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La fête de la Fédération

1790 - 1791
Le roi gagne et perd

Pendant l'été de 1789, les patriotes s'étaient unis de villages en villages . Ces groupements prirent le nom de fédérations. En 1790, la Constituante décida d'instituer à Paris une fédération nationale pour laquelle une fête solennelle fut organisée au Champ de Mars. Des milliers de fédérés arrivèrent des provinces pour la cérémonie. Elle fut un témoignage vibrant d'unité nationale, la plus belle fête de la Révolution.

Le grand remue-ménage

preparation de la fête de la fédération le 14 juillet 1790
Serait-ce forcer le trait que de dire que la vraie fête s'est déroulée avant la cérémonie officielle ? On serait porté à le croire, à feuilleter l'abondant dossier iconographique, qui met l'accent sur ces journées fiévreuses du mois de juillet, consacrées à l'aménagement du Champ de Mars où devait prendre place la cérémonie. Les choses se présentaient mal : reflet de cette acceptation à regret peut-être, l'impulsion officielle était pour le moins désordonnée : des projets concurrents sont proposés, le parti adopté, un vaste espace entouré de gradins destinés à accueillir le public, suppose d'énormes terrassements. S'opère alors cette mobilisation parisienne, vantée et encouragée par la presse, illustrée par l'image.
Par le temps incertain d'un mois de juillet pluvieux, on s'en vient au Champ de Mars, piocher, rouler la brouette, tirer et pousser les charrois de terre. L'accent est mis sur l'unanimité : qu'il s'agisse des gouaches de Lesueur, des aquatintes de Janinet ou d'autres estampes plus anonymes ; on y retrouve l'homme du peuple : ainsi le cordonnier avec son tablier de travail, le bourgeois en redingote, gardant son quant à soi, la coquette au chapeau empanaché, démesuré comme c'est la mode en cette saison, voisinant avec la femme du peuple porteuse déjà du bonnet phrygien. Les religieux se sont mobilisés en masse : place au capucin qui retrousse son froc ; les abbés font acte de présence, mais fragiles se protègent du soleil qui tape fort entre les ondées par un parasol.
Le Champ de Mars a des aspects de foire joyeuse, de campement avec des tentes pour s'abriter, de chantier aussi, de fête où l'on chante pour se donner du courage : Allons z'amis au Champ de Mars, mais aussi le Ça ira qui se voit intronisé à cette occasion comme l'un des refrains d'une révolution à la fois euphorique et batailleuse.
Chemin faisant, le chantier avance : le 9 juillet le roi lui-même a voulu donner l'exemple en contribuant par un coup de pioche symbolique. Le paysage prend figure : au fond, côté Invalides, une vaste tribune officielle, dont les mâts porteront les oriflammes des 83 départements.
A l'entrée côté Seine : un imposant arc de triomphe par où pénétreront les cortèges officiels, et surtout les corps de troupe : gardes nationaux et soldats de ligne.

Tous au travail

préparation fête de la fédération en juillet 1790
Ces participants attendus arrivent à Paris, logés par la municipalité chez les particuliers. Pour beaucoup, qui en feront confidence dans leurs mémoires, c'est la première, l'unique, montée à la capitale. Certains ont pris le coche d'eau, venant du Lyonnais ou de la Bourgogne ; d'autres ont loué une potache ; d'autres encore, plus spartiates, sont venus à pied, comme les Bretons, que les joies d'étapes arrosées dédommagent des fatigues du chemin. On profite de Paris : les gens sérieux ont leur programme touristique, ils pousseront jusqu'à Ermenonville pour visiter le tombeau de Jean-Jacques Rousseau ; pour les autres, des livrets sont prêts qui détaillent les bons endroits, voire les appâts de nymphes qui les attendent au Palais Royal.

En 1790, la Constituante avait encore le vent en poupe. Elle voulut que cette première commémoration du 14 juillet fût la fête de la réconciliation et de l'unité de tous les Français. On décida qu'elle aurait lieu au Champ-de-Mars, aménagé pour la circonstance. Dès le 1" juillet, douze cents ouvriers commencèrent les travaux de terrassement. Ils étaient nourris, mais mal payés et, quand on leur reprochait leur lenteur, ils menaçaient d'abandonner le chantier. Il s'agissait de transformer le Champ-de-Mars en un vaste cirque, d'une capacité de 100 000 spectateurs, au centre duquel s'élèverait l'autel de la patrie. On fit appel à la bonne volonté des Parisiens. Ils répondirent en masse. Le roi vint de Saint-Cloud donner son coup de pioche. La Fayette, en manches de chemise, travailla comme un tâcheron. Bientôt, ce fut une fourmilière humaine, où les tape-dur du faubourg Saint-Antoine côtoyaient les nobles tirés à quatre épingles, où les moines coudoyaient les bourgeois, où les courtisanes donnaient la main aux dames des beaux quartiers. Les charbonniers, les bouchers, les imprimeurs, vinrent avec leurs bannières enguirlandées de tricolore. On chantait gaiement, le Ça ira et autres couplets patriotiques. Les musiques militaires jouaient leurs marches respectives. Les soldats se mêlaient aux gardes nationaux, et cette bigarrure d'uniformes ajoutait à la confusion.
Ce chantier tenait de la kermesse, mais chacun travaillait de son mieux, qui poussant une brouette, qui s'attelant à une charrette, qui pelletant ou remuant des pierres. A l'intention des élégantes, les modistes avaient imaginé de ravissants bonnets de police. On fraternisait ! On se mettait en quatre pour héberger les fédérés venus de province : ils étaient au moins 50 000, non tous fortunés. Les « commerçantes de Cythère » étaient invitées à modérer leurs/ tarifs/ à l'intention de ces jeunes gens.

