Le Blitz de nuit

Londres sous les bombes

L'histoire du « Blitz de nuit » est celle de l'héroïsme et des souffrances de toute une population, de destructions immenses mais sans grand effet, et de la progression lente mais inexorable de l'efficacité de la défense aérienne britannique.
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Goering ordonne une recrudescence des raids

Goering, lui, ne se résignait pas encore. Il s'accrochait à l'idée que si quelques jours de beau temps lui étaient donnés, la Luftwaffe serait en mesure d'écraser le Fighter Command et de mettre ainsi la Grande-Bretagne à genoux, même sans invasion. Du 17 septembre à la fin du mois, ses forces s'épuisèrent en tentatives d'attaque de jour sur Londres et sur les grandes usines d'aviation, lorsque le temps le permettait. Trois fois seulement, les 18,27 et 30 septembre, l'occasion leur fut donnée d'effectuer des raids massifs sur la capitale. Et dans chaque cas la chasse britannique interdit tout bombardement organisé et préleva un lourd tribut sur l'assaillant.
La perte de 120 appareils en trois jours, contre 60 du Fighter Command, n'était pas de nature à encourager Goering à continuer.
Si le personnage corpulent qui présidait aux destinées de la Luftwaffe avait pu connaître les chiffres des pertes respectives subies pendant les trois semaines de l'attaque sur Londres, cela ne lui aurait pas été d'un plus grand encouragement. Entre le 7 et le 30 septembre, le Fighter Command avait perdu 242 appareils, et la Luftwaffe 433. Et si de graves inquiétudes persistaient dans l'esprit de Dowding en ce qui concernait les pilotes, dont l'effectif par escadron était descendu le 7 septembre à 16 hommes, sur les 26 prévus au tableau des effectifs, il ne se faisait plus de souci pour la dotation en appareils. Du jour où les Allemands renoncèrent à attaquer en priorité les aérodromes de secteurs pour se concentrer sur l'attaque de Londres, les pertes en Hurricane et en Spitfire furent plus que compensées par la production de l'industrie.
La palme de la victoire avait échappé aux mains de Goering, ce que Hitler reconnut formellement le 12 octobre en reportant l'opération « Lion de Mer » au printemps de 1941. En réalité, cette décision signifiait l'abandon pur et simple de l'opération, car l'esprit de Hitler était déjà fixé sur la Russie. Evidemment, jusqu'à ce que la machine de guerre allemande se mette en marche vers l'est, il était logique pour le Reich de maintenir une pression sur la Grande-Bretagne, dans la mesure où cette pression ne serait pas trop dispendieuse. En octobre, la Luftwaffe, renforcée de quelques avions italiens, continua de tenir le Fighter Command en haleine en montant chaque jour quelques opérations à base de chasseurs et de chasseurs-bombardiers, raids sans grande efficacité mais difficiles à intercepter. La nuit venue, les bombardiers continuaient leurs attaques sur Londres dans une impunité quasi-totale.

