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Le début du procès

Le procès
du maréchal Pétain

Le 26 avril 1945, le maréchal Pétain, qui s'était fait attribuer les pleins pouvoirs par un vote de l'Assemblée nationale après la défaite de juin 1940, se constitue prisonnier à la frontière franco-suisse, où l'a mené la déroute de l'armée allemande. Commence alors l'affaire la plus spectaculaire de la Libération et de l'épuration, la plus chargée de passions aussi.

Bon anniversaire Monsieur le Maréchal

C'est le 5 avril que le maréchal, exilé à Sigmaringen où les Allemands l'avaient conduit après l'avoir enlevé de force à Vichy, a appris par la radio que son procès allait s'engager à Paris. Dès lors, il n'a eu de cesse que de rentrer en France pour défendre son honneur. Il a écrit à Hitler dans ce sens. La lettre est restée sans réponse. Le 21 avril, sur l'ordre des Allemands, il a fallu quitter Sigmaringen. On s'est dirigé vers la Suisse. La pensée du maréchal n'a pas varié : ce n'est pas un asile qu'il demande à la Suisse, mais l'autorisation de traverser son territoire. Il l'obtient. Le 24 avril, il passe la frontière, accueilli par le large sourire d'un douanier helvétique :
"Bon anniversaire, monsieur le maréchal."
Alors seulement, la maréchale qui accompagne son mari depuis Vichy, se souvient que, ce jour-là, son mari a quatre-vingt-neuf ans !
Dès l'arrivée du maréchal en Suisse, M. Karl Burckhardt, ambassadeur de la Confédération helvétique, demande audience au général de Gaulle, qui le reçoit aussitôt. Le gouvernement suisse souhaite connaître les intentions du gouvernement français. Le chef du gouvernement provisoire de la République française n'hésite pas :
Le gouvernement français n'est aucunement pressé de voir extrader le maréchal Pétain.
M. Walter Stucki a précisé que de Gaulle avait demandé au gouvernement suisse de garder le maréchal sur son territoire, exposant que « la France lui adresserait une demande d'extradition qu'il souhaitait voir repousser, ce souhait devant rester secret ».
Dans ce jeu diplomatique, il semble qu'on ait oublié le principal intéressé. Mais celui-ci est têtu. Quand Stucki va le voir dans l'hôtel où il s'est arrêté au bord du lac de Wallensee, Philippe Pétain déclare formellement qu'il veut rentrer en France. Le général de Gaulle commentera : Les dés étaient jetés. Le vieux maréchal ne pouvait douter qu'il allait être condamné. Mais il entendait comparaître en personne devant la justice française et subir la peine, quelle qu'elle fût, qui lui serait infligée. Cette décision était courageuse.
C'est le 26 avril, à la fin de l'après-midi, que la voiture du maréchal franchit la frontière française. Le général Kœnig, envoyé par le gouvernement, accueille le maréchal. Il salue militairement. Philippe Pétain lui tend la main. Kœnig, raidissant son salut militaire, ne prend pas cette main. Mais il cédera son wagon-lit personnel au maréchal, pour qui l'on n'avait prévu qu'une couchette.

