Maréchal Tito
Un mort en sursis pour raison politique

On savait depuis fort longtemps que Tito souffrait d'excès de cholestérol dans le sang et de diabète, d'hypertension et de calculs dans la vésicule biliaire. Dans les années 1970, il avait fait un infarctus du myocarde et il se faisait suivre dans ses déplacements par un cardiologue.
En décembre 1979, le chef yougoslave souffre de troubles artériels qui justifient une intervention chirurgicale pratiquée en janvier 1980 et qui échoue : la gangrène s'installe et oblige les médecins à pratiquer l'amputation de la jambe gauche. Des complications rénales, cardiaques et pulmonaires apparaissent et Tito sombre dans le coma, un coma certainement dépassé qui va déclencher chez les médecins et les chefs yougoslaves le réflexe, non pas d'acharnement thérapeutique, mais celui d'acharnement politique qui va étonner le monde entier. Etait-il justifié par la crainte d'un vide politique que pouvaient combler les Soviétiques déjà aux prises avec des difficultés considérables en Afghanistan ? Peut-être, mais il y avait en plus une nécessité impérieuse de maintenir le corps mourant de Tito en vie. Le monde n'oubliera pas ces cent treize jours d'agonie...

tito et churchill
tito

Les conséquences dramatiques de l'artériosclérose.
On savait depuis fort longtemps que Tito, gros mangeur et amateur de vins et de cigarettes, souffrait d'excès de cholestérol et de graisses sanguines et d'excès d'urée ; en outre sa tension était élevée, variant entre 150 et 180 de maxima sur environ 110-120 minima. Dans les années 1970, il avait fait un infarctus du myocarde important et dès lors dans le cortège des voitures officielles on trouvait, maquillé comme une limousine présidentielle, un cardiomobile équipé à l'américaine, véritable petit centre de soins de réanimation cardiaque, mobile, avec, à son bord, la présence constante d'un cardiologue.
Ses médecins, qui l'avaient soigné pour cet infarctus du myocarde, avaient dû signer une déclaration par laquelle ils s'obligeaient à ne pas quitter la Yougoslavie avant un délai de cinq ans pour ne pas avoir la tentation de parler des crises de Tito à leurs collègues étrangers... Mais Tito, indiscipliné, continuait de boire, de manger, de fumer, de ne pas contrôler son diabète, totalement inattentif aux conseils de ses médecins et de son entourage. En 1976, il fit une inflammation du foie et du pancréas, celle-ci probablement en relation avec quelques banquets et un diabète mal réglé. Il avait déjà subi en 1951 l'ablation de la vésicule biliaire.
Quoi qu'il en soit, en décembre 1979, les médecins font le diagnostic de troubles artériels importants de la jambe gauche, pratiquent un examen radiologique des artères qui montre nettement une oblitération assez haut dans les vaisseaux de la jambe gauche. Des consultants américains (De Bakey) et soviétiques sont appelés au chevet de Tito ; ils confirment le diagnostic de leurs confrères yougoslaves et préconisent un pontage (opération ayant pour but de rétablir la circulation sanguine par la pose d'un greffon) qui est pratiqué le 12 janvier 1980. L'émotion est très vive dans le pays et dans le monde non pas parce qu'on s'intéresse spécialement à ce chef communiste, mais parce que les Soviétiques ont envahi l'Afghanistan sous un prétexte quelconque et que la mort prématurée de Tito pourrait créer un vide politique dangereux au sein de la fédération.
Mais très rapidement les médecins constatent que « en dépit d'une amélioration provisoire, l'opération n'a pas donné les résultats attendus ». Une poussée de température apparaît, le pays s'inquiète tandis que le gouvernement supprime les permissions dans l'armée...
Ainsi, ce premier acte opératoire, le pontage, avec une artère en plastique, sur des vaisseaux lésés, a échoué ; en raison de son âge et de son état général, il est certain que des signes de gangrène apparaissent rapidement et vont devoir faire envisager l'amputation de la jambe gauche, puisque le communiqué médical dit que « la condition de la jambe gauche s'aggrave progressivement ».
Mais un homme de l'âge de quatre-vingt-sept ans, très conscient de son allure physique, pouvait-il envisager d'être un invalide, un unijambiste ? Il est certain que le maréchal Tito a refusé dans un premier temps la suggestion d'une amputation de sa jambe après l'échec du pontage et s'est préparé à une mort tranquille. Mais pour maintenir en vie un homme aussi symbolique de la réalité politique yougoslave et repousser le spectre de l'éclatement des nationalités et l'arrivée des troupes soviétiques venues à la demande d'un gouvernement quelconque, les dirigeants appelés à succéder un jour à Tito, ont décidé, contre l'avis de ce dernier, d'autoriser les chirurgiens à procéder à l'amputation de la jambe gauche gangrenée. En général, ce sont les chefs vieillissants et malades qui ne veulent pas lâcher le pouvoir et ses délices et il est rare, en dehors des cas de Franco, Boumediene, de Brejnev, de Tito que les successeurs désignés d'un chef aussi âgé proposent eux-mêmes, contre l'avis de l'intéressé, un activisme thérapeutique pour le maintenir en vie ou en survie.

