La ruée vers la mer

Histoire d'une défaite

Après la rupture du front à Sedan, les Alliés se trouvèrent dans l'impossibilité de contenir la poussée allemande, et onze jours suffirent aux panzers pour parcourir les 400 kilomètres qui séparent le Luxembourg de la mer.
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Une chevauchée terrifiante

combattants français prisonniers pendant la bataille de France de 1940
Par l'ouverture pratiquée dans le front continu, par ce vide que laisse une armée entière, se pulvérisant sous le choc, les troupes de von Rundstedt s'engouffrent, puis se rabattent vers l'ouest, défilant à peu de kilomètres de la ligne Maginot inviolée, inutile. Une chevauchée terrifiante commence : franchie la ligne de résistance comme une chicane, les blindés se répandent sur les routes, inondent les grandes plaines où tant d'invasions ont déjà passé. Ils foncent en direction de la Manche :
"Notre vitesse (65 kilomètres à l'heure environ) soulevait derrière nous un immense nuage de poussière. Près de Senzeille, à 6 kilomètres et demi à l'ouest de Philippeville, nous croisâmes une troupe de motocyclistes français avec leurs armes, qui venaient de la direction opposée ; nous les arrêtions à mesure qu'ils arrivaient. La plupart étaient si saisis et troublés de se trouver soudain au milieu d'une colonne allemande qu'ils étaient incapables de résistance et se contentaient de pousser leurs machines dans le fossé."
Les combattants français, hébétés par la puissance de l'attaque, sa rapidité réagissent mal : des défaillances locales lourdes de conséquences sont parfois constatées. Malgré les pertes relativement minimes, les troupes soumises aux bombardements sont atteintes de dépression nerveuse et comme frappées d'accablement.

Avec l'imprévu, Le désordre s'installe

Le désordre s'installe aussi à tous les échelons du commandement qui voit ses liaisons contrariées ou rompues :
Un véritable chassé-croisé. L'armée française se débat comme un animal touché à mort qui se roule en tous sens, frappe à droite, à gauche des coups désordonnés et privés de force. Les Allemands avancent. Il arrive qu'on ne sache même plus où ils sont. Les récits de cette avance sont stupéfiants :
"Bientôt nous atteignîmes les hauteurs dominant la ville de Maroilles. Là, un nouvel embouteillage nous arrête. Il me souvient en particulier qu'une longue file de voitures sanitaires se mêlait à la foule des réfugiés en déroute. A pied, une fois encore, nous nous portâmes en avant pour tenter de faire dégager le passage. A notre grand étonnement, la route était entièrement libre à quelques centaines de mètres devant nous et la localité était aisément accessible, mais la horde de véhicules demeurait stagnante.Que se passe-t-il ? demandâmes-nous. Les Allemands sont dans Maroilles.
Les Allemands à Maroilles ! mais c'était impossible ! Maroilles est derrière nos ouvrages fortifiés ; Maroilles, à quelques kilomètres de Landrecies, est déjà dans la zone qui nous a été prescrite comme zone de repos et de rafraîchissement de la division !
"
Déjà on parle de  trahison, de 5e colonne, de parachutistes déguisés en religieuses... Bien que les actes de courage individuels, d'endurance au combat, d'héroïsme ne soient pas rares, ils ne changent rien au déroulement de la guerre ; pas plus que n'y peut changer la seule opération un peu cohérente montée du 15 au 19 mai par le colonel de Gaulle à la tête de la 4e division cuirassée.

La paralysie générale du commandement français

Le commandement est comme frappé de paralysie générale. Il essaie de parer les coups, sans toutefois, inconscient des nouvelles réalités de cette guerre, imaginer les opérations qui pourraient en infléchir le cours.
Au lieu de concevoir une véritable manoeuvre et de s'en ménager rapidement les moyens au bon endroit, comme Joffre après la bataille des frontières, il ne sait que se raccrocher à ces planches de salut de la guerre de position : le colmatage avant tout, suivi de contre-attaques éventuelles, et au plus juste prix. Colmater, c'est une hantise ! Contre-attaquer, certes, on y pense, et l'on ne parle même que de cela ! On bâtit plan sur plan ! Cette contre-attaque de dégagement ne sort pas de l'idée de nos généraux, nous dit-on ; malheureusement elle y reste et ne se traduit nullement en actes !...
Pour agir, pour imaginer une manoeuvre, il faut au moins que le Commandement soit informé : il ne l'est pas. A Vincennes (quartier général du général Gamelin), on sait peu de choses, et encore avec du retard. La journée du 15, telle que la vivra le P.C. du commandant en chef, est une journée morne, interminable, sentant la mort. Les informations venant du Q.G. du général Georges ne sont, à vrai dire, ni bonnes ni mauvaises, encore que d'un laconisme de plus en plus suspect. L'intervention du cabinet du général Gamelin n'est sollicitée que pour des détails... Ainsi, durant cette journée creuse, baignée de tristesse, l'immense drame des frontières n'aura guère d'échos dans l'air vicié de ce sous-marin sans périscope qu'est Vincennes. Brusquement, le 16 mai, Vincennes plonge dans le cauchemar : on apprend qu'il n'y a plus de 9e armée, que par le trou béant qu'elle a laissé en se disloquant, les Panzer se sont engouffrés et atteignent déjà Montcornet et la région de Laon bientôt dépassée.
La chevauchée des panzers en mai 1940

Un autre miracle de la Marne

Guderian et la bataille de France en 1940
Le 17 mai, Guderian (à gauche) est suspendu pour... excès d'audace — décision si absurde en pleine guerre de mouvement qu'on l'annule assez vite.
Ce qui tenaille von Rundstedt, le chef de l'armée A mais aussi Hitler, c'est la contre-attaque alliée victorieuse sur les flancs allemands découverts.
Dans la pratique, rien de tel n'est possible. Mais le 21 mai, un fait semble ressusciter le spectre d'une offensive franco-britannique combinée. Couverts par ce qui reste de la 3e division légère mécanisée française, deux bataillons de chars lourds anglais Matilda contre-attaquent dans le secteur d'Arras, semant la panique dans les rangs allemands. Réaction tactique sans grande importance, mais chacun de son côté, Rundstedt comme Hitler se remémora alors cette terrible année 1918 où les ultimes coups de boutoir allemands avaient échoué face à l'exceptionnelle solidité de l'alliance franco-britannique.
Et si ça recommençait? Le premier, Rundstedt craque. Dès le 23, il donne l'ordre de stopper la ruée des chars et de réorganiser le dispositif de la Wehrmacht. Et Hitler confirme.
La fraternité retrouvée entre poilus et tommies (à Arras et Abbeville) va leur donner le répit nécessaire à ce miracle moins glorieux certes que celui de la Marne, mais si précieux : l'opération de rembarquement de Dunkerque. L'Allemagne a gagné une bataille, mais pas complètement. Du même coup, elle vient aussi de perdre la guerre