L'accusé entre dans la salle du tribunal

Pétain entre dans la salle du tribunal
Le procès se déroula dans la première Chambre de la Cour d'Appel, salle certes trop exiguë pour contenir l'assistance prévue et en particulier la presse, mais choisie après de longues hésitations pour des raisons de sécurité. Un appartement avait été aménagé pour le Maréchal dans le cabinet du greffier et le vestiaire des magistrats. Quelques pas seulement séparaient ainsi l'accusé de la salle d'audience. La salle avait été transformée pour répondre à sa promotion. Des gradins de bois avaient été construits dans la tribune pour permettre à un plus grand nombre de personnes d'assister aux débats. Derrière la Cour, des chaises étaient préparées pour le Corps Diplomatique, la magistrature et quelques privilégiés.
Pour la presse, dont les représentants s'entassaient l'un contre l'autre, on avait installé des tables étroites et longues. Les stalles à droite et à gauche, étaient réservées aux jurés. Quant au barreau, confiné dans l'espace situé entre les premiers bancs des témoins et l'entrée, il avait devant lui un fauteuil préparé pour le Maréchal, seule concession faite à son âge, et aux dignités dont il avait été revêtu.
Le 25 juillet 1945, dès midi et demi, dans cette atmosphère surchauffée et survoltée, le public s'empresse et s'entasse. A 13 heures, entouré de ses défenseurs, le bâtonnier Payen et deux jeunes avocats Maîtres Isorni et Lemaire, le Maréchal, mitraillé à bout portant par le magnésium des photographes, fait son entrée.
Tiens ! vous aussi, vous êtes de la fête!
C'est par ces mots ironiques et désabusés que Philippe Pétain accueille son fidèle gardien Joseph Simon dans la pièce du palais de justice qu'il doit occuper pendant toute la durée de son procès. Ce lundi 23 juillet 1945, une chaleur accablante s'est abattue sur Paris et, à quelques minutes de l'ouverture de l'audience, l'accusé est en proie à une grande émotion.
— Allons; messieurs...
Joseph Simon prend la tête d'un petit cortège : Philippe Pétain. qui tient dans sa main gauche, avec ses gants blancs, le rouleau de papier où a été dactylographié en gros caractères le texte de la déclaration qu'il va lire devant ses juges, les trois avocats Fernand Payen, Isorni et Jean Lemaire gagnent la salle monumentale de la 11ème chambre de la cour, entre une haie de gardes républicains qui ne saluent pas le dernier des maréchaux de la Grande Guerre. A d'autres endroits, des gendarmes montrent le dos à l'accusé.
A 13 h, par une petite porte latérale, l'accusé pénètre dans la salle de la 1ere chambre, précédé par un gendarme. Alors se produit un phénomène extraordinaire; toute la salle se lève pour apercevoir ce vieillard qui, selon la description de Jules Roy, marche très droit, avec une raideur et une dignité de prince blessé, dans un silence impressionnant où l'on entend le bruit du talon de ses bottines vernies, le battement de robe des trois avocats et le ronronnement des caméras.
Sous le nez du maréchal, le mitraillage des photographes commence : les flashes des appareils crépitent dans une cohue affairée où chaque photographe' cherche le meilleur plan de l'illustre accusé. Pétain reste impassible sous les premiers éclairs, puis, à mesure que les minutes passent, manifeste quelque agacement, enfin de l'exaspération :
— Cela va durer longtemps?... explose-t-il soudain en se tournant vers ses défenseurs.
Il est 13 h 06. Par une des portes situées derrière la tribune, au-dessus de laquelle des anges supportent un écu fleurdelisé, entrent les magistrats. En tête, le président Mongibeaux, sorte de géant matois, le menton orné d'une barbiche blanche pointue, suivi des deux vice-présidents, Donat­Guigue dont le visage glabre est marqué d'une moue sévère, voire désapprobatrice ( n'est-il pas un ami de la famille Pétain? ) et Picard, impénétrable.
Un quatrième homme les dépasse, tout en barbe et le cheveu hérissé, le nez busqué chaussé d'un lorgnon très début du siècle, emmitouflé jusqu'aux oreilles dans son camail de fausse hermine barré par le ruban rouge de commandeur de la Légion d'honneur : le procureur général Mornet. Il se faufile entre les travées des journalistes et passe devant l'accusé. Il n'y a qu'un petit espace pour que l'accusateur en robe puisse gagner son siège à gauche de l'accusé et Philippe Pétain, dans un geste de courtoisie, rapproche de lui sa tablette, afin de laisser plus de place à Mornet (geste qu'il répétera pendant toute la durée du procès.)

