La percée reste un mythe

Dans les tranchées
Combattre et tenir

Aux tentatives initiales de percée sans bombardement préalable succédèrent les longues
préparations d'artillerie destinées à écraser les défenses adverses et à ouvrir la voie à l'infanterie.
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La baïonnette au canon, on s'élance hors des tranchées. Le capitaine en tête, nous faisons un bond de 30 à 50 mètres, et nous voilà couchés dans la tranchée qu'occupaient nos camarades de première Ligne. Les balles avaient bien sifflé, mais personne n'avait été touché.

 La rage de tuer et poussés par l'odeur de la poudre aussi bien que par Les cris des bêtes féroces, car à ce moment-là on devient des bêtesféroces, ne pensant qu'à tuer et massacrer, nous nous élançons tout comme un seul homme. ( .. .) Les camarades tombent. Presque tous blessés.
Ce sont alors des cris de douleur. D'un côté, on entend « ma femme », « mes enfants »; de l'autre, « ma mère »,« achevez-moi »,« ne me faites plus souffrir» . Tout ceci te déchire le coeur, le sang coule à flots, mais nous avançons quand même, marchant sur les morts. Les Turcs ne sont pas Loin. On marche toujours mais impossible de Les rattraper. Les voilà qui rentrent dans une vallée On ne peut les toucher. Monlieutenant est en tête Il me regarde et crie courage, mais je suis touché. J'ai ressenti comme une commotion électrique à la gauche Et je tombe le visage en avant.

Pas de douleur. Je sens Le sang qui commence à couler. Je reste quelques minutes couché: Le sac sur la tête. Je me lève alors et voyant que je puis marcher je tâche de rejoindre sac au dos, et fusil au bras, le poste de secours. La fusillade et la canonnade deviennent plus intenses. Nous sommes plusieurs blessés qui retournons sur nos pas.

Témoignage
Mercredi 19 mai 1915

Pertes effroyables et résultats dérisoires

Malgré les préparations massives ( on tirera près de 5 millions d'obus en septembre 1915), toutes ces offensives, qu'elles se situent en Champagne ou en Artois, se soldent par des pertes effroyables pour des résultats dérisoires. A la fin de 1915, alors que les Alliés comptent près de 450 000 morts dont 340 000 pour la France, le tracé du front n'a pas sensiblement varié. Résultat d'autant plus déprimant que les pertes allemandes, contrairement à l'impression ressentie à l'époque, sont en moyenne inférieures de 50 %.
En fait, les causes de ces échecs successifs sont toujours les mêmes. Pour commencer, la surprise ne joue pas, ne serait-ce qu'en raison d'une préparation d'artillerie de plusieurs jours qui donne l'alerte à l'adversaire et lui permet de faire accourir des réserves. Presque toujours, la première ligne, bouleversée par un déluge d'obus de tout calibre, tombe assez facilement.
Mais les vagues d'assaut, en formations encore beaucoup trop profondes, viennent se briser sur une seconde position intacte, solidement occupée, à 5 ou 6 kilomètres en arrière de la première et que le nombre et la portée insuffisante des canons n'ont pratiquement pas entamée. D'ailleurs, même si la percée est plus ou moins localement réalisée, l'arrivée de réserves placées trop en arrière ou obligées de progresser sur un terrain bouleversé et sous un feu intense de l'artillerie adverse démasquée, ne permet aucune exploitation. Enfin, la bataille ne tarde pas à se figer sur la deuxième ou même la troisième position et dégénère en bataille d'usure avec l'intervention de renforts ennemis qui multiplient les contre-attaques.

