330 000 hommes sauvés

Dunkerque
Opération Dynamo

« Nous combattrons sur les plages, nous combattrons sur les terrains d’atterrissage, nous combattrons
dans les champs et dans les rues… Nous ne nous rendrons jamais ! »
Ce défi proclamé le 4 juin par Churchill martèle la détermination britannique à poursuivre la lutte.
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A Dunkerque, le camp retranché n'était plus qu'une poche minuscule. L'état-major des éléments d'arrière-garde fut évacué par les navires qui réussirent à se glisser jusqu'au môle. Ils appareillèrent le 4 juin à 2 heures du matin. Plus tard, dans la journée, les Allemands faisaient leur entrée dans la ville.
Ils trouvèrent la jetée bondée de soldats français. Il leur fallut du temps pour faire faire demi-tour à leurs prisonniers et les emmener. Un médecin de la marine française se trouvait à l'extrémité de la jetée. Il aperçut juste en face de lui, sur le pont d'un navire coulé, un canot de sauvetage qui lui parut en parfait état. Il embaucha une douzaine de risque-tout parmi les hommes massés autour de lui. Ils sautèrent à bord de l'épave et mirent l'embarcation à l'eau. Le système de propulsion était à pédalier. Ils se mirent à pédaler furieusement sous des rafales de mitrailleuses. Quand ils furent hors d'atteinte, le médecin et ses compagnons improvisèrent une voile au moyen d'une couverture. Plusieurs heures après, ils furent recueillis par un navire de guerre et emmenés sains et saufs en Angleterre. Ils étaient les derniers des 338 226 combattants britanniques, français, belges et hollandais qui purent s'échapper de Dunkerque et se retrouver momentanément en lieu sûr.
Témoignage
Les derniers rescapés

Le bateau maudit

Le bateau maudit de Dunkerque en juin 1940
20 h 30 : l'Emile-Deschamps flotte et se remue. Le voici accosté devant nous. Nous n'étions pas loin de cinq cents à bord (y compris quelques femmes et un ou deux bébés) lorsque, vers 22 heures, Il appareilla pour sa dernière traversée. C'était le 3 juin 1940, la dernière nuit à Dunkerque. Et l'Emile-Deschamps et ses passagers furent aussi les dernières victimes de l'évacuation.
Cela se passa exactement à 6 h 20, le 4 juin, à 6 milles de North Foreland, près de l'entrée de la Tamise. Nous étions là une foule de bateaux tous plus ou moins égarés du fait de la brume intense qui avait régné toute la nuit. Donc, nous avions pris la ligne de file derrière un aviso anglais qui, manifestement, allait en Angleterre. D'ailleurs, la falaise était en vue... Sauvés !...
Au pied de l'échelle, un brave homme de premier maître mécanicien m'offre une tasse de café chaud. Je l'aurais embrassé.... Si, au même moment, un choc d'une violence inouïe ne m'avait brutalement coupé le souffle. Je regardai autour de moi. L'eau montait à toute vitesse. Il paraît que nous avons disparu en moins de dix secondes. Je veux bien le croire.
Autour de nous, la houle, lente et douce, découpait dans une mare de mazout une sorte de sinusoïde ponctuée de têtes. Plus loin, une grappe humaine accrochée à un roof de bois. C'est tout ce qui restait de l'Emile Deschamps et de ses passagers. Mon ami. Jacquelin de La Porte de Vaux tirait gaillardement sa coupe en chantant un air patriotique. Il voulut m'encourager à faire de même. Il paraît que c'est de bon ton dans les circonstances de ce genre. Je n'en étais pas du tout persuadé !
Tout nu, sans un sou, sans papiers ramassé par l'Albury, j'échouai, une heure plus tard, sur le quai de Margate, dans une ambulance où déjà un autre client attendait. C'était Jacquelin, recueilli par un autre bateau. Qu'est-ce que je pris pour mon refus de chanter dans l'eau !...
Au poste de secours, une immense salle des fêtes, évoluaient de jeunes nurses toutes plus charmantes et souriantes les unes que les autres. Mon Dieu ! qu'on était déjà loin de la guerre sur ce sol anglais si proche de Dunkerque ! S'il n'y avait pas eu tous ces blessés... Un grand diable de soldat anglais s'est emparé de ma personne. Il m'enlève comme un enfant vers la première table de pansements. Un pied foulé, le dos meurtri, couvert d'ecchymoses comme un léopard... Mais pourquoi cette jeune infirmière rougissante a-t-elle poussé cette exclamation réprobatrice ?
C'est que mon porteur, dans sa hâte, a laissé glisser la couverture qui me vêtait, et me voilà foulant (sur un pied) tout nu, sans un sou, sans papiers, sans uniforme, le sol de la bonne vieille Angleterre, assez bon échantillon, malgré tout, de ces quelque 330 000 rescapés de Dunkerque.

