Il y a loin des aide-mémoire de jadis à ces quelque quarante mille cahiers de 1789,
dont la masse étonne encore aujourd’hui. Si leur lecture nous révèle la mise en place d’un nouveau réseau d’influences politiques, leur intérêt principal est de constituer comme le testament de l’ancienne France
Tout porte sur le Tiers-Etat
(Salmonville-la-Rivière, Baillage de Rouen)
Il se trouve à chaque instant surchargé par la création de nouveaux nobles… Lorsque quelqu’un se trouve anobli, la cote de la taille ainsi que les corvées retombent de plein droit sur le Tiers Etat (le peuple).
Plus il se trouve de roturiers anoblis, plus il arrive à ceux qui restent dans la roture de ces sortes d’héritage qu’on leur laisse avec plaisir mais qu’ils ne reçoivent pas sans peine.
A Draguignan
Ici le pauvre n’a pas le droit de faire du feu dans sa chaumière pour se garantir des impressions du froid, s’il ne l’achète chèrement au seigneur, par une contribution prise sur sa subsistance et celle de sa famille. Là le laboureur n’a pas même le droit de nourrir ses bestiaux de l’herbe qui croît dans son champ ; s’il y touche, il est dénoncé, puni par une amende qui le ruine.
A Rennes
Nous respectons les droits légitimes de Messieurs de la Noblesse ; mais n’y a-t-il point des droits illégitimes, des droits ridicules, des droits tyranniques ? Le franc-fief, le rachat : parce que l’un de nos parents meurt, il faut payer une somme ; parce que l’on s’est marié dans le cours de l’année, il faut rompre une perche de bois, sauter une rivière. Ces spectacles ridicules attirent beaucoup de spectateurs : ils occasionnent bien des ivrogneries.
A Paris
Les représentants demanderont expressément l’abolition de la servitude personnelle sans aucune indemnité ; de la servitude réelle en indemnisant les propriétaires ; de la milice forcée, de la violation de la foi publique dans les lettres confiées à la poste…
A Marsan
Que tout homme jouisse de la plus parfaite liberté de conscience, et qu’il ne puisse être ni troublé ni puni, à moins que sous prétexte de religion il ne trouble lui-même la paix ou la sécurité de l’Etat.
A Château-Thierry
Considérant que la France a été de tous temps l’asile des rois et la protection des nations opprimées, que l’esclave lui-même devient libre en respirant l’air de ces heureux climats et retrouve sa liberté, la nation réclame contre l’attentat que la traite et la servitude des Nègres portent à l’honneur français.
A Dourdan
Il faut solliciter une loi qui assure aux cultivateurs le fruit de la terre en faisant détruire la trop grande quantité de gibier que les seigneurs se plaisent à multiplier sur leurs terres.
Il faut solliciter une loi qui assure aux cultivateurs le fruit de la terre.
A Charronnes
Que les enrôlements forcés soient supprimés ; que l’ordonnance militaire qui exige des preuves de noblesse pour être officier soit supprimée.
Les vignerons de Soulangis, bailliage de Bourges, énumèrent leurs malheurs :
Quatre-vingt-douze feux composent toute notre paroisse qui n’a pas plus de deux lieues de circonférence ; sept cents personnes de tout sexe, de tout âge : voilà à peu près le nombre de ses habitants qui sont tous absolument attachés à la glèbe.
Situés à sept lieues de distance de la rivière, éloignés des grandes routes et de la ville de plus de trois lieues, ne pouvant avoir de communications que par des chemins impraticables, rien ne peut exciter leur industrie, ils ne peuvent former aucune entreprise lucrative ; il n’y a chez eux nul objet de commerce, nulle exportation, nulle importation.
Privées par la disette des fourrages des avantages que procure l’entretien des bestiaux, leur unique soin est de tirer le meilleur parti possible du sol qui les a vus naître. Et quel sol ! un terrain pierreux, stérile, incapable même de produire sans culture l’herbe la plus vaine. Seize laboureurs, s’il est permis de nommer ainsi huit ou neuf d’entre eux qui n’ont pour tout attelage que deux faibles chevaux, retournent toute l’année avec peine et arrosent de leur sueur une terre ingrate à laquelle ils ne peuvent même donner les engrais nécessaires et dont le produit annuel ordinaire est tout au plus du trois pour un.
C’est cependant sur ce faible et unique produit dont une partie doit encore nécessairement retourner à la terre que le cultivateur est obligé d’acquitter toutes ses redevances, de s’entretenir, de nourrir sa famille… Mais si la condition du laboureur est si douloureuse, si elle est capable d’exciter la sensibilité du souverain, qu’elle est bien plus pénible, plus affligeante encore, qu’elle mérite bien davantage les regards d’un roi qui veut absolument connaître la misère de son peuple pour y remédier, celle du manœuvre pour qui chaque jour de pluie est un jour de disette, qui, courbé vers la terre depuis le lever jusqu’au coucher du soleil, ne peut arracher de son sein que le morceau de pain noir qui le soutient jusqu’au lendemain où il est obligé de recommencer son pénible travail s’il veut obtenir le même salaire…