La nouvelle décision de Goering : l'attaque de nuit

Le blitz de nuit sur Londres en 1940
En octobre, Goering prit une décision qui devait changer radicalement le cours de la guerre aérienne. Dorénavant, ses commandants d'unités n'attaqueraient plus vingt-quatre heures sur vingt-quatre; ils concentreraient leurs efforts sur les bombardements de nuit. Les raids de jour se révélaient en effet trop coûteux.
Opérant de nuit, la Luftwaffe devait nécessairement limiter ses pertes sans cesser pour autant de créer de sérieuses difficultés à l'économie britannique. De plus, la terreur liée aux bombardements nocturnes ne manquerait pas de saper le moral de la nation anglaise, qui tendait à se consolider. De fait, cette nouvelle stratégie eut pour effet d'imposer à la R.A.F. et la population britannique de lourdes charges. Personne, à coup sûr, n'aurait pu prévoir l'incroyable complexité des problèmes qui surgirent lorsque les Allemands, renonçant aux opérations de jour, mirent toute leur ardeur dans les attaques de nuit.
Pour commencer, les raids nocturnes constituaient une technique relativement nouvelle. Au moment où débuta cette phase de l'offensive allemande, la R.A.F. ne possédait que huit groupes de chasse (deux groupes de Defiant et six groupes de Blenheim) dont la mission principale consistait à intercepter les bombardiers ennemis au-dessus de la Manche à la nuit tombante. Les Defiant et les Blenheim avaient été affectés à ce service pour une raison assez curieuse, on pourrait dire une carence: ni l'un ni l'autre ne s'étaient montrés très efficaces au combat de jour. L'Angleterre ne disposait donc d'aucun type d'avion spécialisé pour la chasse de nuit, à l'exception du Beaufighter. Mais ce dernier modèle, plus récent et plus rapide que le Blenheim et le Defiant, sortait à peine des chaînes de montage au moment où la Luftwaffe décidait de changer de tactique.
Le réseau radar, atout jusqu'alors inestimable, commençait lui aussi, à devenir préoccupant. Les stations ne couvraient que les zones côtières, et les bombardiers de nuit pénétraient profondément à l'intérieur du pays, au-delà de la portée du radar. Pour tenter de résoudre ce problème, on imagina un radar de bord, mais sa portée ne dépassait guère 3 à 5 kilomètres, alors que le radar au sol balayait jusqu'à 250 kilomètres. De toute façon, le radar de bord ne deviendrait opérationnel qu'à la fin de l'année. Certains appareils de chasse étaient bien pourvus de ce dispositif, depuis quelques mois, mais la plupart des pilotes qui partaient à la rencontre des bombardiers de nuit devaient néanmoins rechercher l'ennemi au jugé.
De son côté, la défense terrestre souffrait elle aussi du manque de stations radar à l'intérieur du pays. Pour annoncer une attaque imminente, les stations au sol devaient utiliser des appareils de repérage par le son. Leur précision dépendait des conditions atmosphériques. De plus, ces instruments n'étaient pas adaptés à la vitesse de la plupart des avions ennemis. Comme l'avait fait remarquer un spécialiste: « un avion volant à 6 000 mètres, à une vitesse de 480 kilomètres à l'heure, s'était déjà éloigné de 2,5 kilomètres au moment où le dispositif d'écoute au sol enregistrait le son, et de 8 à 10 kilomètres quand l'artillerie antiaérienne entrait en action. »
L'efficacité des projecteurs et des armes antiaériennes était également fort limitée. Un projecteur ne pouvait balayer le ciel à plus de 3 600 mètres, un canon lourd tirer à plus de 7 680 mètres et une pièce légère à plus de 1 800 mètres. Bien entendu, les Allemands surent très vite tirer parfaitement parti de ces insuffisances.
Celles-ci permirent à la nouvelle stratégie de la Luftwaffe (fondée sur le bombardement de nuit) de faire pencher le sort de la bataille d'Angleterre en faveur de l'Allemagne. Au moins pendant un certain temps, Londres et d'autres grandes agglomérations restèrent sans défense contre les premiers bombardements nocturnes, violents, continus, écrasants.

Un nouveau mode de vie

Le sentiment permanent du danger partagé en commun semblait stimuler le moral et rapprocher les gens. Les étrangers disaient que les Anglais, d'habitude si distants et si réservés, ne s'étaient jamais montrés aussi amicaux et aussi communicatifs.
Un nouveau mode de vie s'instaurait dans la capitale. Plusieurs sondages permirent de suivre cette évolution. En octobre 1940, un institut de recherches décida d'enquêter sur le nombre d'heures de sommeil des Londoniens lors de bombardements nocturnes. Parmi les personnes interrogées, 15% prétendirent avoir dormi plus de six heures, 32% moins de quatre heures et 31% pas du tout. Il ressortait de cette étude un fait intéressant. A l'exception de ceux dont les maisons avaient été détruites ou les familles durement éprouvées par les attaques nocturnes, les travailleurs s'étaient présentés, dans leur quasi-totalité, au bureau ou à l'usine le lendemain matin, d'où un taux d'absentéisme relativement faible.
Un autre sondage révéla que 44% des Londoniens demeuraient chez eux ou se réfugiaient dans leurs jardins ou dans des abris de fortune, 44% se rendaient dans des refuges et, enfin, près de 12% restaient chez des amis, flânaient dans les rues ou passaient le temps d'une façon ou d'une autre. Les abris publics dont disposaient les Londoniens étaient, en règle générale, les nombreuses stations du «Tube» ou «Underground», c'est-à-dire le réseau métropolitain de transports souterrains dont les voies passent à une très grande profondeur sous la capitale britannique et le lit de la Tamise.
La vie quotidienne pendant le blitz sur Londres en 1940

