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Le relais de Varennes

1790 - 1791
Le roi gagne et perd

La fuite à Varennes n'est pas qu'un simple épisode rocambolesque de la Révolution française. En tentant de quitter clandestinement Paris, le roi tombait le masque : il n'avait jamais accepté les réformes mises en place depuis deux ans.
Ce faisant, il condamnait l'expérience de la monarchie contitutionnelle avant mêm qu'elle ait débuté.

Louis XVI est optimiste

fuite de Varennes
Le cocher Fersen les mena rondement à la barrière Saint-Martin. On perdit un quart d'heure à chercher la berline verte. La famille royale s'y installa. Fersen prit place sur le siège entre les gardes du corps. Son propre cocher conduisit en postillon, ce qui signifie qu'il enfourcha l'un des chevaux de tête. Précisons que la berline était si lourde qu'elle était attelée à six chevaux, ce qui n'était guère le moyen de passer inaperçu. Elle s'enfonça dans la nuit. Au relais de Bondy, on changea les chevaux. Fersen mit pied à terre, dit quelques mots à voix basse au roi et à la reine et, au moment où l'attelage démarrait, cria : « Au revoir, Madame de Korff », pour donner le change aux palefreniers. Il avait réussi la phase la plus délicate de l'évasion, qui était la sortie de la capitale.
Le roi est optimiste, ravi d'avoir quitté la ville de Paris, d'être enfin libre. Il se voit à cheval, caracolant devant le front des troupes fidèles, aux côtés de M. de Bouillé. Pour passer le temps, il lit sa proclamation aux Français. Son gros rire éclate, quand il pense à la surprise de Bailly et de La Fayette, à l'embarras de l'Assemblée. Il croit naïvement que l'annonce de son départ provoquera la consternation, une sorte de panique.
Quand nous aurons passé Châlons, dit-il pour rassurer la baronne de Korff et Mme Rochet, nous n'aurons plus rien à redouter.
C'est que l'on doit rencontrer à Pont-de-Somme-Verle le premier détachement de cavaliers prévu par le marquis de Bouillé, détachement commandé par le duc de Choiseul. Mais, une fois de plus, Louis apprécie mal la situation. A un relais de poste, on ne peut l'empêcher de descendre de la voiture, de bavarder, paternellement, avec les badauds et les mendiants.
L'idée ne lui vient pas que, parmi les curieux, il peut se trouver des espions. On repart sans se hâter. A vrai dire, les postillons se montrent peu disposés à fouetter les chevaux. Le soleil s'est levé. La journée s'annonce chaude. Dans la berline, on se restaure copieusement ; Fersen a placé lui-même les provisions : des pâtés, des poulets froids, des bouteilles d'eau et de champagne ; il connaît l'appétit de M. Durand ! Toutefois, au relais suivant, Mme Rochet demande un bouillon pour les deux enfants de la baronne de Korff. Le maitre de poste l'ayant reconnue ne veut pas d'argent. Elle lui fait cadeau d'une tasse d'argent, étrange initiative de la part d'une gouvernante ! Après Nintré, une partie de l'attelage s'abat et les traits se rompent. Un peu plus loin, l'accident fort suspect se reproduit. On arrive à Châlons avec une heure de retard. Un cavalier a rasé la berline, crié au passage :
Vos mesures sont mal prises, vous serez arrêtés...

