C’est le paradoxe vendéen. Les paysans, qui sont prêts à prendre les armes pour défendre leur religion, refusent catégoriquement tout embrigadement dans les armées de terre ou de mer. Pas même dans la garde nationale locale, qui leur rappelle trop la milice d’Ancien Régime.
Dans chaque commune de France, les hommes célibataires en âge de porter les armes (entre 18 et 40 ans) doivent tirer au sort pour déterminer qui doit partir à l’armée.
Deux dispositions sonnent comme une provocation parce qu’elles contreviennent au principe d’égalité prôné par la Révolution:
– La possibilité de rachat, dont seule la bourgeoisie aisée peut profiter. Un malchanceux qui a tiré le mauvais numéro peut faire appel à un remplaçant, contre espèces sonnantes et trébuchantes.
– L’exemption du personnel révolutionnaire, sous prétexte qu’il est indispensable à la bonne marche du régime. C’est ainsi que les fonctionnaires, les gardes nationaux et les sans-culottes
membres de sections patriotiques sont dispensés de tirage au sort.
La levée en masse ! » La guerre de Vendée est dans ces quatre mots.
Caroleau, cet ancien prêtre, explique : les paysans « ne veulent pas servir, parce qu’il leur faudrait perdre de vue cette terre si chère, loin de laquelle il ne peut y avoir pour eux de bonheur ».
Déjà, sous l’Ancien Régime, « on n’en venait jamais a bout (des Vendéens) pour les faire servir dans la milice du Roi », écrit Duthuron. Or, il ne s’agissait que d’un service court et les appelés, peu nombreux allaient rarement à plus de 150 kilomètres de chez eux.
Pourtant cette milice royale était honnie. Presque tous les cahiers de 1789 en demandaient la suppression et on avait été reconnaissant a la Constituante de l’avoir abolie en précisant, imprudemment, que désormais les troupes françaises ne seraient plus fournies que de volontaires. On mesure dés lors l’effet du decret du 20 février 1793 sur une population paysanne déjà désenchantée, fiévreuse, devenue hostile au législateur et à l’administration.
Le décret précise que de dix-huit à quarante ans, tous les Français non mariés ou veufs sans enfants, sont mis en réquisition permanente. Si le volontariat ne produit pas le nombre d’hommes fixés pour chaque commune, « les citoyens sont tenus de le compléter sans désemparer ». On ne prononçait pas les mots exécrés de conscription et de tirage au sort mais c’était tout comme. Les Deux-Sèvres doivent fournir 4 275 hommes (pour 275 000 habitants). la Vendée, 4 197 (pour 305 000). le Maine-et-Loire 6 202 (pour 465 000).
Quand la nouvelle se répand, à partir du 2 mars 1793, l’effervescence s’empare des paroisses. Eloigné des frontières la Vendéen, n’éprouve pas la crainte du péril extérieur et l’idée de quitter le sol natal pour aller au loin chercher la mort lui paraît insupportable.
Jusqu’alors, les contingents de la Vendée et des Deux-Sèvres étaient destinés aux armées des côtes. Ils se rassemblaient à La Rochelle et à Vannes. Il ne pouvait être question d’aller jusqu’aux frontières du Nord, de l’Est ou du Sud.
D’autres, plus véhéments, vont plus loin excités ça et là par des agents royalistes. C’est le régime qu’ils vilipendent, ce régime qui persécute leurs prêtres, qui bouleverse leurs habitudes, compromet des traditions ancestrales, qui ne leur apporte pas un grain de blé de plus, qui n’a pas allégé d’un sou leurs impôts et qui, par dessus le marché, vient les arracher à leur sol. Boutillier de Saint-André prête à certains ces propos subversifs : Il faut partir et aller verser notre sang aux frontières pour la défense d’un gouvernement qui nous est odieux et insupportable ! Nous préférons mourir pour notre religion et notre roi, sans sortir de nos foyers !
La levée en masse survient après des années de vexations diverses et de persécutions religieuses mais aussi après la mort du roi, qui, pour beaucoup de Français, demeure sacré, l’insurrection se greffe sur des mécontentements innombrables, et le sentiment, fondé, que le mouvement révolutionnaire n’a été profitable qu’à la bourgeoisie citadine, mal aimée des ruraux.
La levée en masse de 1793 est le détonateur qui précipite une explosion de fureur trop longtemps contenue. Les catholiques de l’Ouest refusent de se battre pour le pouvoir honni et préfèrent se rallier à la cause de la monarchie, protectrice traditionnelle de leur religion.
A partir du 4 mars, date des premières opérations de « tirement » (tirage au sort) en Maine-et-Loire, et suivant leur déroulement, l’Ouest s’embrase au cri de « Pas de conscription ! Rendez-nous nos prêtres ! S’il faut se battre et mourir, nous préférons que ce soit chez nous ! ». Ce sont, partout, les mêmes rassemblements d’hommes jeunes, menacés par la levée, venus au chef-lieu, soutenus par toute leur parentèle masculine, pour empêcher le recrutement. Partout les mêmes échauffourées entre forces de l’ordre et opposants. Il y a des morts, des deux côtés. L’irréparable se produit, interdisant tout retour en arrière. La guerre civile commence. L’apaisement définitif n’interviendra qu’un quart de siècle plus tard.
Des réfractaires justifient leur refus en ces termes :
« Oui, nous sommes libres et c’est pour cela que nous voulons rester chez nous. Que ceux qui ont commencé la guerre la fassent. Ils ont tué notre roi, ils ont chassé nos prêtres, ils ont vendu les biens de l’Église […]. Ils veulent à présent nos corps, ils ne les auront pas ! »
Des réfractaires justifient leur refus en ces termes :
« Oui, nous sommes libres et c’est pour cela que nous voulons rester chez nous. Que ceux qui ont commencé la guerre la fassent. Ils ont tué notre roi, ils ont chassé nos prêtres, ils ont vendu les biens de l’Église […]. Ils veulent à présent nos corps, ils ne les auront pas ! »