Les pauvres figures de condamnés
rideau
tank pendant la grande guerre

Dans le « Captain Cap », entre deux explosions, on s'interroge en baissant la voix ; on colle un œil aux fentes ; on cherche à savoir, à mettre des noms sur les incendies.
— Celui qui a sauté à droite, ça doit être le Rhinocéros...
— Le char Mainardy ? Il était à gauche...
— Mais non : à gauche, c'était le capitaine Pardon... je l'ai reconnu à ses bottes quand il courait dans le feu. On ne voyait que ça...
Je regarde mon équipage : d'Esparbès, imperturbable ; Leseutre, volontaire ; Dubois, un de mes mitrailleurs, avec un éternel sourire gouailleur et faubourien. Ceux-là sont prêts. Mais les deux autres... Ah I les pauvres figures de condamnés qu'on traîne au sacrifice ! Quelle parole pourra les soulever au-dessus d'eux-mêmes ?
Leseutre a vu, comme moi, ces regards de détresse : il a -trouvé les mots à dire : C'est fini, les gars... leur artillerie est en train de déménager...
Quelque chose a passé dans les regards des malheureux, leur a rendu une lueur de vie. Ils se ressaisiront. Peut-être est-ce vrai, d'ailleurs, ce qu'a dit Leseutre.
Le terrain où nous manoeuvrons, uniquement soucieux, nous, les survivants, de déjouer le tir ennemi par des mouvements brusques, ce terrain forme un pli qu'aucune batterie d'en face n'a pris à partie.
Les minutes s'écoulent. Et je regarde mon bracelet-montre.. Nous restons cinq chars dans cet espace-là, cinq chars que, depuis deux heures, épargne l'incendie.

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Les premiers Chars