La poursuite ...
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defaite de Waterloo
Si endurci, si insensible que le soldat, par habitude et grâce d'état, soit aux spectacles de la mort, les fugitifs en passant aux Quatre-Bras furent saisis d'horreur. Les hommes tués dans le combat du 16 juin n'avaient pas été enterrés. Trois à quatre mille cadavres, complètement nus, les paysans belges leur ayant enlevé même la chemise, couvraient tout le terrain entre la route et le bois de Bossu. C'était l'aspect d'une immense morgue. Tour à tour éclai­rés par la lune et noyés d'ombre par le voile des nuages, les morts, dans ces rapides mouvements de lumière, sem­blaient remuer leurs corps roiclis et contracter leurs faces d'une pâleur de cendre.
De moins en moins nombreux, de plus en .plus las, mais toujours aussi ardents, les Prussiens continuaient la poursuite. Gneisenau avait égrené en route la moitié de son monde. Seuls marchaient avec lui quelques escadrons. On dépassa Frasnes. Gneisenau jugea que la fatigue des hommes et des chevaux ne per­mettait pas de mener plus loin la chasse. Il donna l'ordre de faire halte devant une auberge qui, suprême ironie, portait pour enseigne : A l'Empereur.
la fin de la bataille de Waterloo
Chacun marchait, courait, se traînait comme il pouvait, allait où il voulait, personne ne pensant à donner des ordres qui n'auraient été obéis par personne. Et quand se rapprochaient le son des trompettes prussiennes, le galop des chevaux, les clameurs sauvages des poursuivants, de cette foule épouvantée partaient les cris : « Les voilà I Les voilà I... Sauve qui peut I » Et, sous le fouet de la peur, cavaliers et fantassins, officiers et soldats, valides et blessés retrouvaient des forces pour courir.
Des bandes de fuyards, qui tombant de fatigue s'arrêtaient dans les boqueteaux, les plis de terrains, les fermes, les hameaux, y étaient vite relancés par la cavalerie. Les Prussiens firent tour à tour lever neuf bivouacs. Des blessés se tuèrent pour ne pas tomber vivants entre les mains de l'ennemi. Un officier de cuirassiers, se voyant cerné par des uhlans, s'écria : Ils n'auront ni mon cheval, ni moi.  Et froidement il abattit son cheval d'une balle dans l'oreille et se brûla la cervelle avec son second pistolet.
Chose en vérité incroyable, c'était devant quatre mille Prussiens que fuyaient trente à quarante mille Français I Si quelques centaines de soldats, dominant leur terreur et redevenus maîtres d'eux-mêmes, s'étaient reformés pour faire tête, leur résistance eût mis fin à cette lamentable poursuite. Les Prussiens, qui sabraient surtout les fuyards sans défense, se laissaient, il semble, aisément imposer, puisque, pour défendre les drapeaux, il suffit d'une poignée d'hommes résolus marchant groupés autour de l'aigle de chaque régi­ment. L'ennemi ramassa sur le champ de bataille et sur la chaussée plus de deux cents canons abandonnés et un millier de voitures ; pendant la déroute, il ne prit pas un drapeau.
  La grande route, les chemins vicinaux, les traverses, les champs aussi loin que portait la vue, étaient couverts de soldats de toute arme, cuirassiers démontés, lanciers sur des chevaux fourbus, fantassins ayant jeté fusils et havresacs, blessés perdant leur sang, amputés échappés des ambulances dix minutes après l'opération. Sans nulle autorité sur ces hommes, et d'ailleurs non moins démoralisés et ne pensant comme eux qu'à leur propre salut, des capitaines, des colonels, des généraux marchaient confondus dans la masse des fugitifs.
Un caporal de la vieille garde soutint Ney par le bras jusqu'au moment où le major Schmidt, des lanciers rouges, descendit de son cheval pour le donner au maréchal. Le chirurgien en chef Larrey, blessé de deux coups de sabre, fut frappé derechef par des uhlans, volé, dépouillé et conduit presque nu, les mains liées, à un général qui donna l'ordre de le fusiller. Déjà il était mis en joue, quand un chirurgien prussien le reconnut, se jeta devant lui et le sauva.
Au-delà de Genappe, la poursuite s'accéléra. Aucune troupe en ordre ne formant plus arrière-garde, les Prussiens sabraient impunément dans la foule éperdue.  C'était une vraie chasse, dit Gneisenau, une chasse au clair de lune.
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La bataille de Waterloo