Sur quatre fantassins qui montent en ligne...un est tué, deux sont blessés, un est indemne. Telles sont les chances et les risques du combattant de Verdun.
Ceux qui survivent, accueillent comme une véritable délivrance l’annonce de la relève. Mais il faudra traverser
nombre de barrages meurtriers avant de gagner la zone de sécurité où l’on pourra dormir, manger, reposer et… oublier.
Je n’ai rien vu de plus poignant que le défilé des deux régiments de la brigade
qui s’écoulèrent sur cette route, devant moi, tout
le long du jour.
Ce furent d’abord des squelettes de compagnies
que conduisait parfois un officier rescapé, s’appuyant sur une canne ;
tous marchaient ou plutôt avançaient à petit pas,
les genoux en avant, ployés sur eux-mêmes et
zigzaguant comme pris de boisson.
Puis vinrent des groupes qui étaient peut-être des
escouades peut-être des sections, on ne savait pas ;
ils allaient, la tête penchée, le regard morne, accablés
sous leur barda, tenant à la bretelle leur fusil rouge et
terreux. C’est à peine si la couleur des visages différait
de la couleur des capotes. La boue avait tout recouvert, avait séché, et d’autre boue avait à nouveau tout
souillé. Les vêtements comme la peau en étaient
incrusté.
Des autos se précipitaient en grondant par colonnes serrées, éparpillant ce flot lamentable des survivants de la grande
hécatombe.
Mais eux ne disaient rien, ne geignaient plus. Ils avaient perdu jusqu’à la force de se plaindre. On voyait
dans les regards un abîme inouï de douleur, quand ces forçats de la guerre levaient la tête vers les toits du village.
Et dans ce mouvement, leurs traits apparaissaient figés dans la poussière et tendus par la souffrance ; il semblait que
ces visages muets criaient quelque chose d’effrayant : l’horreur incroyable de leur martyre.
Des territoriaux, qui regardaient à côté de moi, restaient pensifs. Deux de ces territoriaux pleuraient en silence comme
des femmes.
Il en passa d’autres, et d’autres encore. On les voyait surgir par intervalles au tournant de la route. Ils se ressemblaient
tous, marqués pars la souffrance, cette souffrance infinie que je ne pourrai jamais exprimer avec nos misérables mots.
Il faut l’avoir ressentie comme nous pour en connaître l’étendue.