Vers trois heures, deux manouvriers agiles parvenaient, à partir du toit d'un parfumeur, à forcer les portes de ce qu'on appelait l'Avancée, un agglomérat de petites maisons et de boutiques, qui montaient jusqu'à la muraille. Le premier pont-levis s'abattit et les plus audacieux, à coups de hache, parvinrent à enfoncer les portes qui donnaient accès à la cour extérieure. C'était sans réelle importance puisqu'il fallait un tout autre effort pour passer de cette cour dans les autres, où les soldats s'étaient repliés. Les émeutiers, qui ne comprenaient pas ce qui se passait puisque l'Avancée n'était pas visible depuis le faubourg, crurent que de Launay avait ordonné l'ouverture des portes. Une bousculade les porta dans cette cour extérieure, devenue un cul-de-sac pour eux. Pas un coup de feu n'avait été tiré jusque-là. Mais, sur les ordres du commandant des Suisses sans doute, une décharge faucha quatre-vingt-dix-huit insurgés sur le pavé de la cour. Le peuple reflua en emmenant les blessés et en criant trahison! croyant que le gouverneur les avait laissés entrer pour mieux les fusiller.
La capitulation de la Bastille
Pendant une heure encore, la foule déchaînée tira des coups de feu isolés, sans faire de mal aux grosses tours muettes; ce fut alors qu'arrivèrent un groupe de Gardes-Françaises « déserteurs », comandés par les sous-lieutenants Hulin et Élie, qui traînaient six canons, emportés de leur caserne. Ils n'eurent pas le temps d'en faire usage : les invalides, qui n'avaient pas admis la décharge des Suisses, déclarèrent qu'ils allaient se rendre. Ils empêchèrent aussi Launay de mettre le feu aux poudres, au risque de faire sauter non seulement la forteresse, mais tout le quartier. Hulin et Élie, désignés sans le vouloir à la tête de l'insurrection, virent apparaître un papier par une ouverture près du second pont-levis : de Launay annonçait sa capitulation, à condition qu'on laissât la vie sauve à la garnison.
Le gouverneur De Launay massacré
La foule envahit alors prudemment la forteresse. Les Gardes-Françaises firent ce qu'ils purent pour tenir leur engagement et protéger le gouverneur qu'ils conduisirent à l'Hôtel de Ville; mais les parents et les amis des victimes ne l'entendirent pas de cette oreille : de Launay allait être massacré, avec quelques-uns de ses hommes. A l'Hôtel de Ville, le cri de trahison! continuait à se répandre. Le prévôt des marchands, Flesselles, englobé dans la haine générale, fut assassiné d'un coup de pistolet sur le seuil de l'Hôtel. Besenval, épouvanté par les nouvelles, commanda la retraite générale des troupes et abandonna le Champ-de-Mars. Le Roi, informé dans la nuit, comprit un peu plus tard qu'il ne lui restait plus qu'à venir à Paris pour essayer de renouer avec sa capitale. Dans les jours qui suivirent, on commença la démolition de la Bastille. Le petit millier d'assaillants de la forteresse se groupèrent en une association, « Les Vainqueurs de la Bastille ».
C'EST UNE REVOLTE?
- NON, SIRE,
C'EST UNE REVOLUTION
Tel est l'appel à la lucidité que le grand maître de la garde robe
adresse à un Louis XVI qui minimise les événements
de la veille, un certain 14 juillet.
Le réveil sera brutal.