en croisière les 350 km/h. Le stuka repère, braque, plonge, se redresse et peut revenir aisément sur sa cible, laissant de longues traînées de balles de mitrailleuses sur les routes.
Le bruit de sirène surtout terrorise les victimes des attaques, il glace le sang et donne le sentiment qu'aucun abri n'est possible, que le pilote voit tout et peut frapper impunément en tout lieu.
L'exode sur les routes en Belgique en mai 1940

Deux millions de Belges en France

Deux millions de Belges en France pendant l'exode en 1940
Les civils ignorent tout de la carte de guerre et des mouvements de l'ennemi. Ils répètent les bribes d'informations déformées qu'ils recueillent auprès des militaires, ou se font l'écho de la désinformation des agents de l'ennemi en civil mêlés aux colonnes. Les réfugiés de la Sambre sont constamment attaqués par les stukas. On lit la terreur des avions dans les yeux des enfants. Ils n'osent plus demander à leur mère quand cessera le martyre de cette marche ininterrompue, de jour et de nuit. Ils dorment sur les couvertures de fortune, dans le caravansérail des charrettes où ils trouvent leur place parmi les objets les plus hétéroclites.
Les villages sont incendiés, abandonnés. Les derniers cultivateurs offrent aux soldats en retraite leurs réserves de vivres, pour que les Allemands n'en disposent pas. Les civils se traînent sur la route, une simple valise à la main. Ils ont déjà abandonné les bagages inutiles, tué et dépecé les animaux épuisés de fatigue. Ils ont pris l'habitude de se jeter dans les fossés, dans les buissons, dès qu'ils entendent un moteur d'avion. Maints témoignages racontent les attaques à basse altitude des stukas maîtres du ciel. Personne n'enterre les civils tués. Ils sont seulement allongés au bord de la route.
L'exode des Belges en France, si important soit-il, ne rend pas compte intégralement du phénomène de panique et d'abandon de cette nation, ni de l'immensité des besoins d'assistance d'un peuple abandonné, en Belgique comme en France.
Nombreux sont en effet les sujets du roi Léopold partis de chez eux, mais qui n'ont pu franchir la frontière française en raison de l'avance allemande trop rapide vers l'ouest. Ceux-là, les plus éprouvés, ont souvent dû attendre en pleine nature la fin des combats pour échapper aux attaques de l'aviation, avant de retrouver leur maison détruite par les raids aériens.
Ils n'ont bénéficié d'aucune aide avant plusieurs semaines. Ils ont dû subsister entre eux, par groupements de villageois perdus, cachés dans les forêts, sans aucun secours d'hygiène, organisant leur survie par des opérations risquées dans les villages abandonnés. Les familles ont été dispersées, frappées par les avions maraudeurs, éprouvées par la disette, blessées dans leur chair par les raids aériens. Il faut attendre l'occupation totale du pays par la Wehrmacht pour que les soins et les secours soient donnés à la population civile grâce à la reprise progressive des services.
Si leurs lettres d'immatriculation ne les désignaient, leur chargement hétéroclite suffirait à les faire reconnaître. [...] On a pu voir des capots, des carrosseries de voitures criblées de balles, des blessés et même des cadavres d'enfants, de femmes que leurs parents avaient vu tuer sous leurs yeux et dont ils voulaient arracher les dépouilles aux horreurs d'un abandon sur la route.
Témoignage
La première vague de l'exode