Sale temps pour les Stukas
Jusque là, les Junkers Ju 87 Stuka ont plutôt bien tiré leur épingle du jeu. Ils ont réussi à couler quelques bâtiments et à causer des dégâts aux ports anglais, tout en limitant leurs pertes. Mais les choses vont vite changer. Le 16 août, les Stukas s'en prennent à l'aérodrome de Tangmere. Bien que tous les chasseurs anglais aient décollé sur alerte, aucun ne peut intercepter les Ju 87 qui exécutent un bombardement comme à l'entraînement, ravageant le terrain et ses installations, tuant une quinzaine de personnes et détruisant une dizaine d'avions (dont le tout premier Beaufighter de chasse de nuit équipé d'un radar). Mais les choses se gâtent peu après, lorsque les hôtes de Tangmere et de Selsey Bill, les N° 43 et 601 Squadrons, coiffent les Ju 87 au moment de leur retour et les poursuivent au-dessus de la mer : neuf sont abattus et au moins dix autres rentrent éclopés, certains avec leur mitrailleur tué à bord.
Le 16 août, la Luftwaffe revendique 60 victoires, la RAF 78. En fait, les pertes s'élèvent à 49 avions allemands et 51 avions britanniques (dont 20 Spitfire(.
Après une calme journée du 17 août, marquée par un discours quelque peu optimiste de ce bon Dr. Goebbels annonçant au peuple allemand que la RAF a été vaincue, les affaires reprennent le lendemain 18 août. Cependant, la Luftwaffe, visiblement éprouvée, ne réalise que la moitié de sorties par rapport aux journées précédentes.
Le 18 août marque, d'ailleurs, la fin de la deuxième phase de la Bataille d'Angleterre, tout au moins du point de vue des Britanniques. Il marque aussi la fin du Stuka.
La chasse anglaise n'était pas anéantie
Les Allemands s'étaient donné un délai de quatre jours pour « nettoyer », par des attaques intensives, le ciel anglais. Ces quatre jours étant maintenant passés, ils firent leur bilan. Leurs services de renseignements estimaient que même si la chasse britannique n'était pas à bout de souffle, il lui restait à peine 300 avions. Ils étaient loin de compte : car Dowding avait encore près de 600 « Spitfire » et « Hurricane ». Sur la foi de leurs informateurs, les Allemands crurent qu'ils pourraient éliminer toute résistance anglaise en poursuivant leur effort intense pendant encore un jour ou deux. La Luftwaffe lança donc une nouvelle attaque générale le 18 août, principalement contre les aérodromes du Kent, du Surrey et du Sussex. Elle y perdit 71 avions et les Anglais 27. Incontestablement, la chasse anglaise n'était pas anéantie
Les pertes enflent et Goering s'impatiente
Entre le 13 et le 18 août, les bombardiers ont enregistré la
perte de 146 des leurs (parmi lesquels 48 Ju 87, dont 16 rien
que le 18 août), pertes auxquelles il faut ajouter 131 chasseurs. Les bombardiers se plaignent d'être livrés à
eux-mêmes par des chasseurs d'escorte qui ne font pas leur
boulot.
Goering s'impatiente et tempête. Galland s'explique :
« À partir de cette période, j'ai conduit personnellement toutes les missions impliquant la participation de
la totalité de l'escadre. Je savais très précisément ce
qu'il fallait faire et ce qui était possible lors de grands
combats aériens. J'ai établi des règles pour faire
escorter les bombardiers par une escadre au complet,
règles qui furent bien acceptées et admises comme
étant les meilleures. La JG 26 s'était taillé la réputation d'être l'escorte la plus fiable, alors que cette
mission était l'une des plus difficiles à mener à bien.