Un nouvel abri indispensable... Le métro

Le métro, un abri pendant les bombardements de Londres en 1940
Le gouvernement n'ayant pas encore construit les vastes et profonds abris indispensables, les habitants s'installèrent de plus en plus dans le métro, et les autorités durent bientôt renoncer à les en empêcher. Le mouvement commença dans l'East End et gagna tout naturellement le reste de la capitale. Chaque jour, à la nuit tombante, alors que les sirènes annonçaient l'arrivée de l'aviation ennemie, les gens entraient dans les stations avec leurs provisions, leurs couvertures, leurs bébés; ils empruntaient les ascenseurs ou les escaliers mécaniques pour accéder aux quais, où ils s'installaient pour dormir. Les rames continuaient à rouler jusqu'à minuit et les voyageurs avaient du mal à se frayer un chemin parmi les corps étendus. Le métro représentait un progrès par rapport aux premiers refuges improvisés, néanmoins quelques Londoniens se montraient extrêmement choqués par le réalisme de la vie nocturne dans les stations nauséabondes et noires de monde.
« J'étais horrifiée par ce spectacle effroyable dans le métro », note dans son journal Rosemary Black, en rentrant série de dessins, qui devaient composer par la suite une partie célèbre de son oeuvre.
Les cockneys eux-mêmes, si amers au début, finirent par apprécier la camaraderie et la bonne humeur de « la vie sous terre ». Les autorités, d'abord opposées à l'utilisation du métro comme abri, commençaient à présent à se rendre compte que si elles interdisaient l'accès des stations au public, celui-ci en forcerait l'entrée de toute façon. Elles donnèrent donc leur autorisation officielle et firent équiper ces refuges d'installations sanitaires, de postes de secours, de facilités de ravitaillement et de sources d'hygiène.
Les habitués organisaient leurs loisirs. Il n'était pas rare d'entendre une chorale, et les saltimbanques ne manquaient pas. En temps de paix, ils se produisaient dans la rue, pour distraire par exemple les gens qui faisaient la queue au théâtre ou au cinéma. Ils exécutaient leurs numéros avec le même brio pour les spectateurs du métro. A Aldwych, le quartier des théâtres, des vedettes aussi renommées que Laurence Olivier, Vivien Leigh et Ivor Novello, descendaient sur le quai, la représentation terminée, et improvisaient un spectacle de sketches et de chansons.
Certaines familles s'attachaient tellement à leur petit coin de quai qu'elles remontaient à regret dans la rue à la fin de l'alerte. D'autres préféraient se réfugier dans des stations relativement proches de la surface. Or, les autorités avaient averti le public que celles-ci ne présentaient à peu près aucune sécurité en cas d'attaque de plein fouet. C'était le cas de la station de Balham, située seulement à 10 mètres au-dessous du niveau de la rue et traversée, dans sa partie supérieure, par des canalisations d'eau et de gaz, un égout collecteur et ses câbles électriques. Le 14 octobre, une bombe tomba dans le voisinage immédiat de la station et creva les canalisations. Environ 600 personnes s'étaient installées sur le quai. Les lumières s'éteignirent; l'eau commença à envahir la station et le gaz à s'échapper. La population était terrifiée. Finalement, les responsables de la station, munis de lampes de poche, réussirent à faire remonter 350 personnes, mais les 250 autres périrent noyées.
Balham fut un exemple parmi bien d'autres. A la station de Bethnal Green, pendant une attaque aérienne, une femme trébucha dans un escalier. Les personnes qui la suivaient tombèrent sur elle et la panique s'empara du reste de la foule. Près de 200 personnes moururent cette nuit-là, piétinées ou étouffées.
Aucun de ces désastres ne semblait toutefois diminuer la popularité du métro. Les stations les plus vulnérables furent progressivement fermées, les autres renforcées contre le danger d'inondation par les égouts ou par la Tamise. Les cockneys continuèrent à les fréquenter, même lorsque les grandes attaques aériennes eurent cessé depuis longtemps. Ils en utilisèrent même certaines jusqu'à la fin de la guerre.