tito malade
L'amputation de la jambe gauche à quatre-vingt-sept ans.
L'amputation est pratiquée le 20 janvier et Tito semble se remettre de manière étonnante, mais deux anesthésies, deux interventions importantes sur le système artériel, vont provoquer des effets secondaires classiques à plusieurs niveaux : rénal, cardiaque, pulmonaire, ce que confirmeront bientôt les bulletins médicaux. Puis Tito sombre dans le coma provoqué par l'insuffisance rénale, malgré la mise permanente du malade sur rein artificiel, les troubles cardiaques que le pacemaker ne peut corriger complètement et l'infection pulmonaire malgré un antibiotique américain encore au stade expé rimental.
Coma prolongé.
Tito était-il en coma prolongé ou en coma dépassé ? Etait-ce une répétition du cas Franco ? Franco était un mort qu'on maintenait en survie artificielle. Il semble, d'après le témoignage de médecins français appelés en consultation auprès du chef d'Etat yougoslave, que Tito a eu, jusqu'aux derniers jours, des rémissions étonnantes, hallucinantes. Il était sous sa bulle de Plexiglas, immobile et livide comme une momie, avec des sondes nasales qui lui apportaient le liquide alimentaire, des tuyaux, des fils partout, pour le faire respirer, stimuler son coeur, assister son foie. Toutes les fonctions vitales étaient assurées artificiellement. Le comité central du Parti mettait des heures à rédiger le communiqué final, on ordonnait à la radio de jouer des airs de circonstance, on annonçait déjà les noms des chefs d'Etat qui assisteraient aux obsèques et tout à coup le sang revenait à ses joues, il ouvrait les yeux, ses lèvres bougeaient. L'arrêt de l'activité électroencéphalographique aurait été constaté le 25 avril seulement. Mais dans les équipes médicales yougoslaves, dans les cercles médicaux étrangers, les critiques étaient vives vis-à-vis des médecins de Tito accusés d'acharnement thérapeutique inhumain.
brejnev et tito

113 jours d'agonie
Cent treize jours d'agonie ! Ils ont été commentés par le monde entier et d'une manière sévère, ce qui est bien compréhensible. Il ne faut pas oublier l'atmosphère politique internationale très lourde qui dominait le monde en ce début de l'année 1980 après l'invasion de l'Afghanistan par les troupes soviétiques. On craignait que les Russes, qui n'avaient pas digéré l'affront que leur avait fait subir Tito trente-deux ans auparavant en résistant aux injonctions de Staline, ne profitent du vide politique créé par la disparition de Tito.
Un éditorial paru dans le New York Times du 22 janvier 1980 rend compte de cette atmosphère : « Jamais depuis la mort de Staline en 1953 la santé d'un homme n'a joué un rôle aussi important et revêtu une charge symbolique aussi grave que celle du président Tito aujourd'hui. Toute indication selon laquelle la santé d'un homme vacille quand il est âgé de quatre-vingt-sept ans, avec un tel passé, occupant un poste aussi important que celui de Tito doit être sérieusement prise en considération. Mais aujourd'hui, comme par une certaine chance la santé de Tito est en danger au moment même où, selon les termes du président Carter, le monde traverse la crise politique internationale la plus grave depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Ainsi, les nouvelles du monde politique ajoutent une dimension extraordinaire aux communiqués médicaux que publie l'hôpital de Ljubljana. " Tito a choisi le pire moment pour ouvrir sa succession ", a dit un journaliste yougoslave. Cette réaction cynique est typique de l'atmosphère morbide et pathétique qu'on perçoit à travers la Yougoslavie. »

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