Elle nécessitait une discipline de fer et je sais que
toutes les escadres de bombardement demandaient à
être escortées par la JG 26. Alors, je pense que l'on
peut dire qu'en 1940, la JG 26 était la meilleure
escadre d'escorte. Il a fallu que j'organise tout moi-même, Pace que nous n'avions ni expérience en la
matière ni règles préétablies. J'ai divisé l'escadre en
trois formations. La première était chargée de la
protection rapprochée, volant au contact direct des
bombardiers, à la même vitesse, évidemment trop
faible pour les chasseurs. Elle représentait à peu près
le tiers de l'effectif. Elle devait rester au
contact des bombardiers pour les protéger — ce n'était
certainement pas la meilleure manière de le faire, mais les bombardiers l'exigeaient.
Bien supérieure était la
protection à distance, toujours au contact visuel des
bombardiers, mais la formation pouvait aller d'un
côté ou de l'autre et attaquer l'ennemi quand il se
présentait. Après le combat, la formation devait rétablir le contact avec les bombardiers. Enfin, il y avait la
chasse libre où la formation volait bien en
avant des bombardiers pour leur frayer le chemin.
Cette tactique se révéla à de nombreuses reprises bien
plus efficace que n'importe quelle autre. Bien évidemment, comme les bombardiers ne voyaient pas les
chasseurs, ils ne faisaient pas confiance à cette
méthode. J'ai tenté de convaincre les bombardiers à
de nombreuses reprises sans succès. Ils ne cessaient
de se plaindre auprès de Goering qui leur accordait une
oreille complaisante. »

Début de la troisième phase

Goering, qui tempête après ses pilotes de chasse, décide de rajeunir les cadres. Déjà, le 23 juillet, le « vieux » Theo Osterkamp (48 ans) a laissé son poste de Kommodore de la JG 51 à l'étoile montante de la Luftwaffe, Werner Mülders. Entre le 18 et le 25 août, Goering remplace les commandants des JG 3, JG 26, JG 52 et JG 54. Les places sont prises respectivement par Günther Lützow, Adolf Galland, Hans Trübenbach et Hannes Trautloft.
Si l'on en juge par les seuls résultats, la deuxième phase ne s'achève pas sur une victoire de la Luftwaffe. La chasse britannique, malgré des pertes élevées, tient toujours bon. Les pertes allemandes ont été lourdes et n'ont pas été compensées par des destructions significatives. Les Allemands ont dispersé leurs efforts à attaquer de nombreux terrains ne relevant pas directement du Fighter Command. Erreur stratégique ou préméditation ? La destruction des aérodromes du Coastal Command ou de la Fleet Air Arm n'a évidemment pas gêné le Fighter Command dans son action défensive. On peut, toutefois, se demander si l'OKL n'a pas voulu empêcher la chasse anglaise d'utiliser ces bases situées pour la plupart en bordure de la côte ou s'il a cherché à les faire évacuer en prévision du débarquement et de la nécessité pour la Luftwaffe de disposer de terrains avancés.
Cependant, la Luftwaffe n'a guère utilisé plus d'un tiers de ses effectifs à l'Ouest et le Fighter Command a perdu des pilotes qu'il ne peut remplacer. Si la guerre d'usure, qui n'a pourtant commencé qu'une semaine plus tôt, se poursuit à cette cadence, il n'est que trop évident que la RAF sera la première à atteindre le point de rupture.
Le 19 août, Goering convoque ses généraux à Karinhall.
Dans leur for intérieur, en évitant de l'avouer publiquement, tous ont compris que l'affaire sera beaucoup plus
difficile que prévu. Le problème ne tient pas à la stratégie
mais aux moyens de la mettre en oeuvre. Tout le monde sait
quoi faire, mais personne ne sait comment. La question est
double : comment obtenir la supériorité aérienne et
comment employer les bombardiers qui ne pourront être
escortés ?
Goering commente sa nouvelle directive. Celle-ci ne
comporte guère de nouveautés par rapport aux précédentes
(la chasse anglaise constituant toujours la cible prioritaire),
à une exception près : la zone des raids est étendue aux
abords de Londres. Pour faciliter la tâche des Bf 109E, dont
l'autonomie n'est pas la qualité première, Goering décide de
concentrer toute la chasse dans le Pas-de-Calais, déshabillant ainsi la Luftflotte 3 au profit de Kesselring.