Le bombardement accidentel
de Londres

La bataille des aérodromes

Durant la nuit du 24 août, le Bomber Command de la RAF a lancé un raid de représailles sur Berlin et Hitler, dans un discours prononcé le 4 septembre, saisit le prétexte de cette attaque pour justifier son intention d'en tirer vengeance en bombardant Londres.
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Londres toujours épargnée

Goering pendant la bataille d'Angleterre
En déclenchant la phase n° 2, Goering laissait une liberté d'action totale à ses hommes à l'exception d'un seul point. Les pilotes avaient carte blanche pour bombarder de jour et de nuit les zones (et même les villes) où ils pouvaient directement atteindre la puissance aérienne anglaise. Londres cependant était épargnée. Goering avait, en effet, entouré d'un trait la capitale et sa périphérie et, sur l'ordre impératif du Chancelier du Reich, interdit tout bombardement à l'intérieur de cette zone.
On n'a jamais bien compris pourquoi Hitler avait décidé d'épargner Londres. Peut-être voulait-il, une fois l'Angleterre conquise, défiler triomphalement dans un Londres intact, d'un palais de Buckingham intact à un Parlement non moins intact! Peut-être aussi craignait-il que la destruction des vénérables monuments de Londres n'eût un effet désastreux dans les pays neutres. Peut-être, enfin, son intuition lui avait-elle tout simplement laissé entendre que l'écrasement de la capitale ne lui procurerait aucun avantage, qu'il soit tactique ou stratégique.
Certains responsables estimaient cependant qu'en soumettant Londres à un régime de terreur par d'incessants bombardements, la Luftwaffe briserait le moral de la population civile, comme elle l'avait fait à Varsovie, et amènerait ainsi les Anglais démoralisés à la table des négociations. Goering n'était pas de cet avis. «La population de Berlin capitulerait-elle sous des raids de terreur? demanda-t-il. Je ne le crois pas, et je ne vois pas non plus la population de Londres demandant grâce.» Pour le moment, il n'était donc absolument pas question ni pour Goering ni pour Hitler de détruire la capitale britannique.
En revanche, il y avait en Angleterre des personnalités éminentes qui espéraient réellement que la Luftwaffe porterait son attention sur la capitale. D'après une anecdote qui courait alors, Churchill sortait chaque nuit dans le jardin du 10 Downing Street, au moment où la phase décisive de la bataille battait son plein. Il écoutait le grondement des bombardiers et le fracas des bombes qui tombaient sur la grande banlieue, tendait les mains vers le ciel, et s'écriait: «Pourquoi ne venez-vous pas par ici? Bombardez-nous, bombardez-nous!» Que l'histoire soit vraie ou non, l'Angleterre avait sans nul doute à ce moment-là besoin du soutien des États-Unis, et Churchill pensait que rien ne pourrait mieux lui gagner la sympathie et l'aide des Américains que la destruction de Londres.
Dowding, lui aussi, souhaitait que la Luftwaffe se montrât au-dessus de la capitale mais pour des raisons plus pratiques et immédiates. Si les attaques de l'ennemi contre l'aviation de chasse et ses bases continuaient à la même cadence, Londres deviendrait de toute façon complètement vulnérable, par la destruction de son système de défense aérienne. En revanche, si les Allemands se mettaient à bombarder la capitale, la pression qu'ils exerçaient sur les stations de secteur et les bases d'approvisionnement de Dowding s'en trouverait allégée. L'aviation de chasse bénéficierait ainsi d'un répit qui lui permettrait de souffler et de récupérer ses forces pour reprendre le combat.

L'erreur des pilotes Allemands

Pilotes allemands pendant la bataille d'Angleterre
Dans la nuit du 24 août, près de 170 bombardiers effectuèrent des raids sur des objectifs allant du Kent au nord de la frontière écossaise. Certains de ces appareils avaient pour mission de bombarder des usines aéronautiques dans les villes de Rochester et Kingston au bord de la Tamise, et les réservoirs de pétrole de Thameshaven, à 24 kilomètres environ en aval de Londres. Les avions de tête naviguaient au radio-compas, mais ceux qui les suivaient n'en étaient pas dotés. A l'approche des objectifs, deux de ces appareils perdirent le contact visuel avec leurs guides et dépassèrent la zone de bombardement. Un véritable feu d'artifice les accueillit. Le barrage antiaérien se fit de plus en plus dense à mesure qu'ils avançaient aile contre aile. Comprenant finalement qu'ils s'étaient égarés, les deux pilotes estimèrent qu'il n'y avait plus qu'une solution. Ils se déchargèrent de leurs projectiles et se dirigèrent vers l'est pour rentrer à leur base.
Le sort voulut qu'ils fussent au-dessus de Londres lorsqu'ils larguèrent leurs bombes. Deux d'entre elles tombèrent au coeur de la ville, rasant la vieille église St. Giles, à Cripplegate, et arrachant la statue de Milton de son piédestal dans un square voisin. Les autres s'écrasèrent dans les banlieues Nord et Est de Londres, notamment à Islington, Finchley, Stepney, Tottenham et Bethnal Green, tuant des clients qui sortaient des pubs à l'heure de la fermeture et des spectateurs qui rentraient du cinéma.

