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Crimes et châtiments

Le procès Nuremberg

C'est dans l'après-midi du 30 septembre que les accusés
retournent un à un dans la salle d'audience pour entendre le président Lawrence prononcer leur sentence.

Le 30 septembre 1946

Le 30 septembre 1946, à 11h 4, les 21 accusés se lèvent une dernière fois quand entrent les quatre juges. Après deux cent dix-huit jours d'audience, 236 témoins auditionnés et 2 360 documents présentés, la cour s'apprête à rendre son jugement. Un verdict de plus de 50 000 mots est lu à tour de rôle (en français, anglais et russe) pendant deux jours: le lundi 30 septembre et le mardi 1er octobre sont consacrés aux attendus du jugement, qui proposent une première histoire à chaud du national-socialisme, avant de lister les crimes retenus à charge et de se prononcer sur la culpabilité des accusés.
Trois sont reconnus non coupables et sortent libres de la salle d'audience: Hjalmar Schacht, président de la Reichsbank, ministre de l'Économie du IIIe Reich et acteur du programme de remilitarisation, qui réussit à persuader la cour qu'il n'avait rien à voir avec la clique nazie.
Franz von Papen, chancelier puis vice-chancelier entre 1933 et 1934, se présente comme un homme sans influence.
Hans Fritzsche, seul représentant sur le banc des accusés du ministère de la Propagande, dont il devint l'un des animateurs les plus connus, ne fut pas considéré comme participant aux crimes jugés, à son grand soulagement.
Les 18 autres doivent attendre le lendemain après-midi pour connaître le sort qui leur est réservé. Le verdict de Nuremberg condamne aussi des acteurs institutionnels : parmi les six organisations accusées d'avoir participé aux opérations nazies, quatre sont reconnues comme criminelles, le Führerkorps (le corps dirigeant du NSDAP), la Gestapo, le SD (le service de renseignements), la SS, tandis que le gouvernement du Reich, la SA comme le commandement suprême des forces allemandes sont acquittés, au mécontentement des Soviétiques. Mais les regards sont tous tournés vers le box des accusés.
« Aucun, relevait Joseph Kessel dès le 26 novembre 1945, ne porte sur le front ou dans les yeux la moindre trace, le moindre reflet, la plus petite justification de leur gloire passé, ou du terrifiant pouvoir qui fut le leur.»

Les masques tombent

Responsables nazis au procès de Nuremberg
Dans leur tenue sans superbe (un uniforme sans décorations ni grade), ces 21 hauts dignitaires qui tenaient l'avenir de l'Europe entre leurs mains donnent l'impression de suivre un exposé qui ne les concerne que de loin. Pourtant, en coulisse, dans la prison adjacente au palais de justice, les masques tombent. Le 31 août, après que chacun des accusés a pu faire une dernière déclaration, la tension fait voler en éclats l'unité de façade que voulait maintenir Goering face aux vainqueurs. Von Papen prend ainsi violemment à partie Goering, à qui il reproche de nier sa part de responsabilité: « Qui, au monde, est responsable pour toute cette destruction si ce n'est vous ! Vous étiez le second personnage
de l'État!
» lui lance-t-il.
À présent, les rôles de composition patiemment répétés depuis septembre 1945 se défont et les stratégies de défense se délitent. Nuremberg redevient cette scène où se joue l'Histoire, mais désormais selon la justice des hommes. La veille du jugement, l'atmosphère est particulièrement tendue, comme le note le psychiatre américain qui visite les détenus depuis le début du procès: Keitel refuse de voir sa femme « car il ne pourrait tout simplement pas la regarder en face »; l'amiral Raeder ne se fait aucune illusion sur la peine capitale qui l'attend; quant à l'ancien ministre des Affaires étrangères, Ribbentrop, il essaie de repousser l'échéance en faisant miroiter des Mémoires pour l'Histoire. Même Goering, beaucoup moins jovial désormais, confie au psychiatre: «Vous n'avez plus de souci à vous faire sur la légende de Hitler. Quand les Allemands apprendront tout ce qui a été révélé par le procès, il ne sera plus nécessaire de le condamner; il s'est condamné lui-même. » Seul Schacht, confiant dans l'issue de son procès, ne se départ pas d'un sentiment de supériorité et s'indigne d'être poursuivi pour crimes de guerre.

