Des lettres contre l'ennui

Le repos du Poilu

Plus de 4 millions de lettres sont envoyées chaque jour en France (le courrier est alors gratuit). Pour garder le moral et donner des nouvelles, les soldats écrivent beaucoup à leur famille.
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La censure, tu le sais, est impitoyable ici et certains pauvres poilus l'ont appris à leurs dépens qu'ils ne devaient pas avoir la langue trop longue, ni même recevoir des lettres sur lesquelles les parents ont souvent aussi la langue un peu longue... Sois donc prudente, ma chérie, et si tu veux que je reçoive toutes tes lettres, ne me parles pas de la guerre. Contente-toi de parler de notre grand amour, cela vaut beaucoup plus que tout.
Ils ont écrit
Témoignage d'un poilu du 3 décembre 1917

Un trait d'union entre les couples

Des chiffres à donner le tournis. Des quantités comme il n’y en aura jamais plus. Durant les quatre années de
guerre, chaque combattant aura écrit ou reçu 1 000 lettres environ. Chaque jour, ce sont entre 1 et 5 millions d’enveloppes qui transitent de part et d’autres du pays. Un total de 10 milliards de missives sera échangé pendant le conflit, qu’il faut acheminer vers leurs impatients destinataires. Du jamaisvu. Des lettres ou des cartes postales sur lesquelles une écriture fébrile évoque les petites choses du quotidien et les sentiments les plus profonds. Des mots qui avaient tant de mal à être dits avant, cette sorte de mots qui se
murmurent la nuit à l’oreille la tête posée au creux d’une épaule. Avant le feu et le sang. Avant que la peur lancinante et le danger encouru ne s’emparent des esprits. Avant la mort, omniprésente, imminente.

En août 1914, les courriers d’adieux ne traduisent pas encore l’angoisse de la séparation. Elle ne doit pas
durer, cette guerre. Les hommes rentreront vite, au plus tard à Noël. Les femmes encouragent leurs hommes. Les hommes rassurent leurs femmes. Et puis aux jours ont succédé les semaines, puis les mois et enfin les années. Ce sont ces mots couchés sur le papier qui ont permis de tenir, ce sont ces lettres parfumées, parfois accompagnées de fleurs séchées, qui ont pansé les plaies, ces enveloppes à décacheter qui ont comblé les solitudes. 5 millions de couples mariés font l’expérience douloureuse de l’amour à distance pendant
cette période. Sans compter les fiancés, les concubins, les amants… Combien sont-ils de coeurs qui saignent ? Le bonheur de naguère est remplacé par « le pacte épistolaire » : « Je t’écris donc je t’aime. »
Tout le monde correspond ou presque. Ces échanges ne sont plus réservés à la bourgeoisie, ils se popularisent, se démocratisent. Il n’y a guère que les ouvriers qui osent à peine traduire leurs sentiments par écrit, peu confiants dans leur usage du français. Certains dessinent, d’autres griffonnent comme ils peuvent. Quoi de mieux pour tromper l’attente que ces lignes de l’être l’aimé ? Comme une suspension par delà la sauvagerie et les bombes.

La poste pendant la guerre

la poste pendant la guerre de 14-18
Durant les premiers mois de guerre en France, le courrier prend une place importante dans le quotidien de toute la nation. Le gouvernement et le Grand Quartier Général (GQG) des armées l'ont bien compris. La franchise postale pour la correspondance des soldats et de leurs familles est décrétée dès le 3 août 1914 et des cartes pré-imprimées de correspondance sont gratuitement remises aux soldats mobilisés. Le service de la trésorerie et poste aux armées est créé, afin d'organiser l'acheminement des courriers et de garder le secret sur la localisation des régiments.
Centralisés dans des dépôts militaires des corps d'armée, interface entre la poste civile et la poste militaire, les courriers des familles sont triés selon leur numéro « trésor et postes » correspondant aux régiments. Malgré ces initiatives, les centres de tri prennent du retard, d'une semaine à un mois, engorgés par la masse de lettres et de paquets; en octobre 1914, près de 600 000 lettres et 40 000 paquets sont ainsi difficilement acheminés vers le front chaque jour. Ces désagréments sont par ailleurs accentués par la mise en place du « retard systématique » imposé par la censure, retard de trois jours ferme pour le courrier venant du front afin de garantir le secret des plans d'offensives.
En avril 1915, ce sont plus de 4 500 000 lettres ordinaires, 320 000 paquets-poste, 70 000 journaux et 11 000 mandats-cartes et mandats télégraphiques qui arrivent chaque jour sur le front. Quant aux poilus, ils expédient plus de 5 000 000 de correspondances à l'arrière. En moyenne, les hommes envoient ou reçoivent une lettre par jour. Les délais d'acheminement deviennent raisonnables, de trois à quatre jours pour une lettre entre Marseille et la zone du front. Dans un même temps, la télégraphie militaire permet les communications entre les régiments, comme le service des pigeons voyageurs en particulier lors de la bataille de Verdun. Mais en 1916 et en 1917, les grandes offensives meurtrières, la fatigue du poilu et les rumeurs sans lendemain entrainent le renforcement de la censure postale, lecture aléatoire des courriers et contrôle du moral des soldats mais aussi des populations. On « caviarde » les courriers ; les mots ou les expressions indésirables sont masqués à l'encre noire, grattés ou découpés.
À l'arrière, la situation des Postes et des Télégraphes est délicate, le manque de matériel roulant — bicyclettes et véhicules à moteur — entraîne des réquisitions. Le départ de la plupart des hommes en âge de travailler a littéralement vidé certains secteurs économiques vitaux de la vie quotidienne. Les administrations postales ne sont pas épargnées, plus de 15 000 agents et sous-agents ont été mobilisés. Dès lors, le recrutement est féminin dans une France devenue une nation de veuves. À la fin du conflit, cette féminisation dans les centres de tri postaux ou dans les services de distribution du courrier perdure, contrairement à certaines autres professions qui renverront les femmes à leurs foyers.