C'est le hachoir !

offensives alliés de 1915
Ainsi, sur le front occidental, la percée reste un mythe. Les offensives alliées de 1915 constituent de tragiques expériences, marquées par des ruptures locales et fugitives que les techniques de l'époque ne peuvent exploiter. En fait, le seul cas de rupture franche fut obtenu par les Allemands entre Langemark et Bikschote au cours de l'attaque lancée avec des gazs le 22 avril, mais la rapidité des réactions alliées liée à la surprise du commandement allemand devant l'étendue de son propre succès ne permit pas d'en exploiter tous les avantages.
Ainsi, tout au long de l'année 1915, il fut impossible d'entamer l'intégrité du front occidental. Les résultats décevants et sanglants ne devaient pas cependant empêcher le commandement allié et le commandement
allemand de tenter la rupture avec des méthodes nouvelles, à défaut de moyens originaux. Tant à Verdun que sur la Somme, l'objectif reste le même : obliger l'adversaire à accepter la bataille sur un point névralgique du front, que ce soit pour des raisons morales (Verdun) ou pour des motifs stratégiques (la Somme).
Les techniques présentent une rigoureuse similitude. Il ne s'agit plus d'enlever d'un seul élan, comme un gigantesque coup de main, les positions de l'adversaire, mais d'engager l'ennemi dans une bataille méthodique d'usure, de saper ses positions l'une après l'autre après les avoir écrasées sous un déluge d'obus. Si l'Allemand veut saigner à blanc l'armée française, prise au piège dans le chaudron de Verdun pilonné par une formidable artillerie, Foch, à la veille de la Somme, entend « livrer un combat organisé, conduit d'objectif en objectif, toujours avec une préparation d'artillerie exacte et par conséquent efficace ». Il s'agit d'abattre les défenses ennemies par pans successifs En principe, l'artillerie conquiert le terrain, l'infanterie l'occupe.
Les résultats présentent, là encore, une étroite analogie. Même si la surprise totale ne joue pas, les premiers résultats sont encourageants.
A Verdun, les Allemands submergent les défenses françaises broyées par l'artillerie. Le rapport des pertes est conforme aux prévisions : 3 à 5 en faveur de l'assaillant. Au sud de la Somme, les troupes de Foch réalisent une avance importante, gênée cependant par le demi-succès des Britanniques dont les formations lourdes et compactes se font hacher par les îlots de résistance allemands. Toutefois, sur les deux champs de bataille, l'évolution sera identique. Le caractère méthodique de la progression soumise au déplacement des batteries lourdes constitue un handicap et permet à l'adversaire de rameuter ses réserves, de colmater les brèches et de renforcer son artillerie. La lutte ne tarde pas à dégénérer en bataille d'usure. Les pilonnages d'artillerie atteignent une intensité inégalée ; l'action se dissocie en une série d'opérations décousues dans un terrain bouleversé. Les pertes s'équilibrent ; c'est le hachoir.

Les tactiques d'infiltration

En revanche, les tactiques d'infiltration mises au point par l'armée allemande à partir de l'automne
1917, basées sur l'assaut d' unités de Sturmtruppen entraînées à pénétrer au plus loin dans le dispositif adverse, se révélèrent beaucoup plus efficaces
(percée de Caporetto en octobre 1917, contre-offensive allemande à Cambrai en décembre, percée en Picardie de mars 1918).
Alors que, face au blocage stratégique induit par les tranchées échelonnées en profondeur, les
états-majors avaient eu tendance à réagir par une planification de plus en plus minutieuse des assauts (avant leur déclenchement, les montres des officiers étaient réglées à la minute près), la tactique allemande d'infiltration, favorisée par une grande autonomie des groupes de base et adossée à un retour d'expérience très rapide au sein de la chaîne de commandement, se révéla la méthode la plus redoutable.
Elle ne fut pas décisive cependant. Dans la guerre des tranchées en effet, toute offensive était amenée à perdre de sa force vive au fur et à mesure de sa pénétration au sein du dispositif ennemi. L'épuisement des vagues d' assaut, l'impossibilité de déplacer l'artillerie vers l'avant en terrain bouleversé, la capacité adverse d'acheminer des renforts par camion et par train, ont conduit à l'échec de toutes les grandes tentatives de percée des systèmes défensifs, sur le front ouest tout au moins.
Celles-ci dégénéraient en interminables et sanglants affrontements, étalés parfois sur plusieurs mois, et il fallut le couple char-avion et l'apport des troupes américaines pour que les Alliés, au cours de la seconde moitié de l'année 1918, parviennent enfin à
sortir de l'impasse stratégique.
assaut soldats allemands en 1918