Les gazs
La crainte permanente

Verdun, 300 jours en enfer

En deux mois y eut 14 000 gazés devant verdun (août et septembre).
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Dans la nuit du 20 août, nous sommes relevés du bois d'Avocourt par des troupes fraîches; le bombardement redouble de violence, tout le secteur est couvert d'un brouillard épais de gaz; celui-ci s'accumule surtout dans les boyaux et ravins que nous devons suivre.
Le masque trop saturé est impuissant à nous protéger complètement ; nos poitrines sont ravagées. Oppressés, nous nous dirigeons dans le boyau, à tâtons, sans voir, chacun tenant un bout de capote du camarade qui le précède.
Beaucoup tombent, épuisés, et ceux qui suivent comme des aveugles passent sur leurs corps. Les plus vaillants relèvent ces malheureux et les soutiennent de leur mieux pour les sortir de cet enfer.
A deux reprises, dans le ravin de la Noue, où se termine le boyau, je dois, pour diriger mon peloton, enlever mon masque dont les lunettes sont couvertes de buée. Retenant ma respiration, je cherche à voir et retrouve enfin le prolongement du boyau, mais je suis pris de violentes nausées et ma poitrine est en feu.
Je remets vite le masque et marche pendant quelques instants, soutenu par le chasseur Leduc, bientôt lui-méme si gravement intoxiqué qu'il tombe et me supplie de le laisser mourir sur place. Je le relève et le soutiens à mon tour, et aussitôt sorti de ce maudit ravin, je laisse le boyau et donne l'ordre de marcher sur la plaine. Nous sommes en terrain découvert, mais qu'importe, si nous respirons mieux ?
Tout l'effectif du bataillon est gazé ; les plus atteints sont évacués, certains sont devenus aveugles ; d'autres, qui sont tombés sur la terre infectée, ont de graves brûlures sur les parties les plus intimes du corps.
Témoignage
Le supplice du gaz

A verdun, tout est bouleversé, haché, broyé.

poilus pendant la bataille de Verdun
Si la montée en ligne se fait toujours en ordre et suivant un plan établi, parfois sous la conduite de guides, la descente est libre et laissée à l'appréciation de chacun. Elle se fait aussi rapidement que le permettent les fatigues accumulées par plusieurs jours de ligne. Par petits groupes on suit autant que possible les défilements, les ravins, qui constituent des abris relatifs contre les tirs de harcèlement de l'artillerie et les tirs indirects des mitrailleuses qui balaient les pentes, mais il faut savoir éviter les fonds où souvent viennent s'accumuler les gaz... Le cas échéant on se protège avec le masque qui ne nous quitte pas, mais il en est d'inodores qui ne sont décelés que lorsque le mal est fait.
Dans la hâte que nous avons de sortir de la zone dangereuse il faut se garder de toute précipitation irréfléchie, et chaque fois se faire un itinéraire de circonstance pour éviter les convois de ravitaillement ou les colonnes montantes qu'il ne faut en aucun cas retarder, également se tenir à l'écart des batteries d'artillerie si généreusement bombardées dès qu'elles sont repérées, ou du passage des caissons d'artillerie qui circulent fréquemment au grand trot.
Les liaisons sont une de nos plus grandes préoccupations. Le téléphone qui devrait rayonner partout est dans un état lamentable malgré les prodiges d'ingéniosité et de dévouement des équipes spécialisées qu'à tout moment on voit intervenir pour une réparation, un raccordement, la pose d'une nouvelle ligne. Mais l'artillerie cause de tels ravages que toute communication devient impossible quand la bataille fait rage. Tout est bouleversé, haché, broyé. Il a fallu recourir à d'autres moyens de transmission plus ou moins heureux.
La signalisation optique est ici très contrariée par le vallonnement du terrain et de fréquents brouillards.
Les chiens de liaisons ont vite déçu et on a dû y renoncer.
Les pigeons sont rares et réservés à des missions spéciales.

Le règne du coureur à Verdun

Les fantassins livrés à leurs propres ressources ne disposent que de deux moyens de liaison :
Pour correspondre avec l'artillerie les fusées dont la couleur signifie : déclenchez, allongez ou raccourcissez le tir.
Pour correspondre avec les unités voisines ou les divers échelons d'infanterie des secondes lignes, l'agent de liaison, qui, à Verdun, est devenu le « coureur. »
Ce mot exprime bien ce qu'on attend de lui : courir. Courir pour toucher au plus vite le destinataire du message toujours urgent dont il est chargé, mais aussi pour sa sauvegarde personnelle, car ici le grand danger est de se déplacer et il faut réduire au maximum la durée de sa sortie qui le plus souvent a lieu dans un moment de grande agitation.
C'est une véritable mission de sacrifice que la sienne. Généralement il est suivi à distance par un camarade destiné à le remplacer s'il a un accident en cours de route, ce qui est fréquent. La proportion des morts est effrayante.
Cet homme qui est généralement un sous-officier fonce aussi vite que le lui permettent ses qualités physiques, se faisant le plus petit et le moins vulnérable possible, le buste penché en avant, la tête rentrée dans les épaules, l'oreille attentive au sifflement des obus pour éviter celui qui pourrait l'atteindre et se plaquer au sol à l'instant voulu, l'oeil observateur non seulement pour se guider et fixer son chemin au milieu des obstacles et des débris de toutes sortes qui jonchent un terrain sans piste régulière, mais également pour assurer son retour. Il lui faut en effet prendre des repères : une souche d'arbre, les restes d'un caisson d'artillerie ou d'un véhicule sanitaire, voire le cadavre d'un malheureux soldat qui n'a pu encore être relevé. Mais il arrive qu'au retour on ne retrouve pas le repère qu'un bombardement a déplacé ou fait disparaître.
Lorsque sa mission l'amène à suivre de trop près la première ligne, le coureur n'emporte pas de message, dans la crainte qu'une erreur de parcours ne le conduise chez les Allemands. Il l'apprend par coeur et doit redoubler d'attention.