La malchance du pauvre Louis XVI

Car le départ de la famille royale est un secret de polichinelle, ce dont M. Durand ne se doute pas. A chaque relais, lui et la reine ont été reconnus, au grand émoi des patriotes : pour eux ce voyage est une trahison ! On peut même se demander si la sortie de Paris n'a pas été tolérée, soit que certains responsables eussent estimé que le départ du roi était le seul moyen d'échapper à l'anarchie, soit au contraire une occasion décisive d'annuler son prestige. Malgré les précautions de Fersen, trop de gens étaient informés ; à Bruxelles, il n'était bruit que de la fuite de Louis. Autre point très obscur : le comportement du coiffeur Léonard, tête sans cervelle ou agent des factieux. A Pont-de-Somme, les soldats sont absents ; au relais suivant, qui est Orbeval, toujours rien. Les passagers de la beiline commencent à s'inquiéter. Pourquoi les dragons de Choiseul ne sont-ils pas au rendez-vous ? Louis XVI hésite, comme d'habitude ; son optimisme est retombé. La reine décide de pousser jusqu'à Sainte-Ménehould. Elle compte trouver les dragons de Damas et les hussards de Goguelat. A Sainte-Ménehould, il n'y a que M. d'Andouins, commandant des dragons. Ses hommes, fatigués d'attendre, se sont dispersés dans les cabarets. Goguelat et ses hussards se sont égarés ; ils ont néanmoins rencontré Léonard qui leur a déclaré, qu'il y avait contrordre. Pendant que l'on change les chevaux, Drouet, le maître de poste, observe ces étranges voyageurs. Il note que d'Andouins reste au garde à vous pendant son entretien avec M. Durand, attitude pour le moins bizarre. Lorsque la berline démarre, il recommande aux postillons de ménager les chevaux et demande quelle route on va prendre. L'un des gardes du corps répond :
— Route de Metz.
Réponse ambiguë, car cette route forme une fourchette à Clermont-en-Argonne ; l'une de ses branches conduit à Montmédy par Varennes ; l'autre à Metz par Verdun.
La voiture est à peine partie que les patriotes s'assemblent. Innocemment, Drouet demande si le gros bourgeois ne serait pas Louis XVI. D'Andouins fait sonner le boute-selle, mais ses dragons sont ivres et fraternisent avec la foule. On arrête un capitaine et un lieutenant. Drouet saute à cheval et, en compagnie d'un certain Guillaume La Hure, fonce vers Clermont. Il arrive trop tard. La berline est déjà partie. Elle est à nouveau sans escorte. Les hussards de Damas sont si peu sûrs que celui-ci préfère renoncer et se contente d'envoyer une estafette à Bouillé. Drouet rencontre alors ses postillons, qui ramènent leurs chevaux à Sainte-Ménehould. Ils ont entendu l'ordre donné au cocher de prendre la route de Varennes. Drouet s'apprêtait à prendre celle de Verdun.
C'est un mauvais coup du destin, la malchance poursuivant le pauvre Louis ! Drouet et Guillaume prennent des chemins de traverse. Ils arrivent à Varennes avant la berline. Désormais tout est perdu, à moins d'un miracle.

Ah! Sire vous ici !

C'est un patriote fort tiède, un homme sans histoire. Ayant vérifié les cachets et la signature du ministre, il est disposé à laisser les voyageurs continuer leur route. Mais Drouet intervient. Il déclare que, s'il s'agit du roi, il y a trahison à le laisser partir. Le tocsin sonne pour ameuter les patriotes ; sur l'ordre de qui ? Sauce trouve une solution : il offre l'hospitalité à la famille royale en attendant le jour. La baronne de Korff se concerte avec ses domestiques. Elle accepte. Il suffit d'attendre, pensent-ils, l'arrivée de Bouillé. On suit donc M. Sauce à son épicerie. Il met deux misérables pièces à la disposition des voyageurs. On couche les deux enfants, lesquels, recrus de fatigue, s'endorment aussitôt. Mme Rochet s'assied dans une chaise ; elle ne retire pas la voilette qui masque son visage. M. Durand se restaure de fromage et de pain ; l'émotion ne lui a pas coupé l'appétit. Des curieux entrent à l'épicerie, les observent. Soudain, un ancien juge reconnaît Louis XVI :
— Ah ! sire, vous ici !
Le roi ne sait pas feindre. Se voyant découvert, au lieu d'opposer des dénégations vigoureuses et de confondre cet imbécile de juge, il déclare :
Mes enfants, je suis bien votre roi. J'ai quitté Paris pour me soustraire aux insultes dont on m'accable injustement. Je ne veux pas sortir de France. Je veux aller à Montmédy pour surveiller de plus près les manoeuvres des étrangers. Si vous doutez de mes paroles, choisissez quelques personnes qui viendront avec nous.
Et, la larme à il embrasse le procureur-épicier et les municipaux qui se mettent eux-mêmes à pleurnicher. Mais les patriotes de Varennes, soutenus par Drouet et Guillaume La Hure, crient que le roi veut émigrer et revenir avec l'étranger pour massacrer les défenseurs de la patrie. Surviennent alors les hussards de Choiseul et de Goguelat. Ils se sont concertés avec le commandant des canonniers de Varennes. Six hommes décidés suffisent pour forcer cette foule et enlever le roi. Mais il faut agir avant que la garde nationale ne soit rassemblée. Choiseul demande au roi ce qu'il doit faire. Dehors, les patriotes sont de plus en plus menaçants. Louis XVI est imperturbable ; il demande calmement à Choiseul :
Pouvez-vous me promettre que, si nous partons ainsi, aucune balle n'atteindra ma femme ou mes enfants ? Choiseul ne peut évidemment faire cette promesse.
— Alors, reprend le roi, je ne puis accepter.