Risible ou tragique

Spectacle risible ou tragique, en effet, comme l'on voudra : l'assistance croit contempler la naissance d'une monarchie libérale et c'est le glas d'une royauté expirante.
La messe dite, La Fayette, le cher La Fayette, commandant la garde nationale, s'est dirigé vers l'estrade, a pris des mains du roi la formule écrite du serment que tout le monde prononcera.
Après que Louis XVI, le premier, l'a prêté d'une voix forte, 600 000 voix l'ont répété après lui. Un Te Deum a été aussitôt entonné et tout le monde s'est dispersé au milieu des acclamations, des vivats et des embrassades générales.
Jusqu'au bout la pluie a persisté, tous sont trempés, mais ce ne sont partout que chants et cris de joie : la fraternité universelle a été proclamée. Alors, tandis que les voitures de la cour regagnent les Tuileries, on a organisé une immense farandole en chantant à tue-tête la chanson nouvelle :
Ah! ça ira, ça ira, ça ira!
En dépit des aristocrates et de la pluie. Nous nous mouillons, mais ça finira.
La soirée ayant été belle, on a pu voir les illuminations, qui sont magnifiques. Aux Champs-Élysées, sur la place de la Révolution, on s'écrase, mais la même urbanité qui a duré toute la cérémonie subsiste toujours. Personne ne pressait sa marche, dit Thiébault, personne ne se coudoyait, c'était à qui ferait place à ceux que l'on croisait. Au son de nombreux orchestres, on se promenait avec délices, chacun cherchant à procurer aux autres le charme qu'il goûtait. Ces égards, ces politesses étaient poussés au point qu'on était toujours prêt à se saluer et à se sourire; si même cette recherche fut poussée à l'excès, ce fut par les gens de la dernière classe.
Aux Champs-Élysées, on avait organisé un bal, ainsi qu'à la Bastille, où l'on avait édifié une immense salle sur l'emplacement même de la prison. Et, pendant trois jours et trois nuits, l'on dansa ici et là, dans tous les quartiers de la capitale.
De temps en temps, les danses cessaient et un immense cri de « Vive la nation! » se faisait entendre. La ville était secouée tout entière d'une indescriptible allégresse. Ce fut la première et certainement la plus belle fête que la Révolution ait organisée.

Les 100 000 fédérés du champs de Mars

fête de la fédération le 14 juillet 1790
La cohorte des 100 000 fédérés de province s'est mise en route, à sept heures, sur l'emplacement de la Bastille et traverse Paris sous un déluge. A dix heures, la tête de ce cortège atteint l'arc de triomphe dressé à l'entrée du Champ-de-Mars.
Le long de la façade de l'école militaire, une estrade a été improvisée. Au centre s'élève le trône du roi en velours semé de fleurs de lis d'or, et, un peu en arrière, un fauteuil de soie bleue également semé de fleurs de lis, qui est réservé au président de l'Assemblée, Au-dessus du trône sont des loges destinées à recevoir la reine, le dauphin, la famille royale et leur suite.
Au milieu du Champ-de-Mars se dresse l'autel de la Patrie auquel conduisent, de quatre côtés, d'immenses escaliers.
A dix heure, une salve de coups de canon annonce l'Assemblée nationale : le président, les députés sur quatre rangs s'avancent devant une multitude invraisemblable qui applaudit frénétiquement, cortège suivi des 100000 fédérés de province.
Hélas! tout le monde est trempé par la pluie persistante, mais la gaieté est sur tous les visages et c'est d'un pas allègre que chacun gagne la place qui lui a été assignée après avoir défilé devant l'autel de la Patrie. Le Champ-de-Mars est noir de monde ; au dessus de cet océan de têtes flottent au vent les insignes et les drapeaux . Le spectacle est grandiose.
Mais un frémissement a couru dans l'assistance : on signale le cortège des voitures royales et l'on voit apparaître Louis XVI et Marie-Antoinette. Vive le roi ! crie-t-on d'un seul cœur.
Aussitôt que Leurs Majestés ont pris place commence la messe célébrée par Mgr l'évêque d'Autun, Talleyrand, assisté par l'abbé Louis, le futur ministre des Finances de Louis XVIII. Personnages extraordinaires l'un et l'autre, bien étonnés de se trouver là :
Tâchons de nous regarder sans rire, a murmuré Talleyrand.
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