Dernières charges de cavalerie ...
rideau
Les Anglais tenaient toujours. Quand la grosse cavalerie de Kellermann et de Guyot avait débouché dans le vallon, entre cinq heures et cinq heures et demie, les cuirassiers de Milhaud, repoussés de nouveau par les dragons anglais, dévalaient au bas des rampes. Vite reformés, ils suivirent à la charge ces trois divisions fraîches. Cuirassiers, chasseurs et lanciers, dragons et grenadiers à cheval, plus de soixante escadrons gravissent le plateau. Dans l'état-major ennemi, on s'étonne que l'on engage huit ou neuf mille cavaliers, sur un front où mille tout au plus pourraient se déployer. Ils couvrent tout l'espace entre Hougoumont et la Haye-Sainte. Leurs files se resserrent tellement dans la course que des chevaux sont soulevés par la pression. Cette masse de cuirasses, de casques et de sabres ondule sur le terrain houleux. Les Anglais croient voir monter une mer d'acier.
L'ennemi renouvelle la manoeuvre qui deux fois déjà  lui a réussi. Après avoir mitraillé la cavalerie, les canonniers abandonnent leurs pièces et se réfugient dans les carrés. Ceux-ci ouvrent à trente pas des feux de file qui abattent des rangs entiers et ils reçoivent les débris des escadrons sur la triple rangée de leurs baïonnettes. Les charges se succèdent sans interruption. Des carrés subissent cinq, sept, dix, jusqu'à treize assauts. Plusieurs sont bousculés, entamés partiellement, sinon enfoncés et rompus. Un fourrier du 9° cuirassiers prend un drapeau anglais. Le capitaine Klein de Kleinenberg, des chasseurs de la garde, a son cheval tué en enlevant le drapeau d'un bataillon de la Légion Germanique. Mais la plupart des carrés restent inforçables. D'instant en instant, ils semblent submergés par les flots de la cavalerie, puis ils reparaissent à travers la fumée, hérissés de baïonnettes étincelantes, tandis que les escadrons s'éparpillent alentour comme des vagues qui se brisent sur une digue.
Les cuirassiers foncent à travers un labyrinthe de feux sur les carrés de la seconde ligne, les dépas­sent et sont foudroyés par les batteries de réserve. Tout un régiment converge à gauche, enfile au triple galop la route de Nivelles, sabre les tirailleurs de Mitchel le long du chemin de Braine-L'Alleud, tourne Hougoumont et vient se reformer sur le plateau de la Belle-Alliance.
dernieres charges de cavalerie à Waterloo
bataille de Waterloo
Les dragons de la garde s'engagent contre la brigade de cavalerie légère de Grant, qui, occupée tout l'après-midi à observer les lanciers de Pire en avant de Monplaisir et reconnaissant enfin dans les mouvements de ceux-ci de simples démonstrations, s'est rabattue de l'aile droite sur le centre. La batterie de Mercer, la seule dont les canonniers soient restés à leur poste nonobstant l'ordre de Wellington, se trouve un peu en arrière, le front abrité par un remblai du chemin, les flancs protégés par deux carrés de Brunswick. Les grenadiers à cheval, géants montés sur d'énormes chevaux et grandis encore par les hauts bonnets à poil, s'avancent au trot, en ligne. On dirait un mur qui marche. Sous la mitraille de Mercer, que croisent les feux de file des deux carrés, ce mur s'écroule, couvrant le terrain de ses débris ensanglantés. A la seconde charge, c'est une nouvelle boucherie. Le général Jamin, colonel des grenadiers, tombe frappé à mort sur l'affût d'un canon. Devant la batterie s'élève un rempart de cadavres et de chevaux éventrés. Les derniers pelotons de grenadiers franchissent le hideux obstacle, traversent les intervalles des pièces en sabrant quelques canonniers, et vont mêler leurs charges à celles des cuirassiers.
Trop nombreux pour l'étendue du terrain, tous ces escadrons se gênent mutuellement, se choquent, s'entrecroisent, brisent leurs charges, confondent leurs rangs. Les charges, toujours aussi ardentes, deviennent de moins en moins rapides, de moins en moins vigoureuses, de moins en moins efficaces, par suite de ce désordre et de l'essoufflement des chevaux qui, à chaque foulée, enfoncent dans la terre grasse et détrempée. L'atmosphère est embrasée. Le maréchal Ney, son troisième cheval tué sous lui, est debout, seul, près d'une batterie abandonnée, cravachant rageusement du plat de son épée la gueule de bronze d'un canon anglais.
Tout le champ de bataille est encombré de noncombattants, cuirassiers démontés marchant lourdement sous leur armure dans la direction du vallon, blessés se traînant hors des charniers, chevaux sans cavaliers galopant éperdus sous le fouet des balles qui leur sifflent aux oreilles. Wellington sort du carré du 73e, où il s'est réfugié au plus fort de l'action, court à sa cavalerie, la précipite sur ces escadrons épuisés, désunis et rompus par leurs charges mêmes. Pour la troisième fois, les Français abandonnent le plateau.
Marechal Ney à Waterloo
Pour la quatrième fois, ils y remontent en criant : Vive l'empereur I Ney mène la charge à la tête des carabiniers. Il a aperçu au loin leurs cuirasses d'or, il a volé à eux et, malgré les observations du général Blancard qui oppose l'ordre formel de Kellermann, il les entraîne avec lui dans la chevauchée de la mort.
L'acharnement de Ney et de ses héroïques cavaliers, comme lui ivres de rage, touchait à la folie. Cette dernière charge avec des escadrons réduits de moitié, des hommes exténués, des chevaux à demi fourbus, ne pouvait aboutir qu'à un nouvel échec. L'action de la cavalerie sur l'infanterie consiste uniquement dans l'effet moral. Quel effet moral espérer produire sur des fantassins qui venaient d'apprendre en repoussant, par le feu et les baïonnettes, des charges multipliées, que la tempête de chevaux n'est qu'un épouvantail, et qui, dans ces deux rudes heures, longues comme des jours, avaient pris l'assurance de leur invincibilité ?
C'étaient, au contraire, les cavaliers qui étaient démoralisés par l'insuccès de leurs attaques, la vanité de leurs efforts. Ils chargèrent avec la même intrépidité, non plus avec la même confiance. Ils traversèrent encore la ligne des batteries ; mais, après avoir poussé vainement leurs chevaux harassés sur les carrés, ou à mieux dire sur les remparts de soldats tués et de bêtes abattues qui en protégeaient chaque face, ils se replièrent d'eux-mêmes, découragés, désespérés, dans le fond du vallon, suivis à distance plutôt que précisément refoulés par la cavalerie anglaise, elle-même à bout de forces.
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La bataille de Waterloo