Le relais de Varennes

Le relais de Varenne
Varennes! Le relais doit se trouver hors des murs, avant la ville basse. Rien! Pas d'officiers non plus. Pourquoi? (Les voyageurs ne peuvent savoir que, là aussi, Léonard a tout brouillé; on a compris que le carrosse ne passerait pas.) Enquête infructueuse aux maisons voisines : des gens endormis, grognons, probablement hostiles s'ils savaient qui sont ces noctambules.
Tout de même, il est impossible que les troupes de la Bouillé ne soient pas toutes proches. Encore un effort et on sera en sûreté. Mais, malgré le pourboire promis, les postillons refusent de doubler la poste; leurs chevaux sont trop fatigués. Tout ce qu'obtiennent les voyageurs est d'aller jusqu'à l'auberge en attendant que l'attelage soit reposé.
Mais, arrivés dans la ville haute, au moment de franchir la petite rivière appelée l'Aire, ils trouvent le pont barré par un chariot mis en travers. Des visages inquisiteurs s'encadrent dans les portières. On réclame les passeports. Seule de tous les occupants de la berline, la reine essaie de lutter contre le destin. D'une voix autoritaire, oubliant qu'elle est la servante de Mme de Korff, elle ordonne qu'on se hâte : les voyageurs sont pressés. Mais les gardiens de la barricade ont des ordres; il faut aller chez le procureur de la commune. A ce moment, un officier s'approche de la voiture :
— Il y a un gué, dit-il à voix basse, je puis tenter de vous faire passer.
— Non, répond le roi en désignant du regard la foule qui se rassemble, mais allez au plus vite avertir M. de Bouillé.
Au Grand Monarque ! Telle est l'enseigne de l'auberge où, par une ironie vraiment théâtrale, on va conduire les fugitifs, comme une famille de bohémiens. C'est là que les attend le procureur de la commune, M. Sauce.
bas
Pour rallier Montmédy, le convoi avait le choix entre un itinéraire septentrional, passant par Reims, Rethel et Stenay (mais Louis XVI a refusé semble-t-il de passer par Reims, la ville du sacre), et un trajet plus au sud, via Châlons, Sainte-Ménehould et Clermont-en- Argonne.
De là, il aurait fallu traverser Verdun ; mais le roi, sans doute à tort, a craint les opinions « avancées » de cette ville. C’est pourquoi il a demandé à bifurquer par Varennes, village sans relais de poste, hélas pour lui.
Ayant finalement contrôlé cet
itinéraire, le baron de Goguelat aurait dû prévenir le souverain que le passage de la ville
haute à la ville basse pouvait se muer en piège…