60 000 cahiers de doléances qui regorgent de plaintes…
Tout le royaume gémit. A Versailles, ils seront lus attentivement. Peut-être…
Rédaction des premiers cahiers de doléance dans les paroisses
A Montgermont, non loin de Rennes, paroisse comptant une centaine de feux, les habitants, tous paysans ou artisans, se plaignent de la corvée, des impôts auxquels ils sont les seuls assujetis, en particulier les fouages, la milice, le casernement, les francs fiefs, etc…
Ils demandent que tous les impôts soient partagés également, selon le revenu de chacun. Ils réclament aussi la suppression des rentes féodales et l’augmentation du revenu de leur curé, qui vit dans la misère.
Enfin, ils protestent contre le tirage au sort qui obligent leurs enfants à servir dans l’armée.
Pour le Tiers, ces cahiers généraux sont ceux du bailliage, ou de la sénéchaussée. Souvent rédigés par des juristes, ils sont, en principe, la synthèse des cahiers de la base. Mais on y cherche avec difficulté la voix de Jacques Bonhomme ! Et la bourgeoisie a, c’est clair, couvert les plaintes paysannes de ses propres griefs.
Le tri est, pour autant, très révélateur ! Et la comparaison, très éclairante, avec les cahiers des plus petites paroisses La convocation, par le curé, au cours de la messe dominicale, des habitants du village à une assemblée extraordinaire était, déjà, en soi un événement pour de nombreux Français.
Il y avait là, pour écouter et pour débattre, non seulement les électeurs, les hommes, âgés de 25 ans et plus, domiciliés dans la paroisse et inscrits sur le rôle des impositions, mais aussi les autres, et les femmes, qui, peut-être, ont parlé. Silencieuse, intimidée, l’assemblée se transforme vite ; parfois, quel beau vacarme, chacun voulant se faire entendre ! Ici, bien sûr, le curé a guidé le déroulement et dicté l’essentiel du cahier ! Là, c’est le petit noble, en qui l’on garde confiance, qui exprime les revendications des habitants, descendants, pour la plupart, des serfs et des ancêtres ! Ailleurs, c’est l’artisan, plus évolué, ou le fils d’un paysan devenu homme de loi qui tiennent la plume. Alors, le style change, et les formules fautives font place à des locutions plus empruntées, émaillées de latin ou d’anglais. Souvent le cahier se compose de deux parties distinctes. La première résume les revendications de l’ensemble du Tiers ; la seconde, plus longue, égrène la plainte naïve et touchante des misères quotidiennes.
C’est la tradition depuis les Etats généraux de 1484: les assemblées préliminaires qui envoient des délégués vers le niveau supérieur en cas de suffrage indirect et à plus forte raison les assemblées qui désignent les députés, rédigent des cahiers de doléances où s’expriment les plaintes des populations et les demandes de réformes. Ces cahiers sont des sortes d’aide-mémoire de ce que doivent réclamer les élus, qui ne sont guère alors que des porteurs de revendications.
Sans doute les cahiers de 1789 sont-ils à manier avec précaution. Il en est qui reproduisent plus ou moins un modèle, ce qui fausse partiellement la spontanéité des griefs et des propositions ; encore que tout retranchement ou tout ajout soit significatif d’un souci propre.
Dans les pays de la Loire on suit souvent les Instructions rédigées par Laclos à la demande du duc d’Orléans ; dans la région de Rouen un cahier sur quinze s’inspire du texte préparé par l’avocat et futur député Thouret. Cela situe et limite à la fois la part d’une propagande au niveau national ; mais on ne doit surtout pas conclure au stéréotype.
Il faut se méfier peut-être davantage de l’influence exercée par ces officiers seigneuriaux, ces curés ou ces greffiers qui participent à plusieurs assemblées de paroisse, contribuent à répandre certains thèmes et poussent à l’homogénéisation des cahiers. C’est ainsi qu’en Lorraine le texte composé par François de Neufchâteau a inspiré dix-huit autres rédacteurs. Il faut également prendre en compte le rôle joué par de fortes personnalités qui tantôt imposent leurs vues, tantôt s’opposent aux formulations qu’elles jugent triviales ou dangereuses.
Le cahier de village, qui désigne toujours le seigneur comme l’adversaire principal, dénonce aussi les méfaits de l’administration royale et révèle parfois l’hostilité des campagnes à l’égard des villes. Droits féodaux de toutes sortes, vexations seigneuriales à l’encontre des personnes, levées d’hommes pour la milice, dîmes, corvées, gabelle et autres impôts indirects, confiscation des revenus de l’église par le haut clergé et insuffisance des aumônes, concurrence des bourgeois pour l’acquisition des terres, telles sont les principales cibles de la colère paysanne.
Cela laisse deviner des aspirations bien différentes de celles des artisans des villes, qui défendent un système corporatif étroitement conçu, ou de celles des bourgeois, qui veulent sauvegarder avant tout le droit de propriété.
A l’intérieur du clergé, les curés se dressent contre les évêques et les ordres religieux, traitant d’abus criants la multiplicité des bénéfices et soulignant la modicité de la portion congrue. Au sein de la noblesse, les gentilshommes de province reprochent aux courtisans d’accaparer les hautes charges militaires, les grosses pensions et les faveurs de l’Etat, à tel point que ceux-ci se croient à tort hiérarchiquement supérieurs à ceux-là.