Stupeurs et tremblements

Hans Franck, Frick et Sauckel au procès de Nuremberg
Hans Frank (haut gauche), nommé à la tête de la Pologne occupée, où il participa à la mise en place de la solution finale comme de la déportation de travailleurs forcés polonais dans le Reich. Sa condamnation à mort pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité, Frank la considère, contrairement à ses complices, comme méritée. Une attitude opposée à celle affichée par un Frick étonné (haut centre), qui, comme ministre de l'Intérieur du Reich, se voit infliger la même peine. Streicher récuse également sa condamnation à mort, motivée par son inlassable action à diffuser et encourager l'antisémitisme. Elle ne serait que l'ultime preuve qu'il s'agit d'un procès truqué dont les sentences étaient fixées d'avance.
Walter Funk, acteur économique clé dans la récupération des biens des déportés juifs, est condamné à la réclusion à perpétuité. L'amiral Karl Dônitz reconnu coupable de crimes guerre et de crimes comme l'humanité, est condamné à dix ans de prison. Son prédécesseur, Erich Raeder, est condamné à la prison à vie pour avoir engagé la marine dans des actions de guerre non conventionnelles, notamment dans la guerre sous-marine, ce qui le rend dès lors coupable de crimes contre la paix, de crimes de guerre et contre l'humanité.
Baldur von Schirach, le chef des jeunesses hitlériennes, incarne une autre dimension du nazisme, l'endoctrinement de la jeunesse. Au tribunal qui vient de le condamner à vingt ans de prison, il jette un regard de haine en quittant la salle. « Mieux vaut une mort rapide qu'une mort lente », aurait-il lancé une fois revenu dans sa cellule. Fritz Sauckel (haut droite), qui fit employer plus de cinq millions de travailleurs forcés dans l'économie de guerre du Reich, considère la sentence (la mort) comme une injustice. Arthur Seyss-Inquart, commissaire du Reich dans les Pays-Bas occupés, où il mit en place une politique répressive particulièrement dure, est condamné à mort pour les trois derniers chefs d'accusation, peine qu'il accepte, apparemment, avec légèreté.
Albert Speer est condamné à vingt ans de prison. Contrairement à ses anciens camarades, il réussit à jouer jusqu'au bout son personnage de technicien apolitique. En outre, ayant admis sa part de responsabilité, il considère sa peine comme justifiée. Dernier à comparaître, Konstantin von Neurath, ministre des Affaires étrangères de 1933 à 1938 puis protecteur de Bohême-Moravie de 1939 à 1943, écope de quinze ans de prison. Avant même l'exécution des peines, dans la nuit du 15 au 16 octobre, le verdict devient un phénomène médiatique mondial, relayé par les quelque 400 journalistes venus de 20 nations différentes. Comme le titrent les Nürnberger Nachrichten, le seul quotidien alors autorisé à Nuremberg, le 3 octobre 1946: « Nuremberg entrera dans l'histoire de façon inoubliable et sera un symbole, un symbole de justice. »

Des condamnés introduits un par un dans la salle du tribunal

Keitel, Jodl et Rosenberg au procès de Nuremberg
Mardi 1er octobre, 14 h 50. Dans un palais de justice à la sécurité considérablement renforcée se joue, hors caméra, le dénouement du procès de Nuremberg: les condamnés sont introduits, un par un, afin de prendre connaissance de leur sentence: 18 peines, 12 condamnations à mort par pendaison, dont une par contumace contre Bormann, trois condamnations à la prison à vie, quatre peines de dix à vingt ans de prison. Goering demeure impassible. Tout juste si son visage se crispe à l'annonce de sa condamnation à mort. « Sa culpabilité est unique dans son énormité », considère la cour, qui le condamne en vertu des quatre chefs d'accusation (complot dans le but de prévoir et d'exécuter des guerres d'agression, crimes contre la paix, crimes de guerre et crimes contre l'humanité). Goering quitte rapidement la salle d'audience, mais, une fois dans la prison, il se décompose.
Rudolf Hess entre ensuite pour entendre sa condamnation à la réclusion à perpétuité. Ses pertes de mémoire et une certaine instabilité psychologique n'auront pas convaincu le tribunal de ne pas le condamner. Avec Ribbentrop, c'est la politique extérieure de l'Allemagne nazie qui est condamnée. Sa position à la tête de la diplomatie allemande de 1938 à 1945 en fait un des responsables du déclenchement de la guerre, puis un acteur dans la déportation des Juifs.
Keitel (haut gauche) est le premier des militaires à entendre sa sentence. Refusant de considérer l'obéissance comme une circonstance atténuante, le tribunal le condamne à mort pour les quatre chefs d'accusation. S'il écoute impassible sa condamnation, une fois dans sa cellule, c'est un homme mortifié par la honte de ne pas avoir droit à un peloton d'exécution. Jodl (haut centre) adopte la même attitude après avoir été également condamné à mort. Celui qui considère n'avoir fait que son devoir d'officier n'a de grief, une fois revenu en cellule, que pour dénoncer la mort indigne qui lui est réservé.
Ernst Kaltenbrunner est condamné à la peine capitale comme chef de la police de sécurité et du service de sécurité et chef de l'Office central de sécurité du Reich, qui joua un rôle de premier plan dans la destruction des Juifs d'Europe. Alfred Rosenberg (haut droite) est considéré comme l'idéologue du parti, avec notamment son ouvrage Le Mythe du XXe siècle. En 1941, il devient ministre du Reich pour les Territoires occupés à l'Est et, à ce titre, mit en place une politique de germanisation fondée sur le pillage économique et l'extermination des peuples.
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