Raid de représaille sur Berlin

Personne ne douta, même sur le moment, que le bombardement fût accidentel. Des recoupements ultérieurs démontrèrent d'ailleurs que les plans d'attaque de la Luftwaffe au cours des nuits suivantes ne prévoyaient pas de raid sur la capitale anglaise. Ils devaient se concentrer au contraire sur les centres industriels vitaux, tels que Liverpool et Birmingham. Mais Churchill était ravi de voir les choses autrement et de pouvoir agir en conséquence.
Il convoqua le Comité des chefs d'état-major et obtint leur accord. Des ordres furent donnés au Bomber Command de la R.A.F. et, par son intermédiaire, à une escadre de Hampden basée à Norfolk sur la côte est de l'Angleterre. Le commandant de l'escadre John Oxley reçut l'ordre d'emporter des bombes et d'effectuer un raid de représailles sur Berlin. Goering avait toujours donné au Führer et au peuple allemand l'assurance que les bombardiers ennemis n'arriveraient jamais jusqu'à la capitale de l'Allemagne.
Le 25 août, lorsque les Hampden de la R.A.F. effectuèrent de nuit un raid sur Ruhleben dans la banlieue de Berlin, le Maréchal fut, c'est le moins que l'on puisse dire, mortifié. Le raid causa peu de dommages matériels mais créa une panique considérable dans la population civile et entama le prestige de Goering. A peine le bombardement était-il terminé que celui-ci jura à Hitler qu'un tel fait ne se renouvellerait jamais plus. Il se trompait complètement. Churchill donna immédiatement l'ordre à la R.A.F. de contituer à attaquer Berlin jusqu'à ce que les Allemands fussent contraints de réagir.

Nous raserons Londres

Goering au cap gris nez
Après trois autres attaques, Hitler, furieux, convoqua le Maréchal et lui enjoignit de préparer ses bombardiers pour une riposte de grande envergure. Le 4 septembre, après le quatrième raid de nuit de la R.A.F., le Führer s'adressa à la foule rassemblée au Sportspalast de Berlin. Il était d'humeur pour le moins belliqueuse.
« M. Churchill nous montre sa dernière trouvaille: des attaques aériennes de nuit, s'écria-t-il. Il se livre à ces opérations non parce qu'elles ont des chances d'être efficaces, mais parce que ses forces aériennes ne peuvent se risquer à survoler de jour le sol allemand.
Afin de mieux rassurer son auditoire, le Führer déclara qu'il avait un projet pour mettre un terme à cette nouvelle impudence. « Les Anglais disent qu'ils vont multiplier leurs attaques sur nos villes? Eh bien, nous, nous raserons les leurs! Nous mettrons fin aux petits exercices nocturnes des pirates de l'air. Dieu nous y aide! Quand les avions britanniques lâcheront trois ou quatre tonnes de bombes, nous, en un seul raid, nous en lancerons 300 ou 400. Les Anglais débordent de curiosité, ils ne cessent de demander: "Pourquoi ne vient-il pas?" Attendez! Attendez! Il arrive! Il arrive!... L'heure sonnera où l'un de nous deux cèdera, et ce ne sera pas l'Allemagne. nationale-socialiste. »
Goering n'en demandait pas plus. Le lendemain matin, le Maréchal partit pour le Nord de la France dans son train spécial. Dans la soirée, sur une voie de garage entre Calais et Boulogne, il offrit à ses officiers un banquet au cours duquel il fit servir les plats et les vins français qu'il préférait. Désormais, déclara-t-il à ses invités, il dirigerait en personne la bataille. Un toast fut porté à la victoire.
Douze heures plus tard, dans l'après-midi du samedi 7 septembre, le chef de la Luftwaffe se trouvait à son poste d'observation avancé du cap Gris-Nez, son gros visage rond plus rouge que jamais. Dans le ciel, vague après vague, les bombardiers de la Luftwaffe passaient en grondant au-dessus de l'étroit chenal de la Manche; ils se dirigeaient vers Londres. Enfin! Hitler avait été contraint de modifier le plan de la bataille d'Angleterre, et le Maréchal du Reich était aussi excité qu'un jeune garçon avant un feu d'artifice.
Quant aux Anglais, même si les opérations aériennes devaient se dérouler dans le sens qu'ils avaient escompté, l'attaque les surprit par sa soudaineté et son intensité. Ils allaient vite se reprendre et faire face, mais il s'en était fallu de peu pour que les événements se transforment, pour eux, en véritable catastrophe.