Ecrire et lire dans les tranchées

D'une écriture pointue, ronde ou maladroite, à la plume, au stylo à encre ou au crayon de bois, sur une feuille à carreaux d'écolier ou un mauvais papier, le fantassin raconte aux siens son quotidien avec force détails. Il est parti au front pour une guerre que l'on dit « courte, fraîche et joyeuse ». Il croit fermement en la victoire, se bat « en Français » et fait « son devoir pour la France ». Le propos de sa correspondance est parfois poétique, patriotique et d'une ferveur sincère, entretenu par un discours officiel enthousiaste et une presse écrite servile, bientôt aux ordres.
Mais L'espoir de retour rapide chez soi ne dure pas après le baptême du feu et les premiers morts. Désormais, il s'agit de s'enterrer et de tenir. La guerre de position devient souffrance physique et épreuve morale. L'écriture quotidienne est une sorte de thérapie qui permet d'extérioriser l'horreur du combat et la mort brutale des camarades.
Par cette production de lettres ou de journaux de tranchée (bulletins ronéotypés avec des moyens de fortune qui racontent la vraie guerre et non celle des journaux de l'arrière), se forge un vocabulaire de tranchée, facétieux, mélange d'argot parisien, de vocabulaire de caserne et de patois régionaux.
Toute accalmie au front est l'occasion d'un moment de lecture ou d'écriture pour l'homme de troupe, le sous-officier ou l'officier. Quand il ne combat pas, le poilu lit pour se tenir informé de la guerre, bien qu'il soit conscient du « bourrage de crâne ». Il privilégie aussi son carnet de notes et ses courriers. Sa correspondance évolue ; la haine inculquée de l'ennemi fait place à la colère contre l'état-major, à des réflexions sur l'inégalité devant la mort qui frappe l'ami ou sur la crasse des tranchées. Les informations sur les progrès de la guerre sont rares, passées au filtre de la censure postale qui veille au moral des troupes comme à celui des civils à l'arrière. Seuls les avis de décès reçus par les mairies rappellent la réalité cruelle de ce conflit interminable.
Si le poilu écrit, il reçoit aussi du courrier. Moment important de la journée, l'arrivée du vaguemestre est attendue avec impatience. Amis, marraines de guerre et familles donnent des nouvelles, questionnent, montrent leur inquiétude, envoient mandats et colis. Les cartes postales patriotiques ou humoristiques sont produites par milliers durant le conflit. Elles doivent apporter réconfort, bonne humeur et optimisme, tenter de combler l'abîme irrémédiablement creusé entre civils et combattants, entre l'arrière et le front. Les courriers rapprochent sensiblement les uns et les autres durant l'année 1917, « année terrible ». Grèves à l'arrière et mutineries des régiments transpirent dans la correspondance pourtant censurée. La détermination du soldat à s'accommoder de tout s'effrite, seuls les liens qui le rattachent à la Nation lui forgent encore une armure morale. Néanmoins, comme il l'écrit avec résignation, «les années passent, mais la guerre, elle, ne passe pas».
Lire et écrire dans les tranchées de la première guerre mondiale

Les colis envoyés par millions

Pour tous les grades, il y avait les colis dont les parents, même dans les familles pauvres, les épouses, qui y consacraient leurs allocations, puis les marraines, ne manquaient jamais de pourvoir leur poilu. Envoyés par millions, enveloppés d'une toile cousue d'une ficelle et recouverts d'un carré d'étoffe blanche pour l'adresse écrite à l'encre indélébile, ils étaient certains jours plus abondants que les lettres. Ils ne contenaient pas que des chaussettes de laine et des cache-nez d'ingrates couleurs, tricotés pieusement par les vieilles mamans. Pour des Français, « gueulards » par définition, il était bien naturel qu'abondent les envois de chocolats, de confitures, de lait condensé, mais surtout de jambons et de saucissons d'origine locale, de pâtés, de rillettes et de confits grassement fabriqués à la ferme, et aussi de douceurs, de gâteaux amoureusement confectionnés par une experte main conjugale. De tout cela, le partage était la règle, et cette solidarité d'escouade ou de popote ne fut pas le moindre ciment d'une amitié du front.
4 à 5 milliards de cartes postales sont fabriquées pendant la guerre. Depuis 1915, des femmes écrivent aux soldats sans
famille. Certaines de ces marraines épousent leur filleul à la fin de la guerre.
A savoir
Des lettres et des marraines