L’esclave fugitif est au coeur des relations Nord-Sud dès les années 1850. Il va devenir un acteur incontournable de la guerre civile. Sa présence dans les villes, dans les camps et sur les champs de bataille va changer la nature du conflit.
1776-1783: Les esclaves fuient en masse pendant la guerre d’Indépendance. La plupart sont recapturés.
1787: L’Ordonnance du Nord-Ouest et la Constitution américaine autorisent et définissent le cadre légal de l’arrestation des esclaves en fuite dans les Etats libres du Nord.
1831: Parution du Liberator, journal abolitionniste de William Lloyd Garrison.
1850: Le Congrès adopte le Fugitive Slave Act, la loi sur les esclaves en fuite.
1850-1860: Le Nord se mobilise contre le Fugitive Slave Act
1861; Les esclaves en fuite deviennent « contrebande de guerre ».
1863; Proclamation d’émancipation qui ne concerne que les esclaves appartenant aux sécessionnistes.
1866: Un an après la fin de la guerre de Sécession et le vote du 13e amendement, qui abolit l’esclavage, le Ku Klux Klan est fondé par un sudiste.
1896: L’arrêt de la Cour suprême Plessy v. Ferguson, qui officialise la ségrégation raciale, régit désormais les rapports entre Blancs et Noirs.
1964: Martin Luther King reçoit le prix Nobel de la paix ; lois sur les droits civiques portées par le président démocrate Lyndon B. Johnson.
2015: Un homme blanc ouvre le feu dans une église de Charleston (Caroline du Nord) fréquentée par la communauté noire. Bilan : neuf morts.
La vie quotidienne des esclaves est tissée de multiples expressions de résistance : refus de travailler, ralentissement des cadences, sabotage des outils de production ou encore vols de nourriture et de vêtements. La plus répandue reste cependant la fuite. On peut en distinguer, globalement, deux formes, qui répondent chacune à des objectifs et motivations différentes: une fugue locale, souvent de courte ou de moyenne durée, et une fuite supposée être permanente vers la Terre promise que sont le nord des Etats-Unis et le Canada. La première est de très loin la plus fréquente dans la période qui précède la guerre de Sécession. Elle est d’ailleurs souvent tolérée par les maîtres qui ne prennent pas toujours le soin de l’annoncer dans les journaux. Les causes en sont diverses : les esclaves s’enfuient pour échapper à une punition (coups de fouet-photo de gauche) ou pour exprimer leur protestation après un mauvais traitement, pour prier à l’écart de la surveillance du maître, ou pour rendre visite à un proche sur une plantation distante de la sienne. Les motivations à l’origine de la fuite permanente peuvent être également les mauvais traitements, mais aussi là mort du maître, le refus d’une séparation familiale provoquée par le partage d’une plantation ou sa liquidation, ou simplement, le désir de liberté.
Bien que ce ne soit pas systématique, la fuite d’esclaves est souvent annoncée dans les journaux afin de faciliter la capture. Le texte des annonces comporte habituellement le nom, l’âge, la description physique et vestimentaire. Exemple : «100 dollars de récompense ! S’est échappé de chez le soussigné, qui habite à environ 20 km au nord de Doniphan, dans le comté de Ripley, Missouri, le 2 mars 1860, un nègre, âgé de 30 ans à peu près, d’environ 80 kilos ;front haut et marqué d’une cicatrice; il portait un pantalon et une veste de couleur marron, usés, et un vieux chapeau de laine noir, chaussures de pointure 11.» Dans le Missouri, lorsque paraît cette annonce, la fuite des esclaves suscite chez les planteurs et les autorités une inquiétude toute particulière. En effet, dans tous les Etats du Sud qui disposent d’une frontière avec le Nord libre, la fuite se veut rarement temporaire ou locale ; il s’agit, bien au contraire, de gagner par tous les moyens la Terre promise.
