Une atmosphère de terreur
Les crimes sexuels [viols, mais
aussi prostitution forcée, avec des enlèvements pour servir dans les
cantonnements japonais] constituent
l'un des aspects les plus caractéristiques
du sac de Nankin. Ils entrent
pour beaucoup dans l'atmosphère
de terreur subie deux mois durant
par la population. Toute sa moitié
féminine est visée, à commencer par
les jeunes femmes nubiles.
Les victimes
potentielles tentent de se
préserver en se réunissant par grands
groupes, sous la protection du Comité
international formé d'Occidentaux
résidant à Nankin et reconnu comme
interlocuteur par l'occupant, et en
cherchant à prendre une apparence
repoussante. Accomplis le plus
souvent en réunion et devant les
proches, ces viols s'accompagnent
parfois d'actes de barbarie. C'est en
principe pour limiter ces forfaits que
l'état-major met en place, à Nankin
puis dans l'ensemble des territoires
occupés, un vaste système de prostitution
aux armées (les femmes
dites de réconfort), lui-même cause
de grandes souffrances.
Les Occidentaux ne purent empêcher les crimes sexuels d'être d'une intensité probablement sans beaucoup d'équivalents : le prudent Bates estima les attentats à un minimum de 8000, mais ses collègues évoquent généralement le chiffre de 20 000. Si l'on estime à une cinquantaine de milliers au maximum les femmes des groupes d'âge les plus susceptibles d'être agressés, et même en tenant compte que beaucoup le furent à plusieurs reprises, cela signifie qu'une proportion considérable (vraisemblablement entre 10 % et 30 %) des jeunes femmes présentes à Nankin furent violées, en un assez court laps de temps. Certains jours (ou, plus précisément, certaines nuits) de décembre, les occidentaux dénombrèrent plus d'un millier d'agressions.
Peu de femmes pouvaient se sentir à l'abri : dans la seule université, la plus jeune victime avait neuf ans, la plus âgée soixante-seize. Les circonstances aggravaient l'atteinte subie par les victimes : les soldats opéraient généralement en petits groupes, et les viols furent donc le plus souvent collectifs ; ils se déroulèrent fréquemment devant d'autres réfugiées ou devant les familles terrifiées, mais très souvent les femmes étaient enlevées, vers les maisons et campements où les Japonais s'étaient établis, et relâchées le matin suivant (parfois avec un petit cadeau...), plus rarement plusieurs jours ou semaines après.
Dans ces cas, elles pouvaient servir de domestiques le jour, d'esclaves sexuelles la nuit. Les violences étaient de règle en cas de résistance, et l'assassinat ne fut pas rare, même si en aucun cas il ne fut systématique. Un cas d'accumulation d'horreurs, sans doute plus extrême que typique, est relaté par Magee le 11 janvier (donc près d'un mois après l'entrée des troupes nippones) :
« Hier à l'hôpital j'ai vu une femme qui avait été poignardée à plusieurs endroits, et dont la tête était presque tranchée. Elle avait été emmenée de l'université de Nankin avec quatre autres femmes par des Japonais qui disaient avoir besoin de quelques femmes pour faire du blanchissage et les servir. Suivant le récit de cette femme, la plus jeune et la plus jolie d'entre elles avait été violée environ quarante fois par nuit, après avoir lavé des vêtements pendant la journée. Elle-même et les autres avaient travaillé le jour, puis étaient violées dix ou vingt fois par nuit. Un jour deux soldats lui dirent de les suivre, ils l'entraînèrent vers une maison déserte et, là, tentèrent de lui couper la tête. Elle a une entaille au cou parfaitement horrible, et le miracle est qu'elle soit en vie. Heureusement aucune partie vitale n'a été atteinte. Elle dit que certains des hommes étaient des officiers.»
Dans d'assez nombreux cas, les femmes furent ensuite incitées ou forcées à se prostituer : on pouvait venir les chercher chaque soir. Ainsi, se souvient le soldat Tadokoro Kozo, de la 114e division :
« Les femmes étaient assurément les premières victimes... Nous choisissions un endroit au soleil, par exemple aux abords d'un hangar, et nous fabriquions un écran en suspendant des branches garnies de feuilles. Nous obtenions un ticket appelé sekken [ticket rouge], estampillé par le commandant de la compagnie, et nous attendions notre tour, le pagne défait. »
Aussi sinistre que cela soit, cela conférait aux femmes une sorte de valeur marchande, et les protégeait (relativement) du meurtre.