Attaques en règle de la défense

Le procès du maréchal Pétain
Après cette intervention de l'accusé, le procès se continue par une nouvelle offensive des défenseurs. Le bâtonnier Payen demande la parole pour que Maîtres Lemaire et Isorni donnent acte au sujet de certaines irrégularités de procédure.
Successivement, ils signalent que les poursuites ont été engagées par contumace alors que Pétain était déjà prisonnier : c'est sans doute que le gouvernement n'avait pas envisagé que le Maréchal demandât à rentrer en France pour sa défense.
Ils signalent en outre que les principaux témoins n'ont pas été entendus : c'est le cas en particulier d'anciens collaborateurs directs du Maréchal à Vichy, tels que Rochat, Dumoulin de la Barthète qui sont en Suisse et à qui l'on a refusé le sauf-conduit pour qu'ils puissent venir déposer à Paris, sans risquer d'être arrêtés.
De même l'instruction a été bâclée. Un plan avait été communiqué à la commission d'Instruction criminelle : il a été repoussé. En outre, l'interrogatoire, à en croire les avocats, a été mené sans méthode et de façon désordonnée : le Maréchal n'a été questionné ni sur sa politique en Afrique, ni sur sa politique en Syrie, ni sur son attitude vis-à-vis de l'Alsace, ni sur celle concernant l'Indochine, autant de points essentiels pour comprendre les ressorts profonds de Vichy. D'une façon générale, aucun interrogatoire n'a eu lieu sur les griefs essentiels de l'accusation.
Pourquoi cette façon de procéder? Pourquoi une telle hâte ? Aurait-on souhaité que le Maréchal ne pût pas rentrer à temps pour participer à son procès ? Avait-on l'intention de le juger en son absence ?
Des caisses de documents n'ont même pas été ouvertes. Quant à ceux qui ont été communiqués, ils l'ont été, dans un tel état de désordre que, même en s'y mettant à trois, les avocats ne peuvent pas s'y retrouver, et qu'il a été souvent impossible aux magistrats de savoir où ils sont. Sont-ce là des conditions convenables pour préparer un tel procès ?
Ainsi parle Maître Isorni. Son confrère, Maître Lemaire, lui succède pour signaler d'autres irrégularités, d'un ordre tout différent. C'est un principe essentiel de la justice que la passion ne doit pas entrer dans le prétoire, et que le juge doit mener les débats en toute impartialité. Or, dans le cas présent, dit Lemaire, cette loi n'est pas respectée. Des juges, jurés ou magistrats, ont un parti-pris passionnel contre l'accusé. On a même assisté à ce spectacle insolite du procureur général Mornet, s'adressant à la presse, trois mois avant la première audience, le 28 avril 1945, pour manifester son opinion qui n'est pas d'une stricte obiectivité.
A ces mots, Mornet intervient avec véhémence, provoquant un incident qui montre bien l'atmosphère du procès.
Il réfute le reproche qui lui est adressé : « J'ai fait connaître mon opinion sur le caractère des faits qui étaient reprochés au maréchal Pétain et j'ai dit que, si ces faits étaient établis, comme je le croyais, ces faits ne comportaient pas d'autre peine que la peine la plus élevée. Mais cela ne veut pas dire que j'ai dit à la presse que je réclamerais la peine de mort... »
Devant une argumentation aussi spécieuse, quelques protestations éclatent dans la salle. Elles ont le pouvoir de pousser à son paroxysme l'irritation de Mornet qui s'écrie :
« Il y a en vérité trop d'Allemands dans cette salle... »
Une partie de l'assistance se cabre sous l'outrage : de nouveau ce sont des murmures. Isorni saute sur l'occasion de répondre à l'accusateur :
Isorni : « Vous allez certainement retirer ce que vous venez de dire... »
Mornet : « Comment ? »
Isorni : « Vous avez dit : il y a trop d'Allemands dans la salle.
Mornet : « Non, j'ai dit qu'il y avait trop de gens qui faisaient le jeu des Allemands dans la salle. »
Ce distinguo trop subtil, et d'ailleurs très peu fondé, ne suffit pas à désarmer l'avocat. Poussant son avantage, le voici maintenant qui cite le texte exact de l'article incriminé :
« Pétain sera jugé en juin, déclare le procureur général Mornet... il est évident, nous précisa-t-il hier soir, que le pouvoir judiciaire ne peut pas, quand il s'agit des actes les plus graves, ne pas demander la peine de mort. Et je le ferai... »
Mornet essaie de discuter. Il est en si mauvaise posture pour le faire, que le président décide de
lever l'audience et de faire évacuer la salle.

La déclaration de Pétain

La déclaration de Pétain à son procès
Après la lecture par le greffier de l'acte d'accusation, qui retient les griefs d'attentat contre la sûreté intérieure de l'Etat et d'intelligence avec l'ennemi, après lecture d'un complément par Mornet, après l'appel des témoins et au moment où l'interrogatoire va commencer, Pétain demande la parole pour lire une déclaration : lui aussi conteste la compétence du tribunal :
C'est le peuple français qui, par ses représentants, réunis en Assemblée Nationale, le 10 juillet 1940, m'a confié le pouvoir. C'est à lui seul que je suis venu rendre des comptes. La Haute-Cour, telle qu'elle est constituée, ne représente pas le peuple français, et c'est à lui seul que s'adresse le Maréchal de France, chef de l'Etat.
Je ne ferai pas d'autre déclaration
Je ne répondrai à aucune question. Mes défenseurs ont reçu de moi la mission de répondre à des accusations qui veulent me salir et qui n'attaquent que ceux qui les profèrent...

Ainsi Pétain, qui physiquement sera présent tout au long de son procès, n'y participera presque à aucun moment. Il restera muet, impassible, donnant souvent d'ailleurs l'impression que sa surdité contribue à l'isoler de débats dont il se désintéresse.
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