Il est difficile d’estimer avec précision l’ampleur de cette fuite vers le Nord libre ou le Canada: entre 50000 à 100000 esclaves pour toute la période qui précède la guerre de Sécession et, peut-être, 20000 pour les seules dix années avant le début des hostilités. Pour des raisons géographiques, les esclaves qui tentent de rejoindre le Nord vivent en majorité dans les Etats de la Virginie, du Maryland, du Kentucky et du Missouri.
Fuir n’est pas sans danger. Les esclaves doivent rivaliser d’ingéniosité et de rapidité pour échapper aux chasseurs d’esclaves, les tristement célèbres slave caschers, employés par les maîtres. De plus, le Nord n’est pas toujours symbole de libération: les esclaves fugitifs y courent le danger d’être capturés et revendus dans le Sud. Une loi de 1850 augmente considérablement le risque d’arrestation dans les Etats libres. Tout citoyen américain a en effet le devoir d’arrêter et de rendre à son maître un esclave en fuite.
La fuite d’esclaves, motif récurrent de l’histoire nord-américaine, est, plus que jamais, au coeur de la guerre de Sécession. Entre 1860 et 1865, une guerre de type « triangulaire », pour reprendre l’expression de l’historienne Sylvia Frey, oppose l’armée confédérée, les troupes de l’Union et plusieurs centaines de milliers d’esclaves fugitifs. Ces derniers vont jouer un rôle central dans le déroulement du conflit. Cette guerre civile devient progressivement une guerre pour ou contre l’esclavage, en partie en raison de l’omniprésence des évadés dans les villes, dans les camps et sur les champs de bataille. En 1862, les autorités de la Georgie déplorent la fuite de plus de 20000 esclaves dans la seule région côtière. Des planteurs exigent l’exécution des esclaves capturés afin de couper court à la contagion et à la « démoralisation » générale, euphémisme alors largement utilisé pour décrire leur résistance.
Pendant les premiers mois du conflit, un certain flou existe quant au statut des esclaves en fuite qui cherchent refuge dans les villes occupées par l’armée d’Abraham Lincoln ou dans les camps militaires de l’Union, comme au Camp Parapet, non loin de La Nouvelle-Orléans. Au mois de mai 1861, en Virginie, le général Benjamin Butler met fin à l’incertitude. Il déclare que tous les esclaves en fuite rassemblés dans le fort Monroe sont de la contrebande de guerre et peuvent donc être mis au service des forces de l’Union. C’est ainsi que ceux-ci sont dès lors appelés pendant toute la période de la guerre. Ils sont dans un premier temps employés par les troupes fédérales à des fins non militaires, pour construire des fortifications par exemple; puis enrôlés dans des régiments spéciaux. Un an après la proclamation du général Butler, le Congrès adopte un article par lequel il interdit formellement à l’armée de rendre tout esclave fugitif aux rebelles sécessionnistes.
Au début de la guerre, les esclaves en fuite sont surtout des hommes seuls. Après la proclamation d’Abraham Lincoln de janvier 1863 (libérant les esclaves appartenant aux rebelles sécessionnistes), les esclaves fuient en famille. En mars 1863, le général Sooy Smith rapporte à ses supérieurs que «des familles entières s’enfuient en désordre et quittent leur maître ». Bien sûr, tous ne fuient pas pendant la guerre de Sécession. Certains, très attachés à leur maître, ou préférant attendre de connaître l’issue du conflit, restent sur leur plantation d’origine. Néanmoins, la fin de l’esclavage est précipitée partout par la fuite de plusieurs centaines de milliers d’esclaves, hommes et femmes, adultes et enfants. Pour la plupart des esclaves, la guerre de Sécession est interprétée comme le moment tant attendu du long et difficile passage vers la Terre promise.
Sur cinq fugitifs, un seulement est une femme, voire moins.
L’esclave qui est repris risque fouet, prison ou fers
Sur cinq fugitifs, un seulement est une femme, voire moins.
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