Une chance de survivre

A Londres, le gouvernement éprouva un profond soulagement lorsqu'il connut l'ampleur de la réussite de l'opération Dynamo. Au début de la semaine précédente, le premier ministre avait cru nécessaire d'aviser en termes pessimistes la Chambre des communes que le pays devait « se préparer à apprendre de bien pénibles nouvelles ». Mais à présent, comme il l'écrivit plus tard : « ... Au plus profond de la défaite, le peuple britannique, .profond et indomptable, se couvrit de gloire [...], un vent de sublime grandeur souffla d'un bout à l'autre de notre île... »
Compte tenu de cette union sacrée ,et de la fierté qu'ils en tiraient, les Anglais commencèrent à croire qu'ils avaient en quelque sorte remporté une grande victoire.
Mais ce n'était pas tout à fait le cas et la situation de la Grande-Bretagne restait dangereuse. Le corps expéditionnaire avait été sauvé, mais au prix de 68 111 tués, blessés ou prisonniers et aussi d'énormes quantités de matériel et il n'était pas en mesure de défendre l'île contre une agression. La Royal Navy demeurait puissante, mais les opérations au large des côtes norvégiennes avaient montré à quel point ses gros navires étaient vulnérables aux attaques d'avions venus de bases terrestres. En outre, sur les 243 bâtiments coulés à Dunkerque (l'opération Dynamo en avait mobilisé plus d'un millier), se trouvaient 6 destroyers anglais et 19 autres avaient subi de sérieuses avaries. La R.A.F. avait fait de son mieux, mais elle se tirait de l'affaire gravement affaiblie. Et ses « exploits » étaient en réalité beaucoup moins satisfaisants que ne semblaient l'indiquer les chiffres admis.
Mais quand les chiffres furent vérifiés et contrôlés, on constata que cette estimation demeurait loin de la vérité. L'opération avait coûté 106 appareils à la chasse anglaise, mais les pertes allemandes n'étaient certes pas quatre fois supérieures. En réalité, la Luftwaffe avait perdu 130 à 140 avions.
Si l'affaire de Dunkerque, même au sens limité dont parlait Churchill, ne pouvait être considérée comme une victoire, elle eut néanmoins une conséquence d'une immense portée : pour la première fois peut-être depuis le début de la guerre, les Anglais étaient désormais de tout coeur résolus à se battre et à vaincre. Ils avaient constaté par eux-mêmes ce que signifiait la guerre mécanique moderne et combien des prophètes comme Liddell Hart avaient eu raison de prédire une pénétration stratégique en profondeur par des forces blindées autonomes et d'insister sur le fait que la seule façon de maîtriser cette infiltration était de procéder à des contre-attaques menées par des forces similaires.
Ils avaient vu à quel point les troupes françaises et britanniques s'étaient révélées incapables de soutenir l'assaut des panzers et que l'Angleterre avait frôlé la défaite honteuse et brutale qui menaçait maintenant la France à brève échéance. Mais ils avaient également eu sous les yeux un exemple exaltant de courage et d'esprit de sacrifice. En comprenant que la catastrophe n'avait été évitée que de justesse et que l'on pouvait entendre tonner le canon de l'autre côté de la Manche, les Anglais reçurent l'impulsion qui leur avait manqué jusque-là.
Si bien que lorsque Churchill déclara à la Chambre des communes, dans son grand discours du 4 juin, que l'Angleterre se battrait sur les plages et sur les aérodromes, dans les champs, dans les rues, dans les collines, et ne se rendrait jamais, il n'influençait pas l'opinion publique mais se contentait de lu suivre. L'esprit de Dunkerque était né.
L'évacuation avait été difficile. Mais il existait maintenant une chance au moins de survivre.
Les rescapés de Dunkerque en juin 1940